17 mars 2007

Airbus : la tourmente ne vient pas du ciel...

Groupe industriel européen

Les privatisations de grands groupes finissent souvent par démontrer l'incapacité du secteur privé à gérer des projets sur le long terme : faillite des opérateurs téléphoniques en France et en Allemagne, pénurie d'électricité en Californie, scandales dans le secteur de l'eau notamment en Amérique du Sud, problèmes de sécurité dans le secteur ferroviaire en Grande-Bretagne, etc.

Aujourd’hui, AIRBUS n’échappe pas à cette règle. Après le bradage du GIE au secteur privé, les actionnaires privés ont quasiment détruit l’entreprise, EADS et AIRBUS étant passés d'une logique industrielle à une logique financière.

Comme d’habitude, les chantres du libéralisme nous expliqueront que les privatisations sont la seule manière de dégager de nouvelles ressources financières et de développer l'entreprise dans un monde sans cesse plus concurrentiel. 

Mais l'argent rapporté par l’entreprise privée va d'abord là où il peut se reproduire le plus vite possible, à la bourse et pas dans le développement de l'entreprise. Et au nom de cette rentabilité financière, tout un savoir-faire est abandonné et les salariés qui le maîtrisent sont sacrifiés...

 

Dans la débâcle d’AIRBUS, on peut admirer une nouvelle fois la logique du capitalisme financier : puisqu'on est en retard pour honorer les commandes, on licencie ! Bizarrement, il fallait faire l’inverse et embaucher pour boucler les commandes le plus vite possible ! 

La communication d'EADS a toujours qualifié de " légitimes " les " attentes des actionnaires " en matière de rentabilité de l'entreprise et en plaçant publiquement cette préoccupation au poste de commande, le désastre était inévitable. Car la rentabilité dont il est question n'est pas celle de l'équilibre des comptes mais le prélèvement de plus de 10% de rente, chaque année, désormais exigés de l'industrie par le marché boursier.

Pour les « béats » des privatisations, l'Etat est toujours " mal placé pour gérer ", et " ce n'est pas la vocation de produire des avions ". Il avait pourtant porté l'entreprise au sommet de son secteur contre la toute-puissance américaine en mobilisant l'argent public nécessaire sous forme d'avances remboursables à long terme. Il avait permis aussi de révolutionner la technique de construction des avions (soudage au laser et matériaux composites) et de leur fonctionnement (commande électrique inventée dans le Concorde et industrialisée par AIRBUS). 

Dans la dernière période, grâce à l'entreprise privée, de nouveaux records ont été battus mais dans le mauvais sens :

  • Aveuglement des dirigeants affirmant qu'ils ne savaient pas que les commandes ne pourraient pas être honorées dans les délais.

  • Incurie stratégique conduisant à ce que 5 % des actions lancées dans la nature par des dirigeants reviennent en rangs serrés sous la houlette d'une banque d'Etat russe.

  • Vente par les «voyous» de l’entreprise de leurs stock-options, qui ont profité de leur poste, pour s’en débarrasser avant d'annoncer les mauvaises nouvelles.

  • Vente par les actionnaires privés dits " de référence ", au printemps 2006, de nombreuses actions au moindre fléchissement du cours boursier dont ils ont ainsi précipité la dégringolade.

Mais qui a conçu le monstre EADS ? L'état bien sûr mais c'est Lionel Jospin qui a mis en place cette structure de l'économie " mixte " et qui a procédé à la mise en place du pacte d'actionnaires actuel. L’ancien 1er Ministre socialiste, Dominique Strauss Kahn et Alain Richard notamment, nous expliquaient alors qu’on ne pouvait pas faire autrement, les partenaires allemands ne voulant pas collaborer avec une entreprise française détenue par l'état français, etc. 

Il faut savoir que selon ce pacte, l'état français (pourtant actionnaire à hauteur de 15 %) n'a pas son mot à dire sur la gestion opérationnelle du groupe. Il a confié cette mission à l'industriel Arnaud Lagardère, qui représente les intérêts français. Le plus dramatique, c’est que cette structure « abracadabrantesque » d’EADS, est justement une des principales raisons de ses difficultés actuelles. 

A l’époque, ceux qui prônaient le désengagement de l'Etat trouvaient toutes les vertus au secteur privé. Ce sont les mêmes aujourd’hui qui préconisent l'engagement de l'Etat pour sauver l'entreprise ! 

Mais qui a porté à la tête de cette usine à gaz l'ambitieux Forgeard qui n'avait de cesse de tout faire pour "prendre" EADS en renversant Philippe Camus ? Les pouvoirs publics français bien sûr mais plus précisément Jacques Chirac. Ces luttes de pouvoir néfastes ont contribué à masquer la réalité des problèmes industriels et conduit au chaos actuel. 

Mais qui a relayé les dogmes de l'OMC exigeant l'abandon du système des avances remboursables qui mettaient à l’abri AIRBUS ? La commission de Bruxelles bien évidemment. Le sacro-saint dogme libéral anti-étatique des commissaires de Bruxelles a correspondu très exactement aux demandes des Etats-Unis et de la firme BOEING ! Sans compter les centaines de lobbyistes très officiellement en place à Bruxelles, à la porte de chaque bureau…

Il convient également de ne pas oublier la banque centrale européenne (BCE) toute entière au service de la stabilité des prix. En effet grâce à ses efforts, les dirigeants d'EADS pensent maintenant que l'activité de construction d'avions "européens" sera mieux protégée en zone de production où le dollar est la monnaie de référence…

Avec une BCE qui fait ce qu'elle veut, en dehors de tout contrôle politique, la politique d’un euro fort par rapport au dollar conduit l'aéronautique à des délocalisations. En clair, peu importe que l'on travaille bien ou mal, que l'on soit performant ou pas, l’entreprise peut perdre ou gagner 20 à 30 % de compétitivité du jour au lendemain avec 1 € qui vaut 1 $ ou 1,2 $ ou 1,3 $ ou 0,8 € !

AIRBUS est né d'une volonté politique et d'une réelle politique industrielle. Sans l'Etat, il n'y aurait pas eu d'industrie Aéronautique de haute technologie avec la création de milliers d'emplois en France. 

Mais aujourd’hui, la puissance publique doit garder la main sur ces secteurs industriels stratégiques. Et seule à l’avenir, la représentation nationale devrait pouvoir décider de leur cession à des intérêts privés… 


Le plan Power 8 de Louis Gallois

Le plan de restructuration Power 8, de Louis Gallois, amène plusieurs interrogations car il ne s'attaque qu'aux conséquences de la nouvelle situation. Les problèmes de gouvernance ne sont pas pris en compte, en terme capitalistique et managérial. 

Rien n'est réglé et aucune solution n'est apportée aux dysfonctionnements qui ont conduit au désastre. Les problèmes de management avec les Allemands restent entiers. 

Par ailleurs, le problème de câblage électrique de l'A380 à Hambourg n'explique pas la cession de l'usine de St Nazaire, ou celle à terme de Méaulte. Ce problème technique sert aujourd'hui de prétexte à un véritable changement de modèle industriel calqué sur celui de BOEING, devenu la référence. Ce modèle industriel s'appliquera ensuite aux autres entités d'EADS, notamment Eurocopter. L'objectif, c'est encore et toujours les 10, 12 ou 15 % pour les actionnaires. Déjà, BOEING n'arrête pas de démentir des problèmes sur son 787 et il suffit de regarder les plannings annoncés pour se rendre compte qu'ils ne sont pas tenables. En clair, on se calque sur un modèle industriel qui ne fonctionne pas, mais la règle est dictée par les grands cabinets de consultants, qui appliquent partout les mêmes concepts libéraux. 

D'ailleurs, personne n'est capable de dire pourquoi du jour au lendemain il faut supprimer 10 000 emplois alors que les usines tournent à plein régime ? Pourquoi 10 000 et pas 8000 ou 15000 ?

Les propositions de Ségolène 

Ségolène Royal propose que les régions concernées par l’entreprise, prennent une partie du capital d’AIRBUS. Cette mesurette correspondrait seulement 0,6% du capital de l’entreprise et n’aurait aucun impact sur les réels problèmes structurels d’Airbus, à savoir les retards de l’A380, la non-adéquation de la gamme des moyens porteurs aux besoins des clients et une organisation inadaptée aux besoins d’une entreprise, plutôt gérée comme une organisation internationale.

Mais le plus grave, c’est que cette proposition coûterait des milliards d’euros aux contribuables et ces sommes seraient prélevés en majorant les «impôts locaux» ; impôts déjà très injustes car identiques pour les ménages aisés comme pour les plus pauvres ! 

Ségolène Royal l’ignore-t-elle ? Il est vrai que dans son pacte présidentiel, il n’y a pas une ligne sur la nécessité d’une vraie réforme fiscale en France pour mettre fin à ces graves injustices en intégrant notamment les impôts locaux dans les impôts sur le revenu… Seules figurent les propositions N° 12 et 81 (taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées, sanctions financières des communes ne respectant pas le ratio pour les hébergements d’urgence…), aux impacts très limités sur le budget de l’Etat.


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12 commentaires:

Elodie a dit…

La proposition de Ségolène est à l’image de sa campagne présidentielle, c'est-à-dire complètement creuse.

Les régions françaises n'ont pas la latitude des Länders allemands en matière économique. De plus, ces länders possèdent tous ensemble que de 2% du capital d' EADS, c'est à dire presque rien.

Que peuvent faire nos régions françaises ? Elles sont plus près de quoi ? Chacune d'une usine. La belle affaire !

Nathalie a dit…

Il ne s’agit plus de tergiverser pour savoir comment on en est arrivé là mais de proposer des solutions.

François Bayrou d’abord, il nous dit réfléchir puis ajoute «de manière approfondie». Mais une fois de plus il ne se mouille pas. Pas de vague comme jadis au ministère de l’Education nationale.

Ségolène Royal ensuite, qui veut toujours être en avance, propose un moratoire avant de se rétracter… puis pense que les régions pourraient prendre une part dans le capital d’EADS. Outre le fait que ce serait symbolique, il n’est pas sûr que juridiquement ce soit possible. Elle démontre une fois de plus qu’elle méconnaît l’économie et ne fait que surfer à nouveau sur l’opinion.

Nicolas Sarkozy enfin qui a eu 2 positions contradictoires. Tout d’abord il ne veut pas d’augmentation de capital puis s’y montre favorable. Or cette solution n’est envisageable que si les allemands suivent, ce qui ne semble pas l’hypothèse la plus probable.

Finalement, on peut dire que les français votent à droite mais le dossier Airbus montre qu’ils ne sont pas prêts à se convertir au libéralisme…

Patrick a dit…

Je voudrais attirer votre attention qu’il faut remettre en cause dans ce dossier le principe même d'une double chaîne de montage pour l'A380, dont une à Toulouse, qui a nécessité des infrastructures routières démentielles...

Si on avait écouté Les Verts à l'époque, on en serait pas là aujourd'hui !

http://lipietz.net/?page=blog&id_breve=216

Henri a dit…

Merci Albert pour ces précisions sur le dossier Airbus.

Effectivement, à l’origine du mal, il y a bien sûr la décision de Jospin. Aujourd’hui, Ségolène propose à nouveau une fausse solution avec une participation des régions au capital.

Ce n’est pas aux régions d’intervenir mais à l’état. Il est impératif que l'Etat rattrape ses errements et que l'Allemagne prenne aussi sa part dans ce déluge.

Aux Etats-Unis, c'est bien l'Etat qui a soutenu Boeing !

Régis a dit…

Ce serait intéressant et marrant de ressortir tous les articles et les entretiens datant de l’époque du référendum sur le TCE, où les politiques et journalistes chantaient en choeur les louanges d'Airbus comme modèle de réussite européenne.

Aujourd’hui, tout le monde a déjà oublié…

Zobaka a dit…

Je suis d’accord avec vous mais dites-nous : Lequel parmi les 12 candidats est capable de gouverner et de résister à tout ça ?

Albert Ricchi a dit…

Bonsoir Zobaka,

Pour répondre à votre question : sûrement pas un(e) candidat(e) qui a voté OUI, le 29 mai 2005, à un traité constitutionnel européen ultra-libéral.

Pour de nombreux électeurs, il est urgent que le vote blanc soit enfin reconnu comme suffrage exprimé dans toutes les élections dans le cadre d’une nouvelle République ...

Anonyme a dit…

Le festival de démagogie étatiste auquel donne lieu cette affaire est vraiment consternant.

Tout le monde se précipite pour faire participer l’état ou les régions au capital alors qu'Airbus n'aura aucun problème de financement avant 2010.

Le coup des régions proposé par Ségolène est particulièrement tordant. Vu la dette abyssale du pays, l'ahurissant empilement bureaucratique et la multiplication des fromages à quoi s'est résumée la décentralisation en France, Dieu nous garde qu'elles mettent le nez dans la gestion d'Airbus!

Dans ce pays, chacun veut se mêler de ce qui ne le regarde pas, et personne n'assume les responsabilités qui sont les siennes là où il est.

Eric le Rouge a dit…

L'histoire de la participation des régions, c’est du pipeau politique !

Cette idée a été introduite par Martin Malvy, président de la Région Midi-Pyrénées qui vise la mairie de Toulouse en 2008 et qui sur un sujet aussi sensible qu'Airbus dans la région toulousaine, a voulu se distinguer en dénonçant l’inertie de la droite.

Frédéric a dit…

Pour faire face aux investissements que requiert l'utilisation de nouvelles technologies comme le carbone qui sera majoritaire dans les avions de demain, des investissements très lourds sont nécessaires.

Qui peut les faire ?

Les régions, c'est sympa, mais financièrement c'est une plaisanterie.

Les capitaux plutôt spéculatifs ne sont pas intéressés car le retour sur investissement est trop long. Certains de ces investisseurs soi-disant privés recherchent de plus une position stratégique et sont dangereux pour l'indépendance de l'aviation européenne.

Restent donc que les états les états français et allemands…

Christophe a dit…

"Faire entrer les régions au capital d'EADS pour peser sur les choix stratégiques de l'avionneur ?

L'idée avancée par huit présidents de conseils régionaux socialistes et reprise à son compte par Ségolène Royal fait sourire quand on sait que c'est au gouvernement de Lionel Jospin que l'on doit la dernière refonte capitalistique du géant de l'aéronautique, qui fit la part belle au groupe Lagardère...

Mais il paraît surtout irréaliste. « Nous ne parlons pas d'une participation symbolique mais significative, c'est-à-dire entre 5% et 10% », a prévenu Martin Malvy, président PS de Midi-Pyrénées, avant de préciser que les régions étaient capables de réunir jusqu'à 150 millions d'euros.

Problème de calculatrice ? Pour atteindre de tels seuils, les régions devraient en fait débourser dix fois plus, c'est-à-dire entre 1 et 2 milliards d'euros !

Cela en vaut-il le coup ? En Allemagne, les trois Länder (Hambourg, Basse-Saxe et Brême) qui possèdent 1,28% du capital d'EADS n'ont guère pesé sur le plan de restructuration."

bob a dit…

Bon article

D'après les actionnaires (Warren Buffett notamment) qui se sont
véritablement enrichis, on ne récupère pas beaucoup d'argent sur la spéculation ( si tel est le cas, la totalité des banques se seraient exclusivement lancées dans les marches à terme). La richesse provient de la bonne santé d'une entreprise et de son projet. L'argent injecté lui donne
les moyens de nourrir cet espoir et de le porter a terme. Accessoirement,le cours de l'action, à terme monte avec à la clef une distribution des
dividendes.

Dans le cas d'EADS et de bien d'autres entreprises, certaines personnes bien placées (pas seulement Chirac) ont parachuté des individus corrompus et incompétents uniquement parce qu'ils sortaient du sérail (grandes
écoles, tissu relationnel). Ce problème est majeur en France, il étouffe les bonnes volontés ainsi que les personnes compétentes mais n'ayant pas bénéficié de soutien. Au final, on se retrouve avec des escrocs (je ne me résouds pas a les appeler patrons) qui n'ont comme seul objectif de fuir cette entreprise avec un maximum d'argent nonobstant le fait que des
milliers d'employés pourtant fidèles et travailleurs soient lâchés. Cet argent va nourrir des fonds "discrets" dans des pays aux lois sur le blanchiment plutôt lâches. Ces pays vont introduire ces fonds par le biais de structures adaptées dans les économies dites stables.

C'est ainsi que cette classe de personnes qui souhaite nous diriger nous mène vers notre perte alors qu'elle s'est construite leur propre protection. En cas de problème, gageons qu'ils ne seront pas là pour payer les pots cassés (je vous rappellerais le cas Messier qui a réussi a monter
sa propre banque ... A New York avec les fonds qu'il a "négocié" avec Vivendi pourtant très déficitaire.)