05 juin 2012

Nomination de faux préfets : le nouveau Président de la République va-t-il dire Stop ?

Mot venant du latin præfectus de la Rome antique
Le nouveau Président de la république a baissé de 30% les rémunérations du Président et des ministres. Le geste est positif mais largement symbolique car le nombre de ministres dans le gouvernement, parité oblige, reste très élevé (34 et bientôt 38 lors du prochain remaniement prévu le 21 juin prochain). 

Et dans son livre "L’argent de l’Etat" aux Editions du Seuil, René Dosière, député apparenté PS, révèle qu’un ministre coûte en moyenne 17 millions d’euros tout compris avec son personnel et ses locaux. Ce chiffre n’avait jamais été calculé auparavant et il n’est pas idiot de l’avoir en tête quand on forme un nouveau gouvernement de 34 membres.

Mais au-delà des symboles, si l’objectif de François Hollande est bien de réaliser à l’avenir des économies substantielles et de moraliser la vie politique, de nombreux autres gestes sont possibles comme l’arrêt de la nomination de faux préfets…


Un ou plusieurs faux préfets, chargés d'une soi-disant mission de service public relevant du gouvernement, peuvent être nommés, de manière totalement discrétionnaire, chaque mercredi en conseil des ministres. Des hauts fonctionnaires à qui on a donné le titre de préfet alors qu'ils n'ont jamais exercé cette fonction et sans exiger le moindre titre ou diplôme ! 

C’est en quelque sorte un cadeau du Président offert à ses courtisans ou obligés mais ces arrangements entre amis que l’on cache soigneusement au citoyen, coûtent très cher aux contribuables…

Un peu d’histoire


Ces nominations de «faux préfets» ou de "préfets fantômes" existent depuis la création de ce corps par Napoléon 1er, en 1800. Cependant le général de Gaulle, assez strict avec tout ce qui touchait aux finances du pays et à la morale publique, y avait mis fin. 

Mais François Mitterrand en arrivant à l'Élysée en 1981 avait rétabli rapidement ce système, basé souvent sur des relations maçonniques. C’est ainsi qu’un décret du 23 décembre 1982 autorisa la nomination de préfets en mission de service public relevant du gouvernement, à hauteur de 5% de l'effectif budgétaire de ce corps. Après François Mitterrand, le système a largement prospéré sous Jacques Chirac et il a perduré sous Nicolas Sarkozy. 

Ces préfets sont nommés préfets hors cadre après quelques mois, nomination qui leur permet de toucher environ 6.000 euros bruts mensuels en attendant de faire autre chose, d'être élu sénateur, député ou bien d'attendre sereinement la retraite.

Dans le cas d’une élection, ils sont placés en détachement car officiellement ces deux fonctions sont incompatibles selon la loi. De ce fait ils ne reçoivent plus qu'un petit salaire de l'État dont le montant correspond au paiement des cotisations de retraite de préfet. Et s’ils sont confrontés à un échec électoral, ils peuvent de nouveau coiffer la casquette de préfet hors cadre, sans affectation de poste tout en touchant le salaire.

Quelquefois, ces nominations ne servent pas uniquement à récompenser les amis du Président de la République, elles peuvent aussi servir à dégager (avec les honneurs) une personne au profit d’une autre qui lorgne par exemple sur une circonscription électorale d’un député sortant ou d’un poste de sénateur à renouveler.

Il y aurait actuellement, selon l’ancien ministère de l'Intérieur, Claude Guéant, 66 préfets hors cadre mais celui-ci n’indique pas, bien sûr, le nombre de faux préfets nommés depuis les débuts de la République. 

Toutes ces personnes peuvent faire valoir leurs droits à la retraite de préfet sans avoir exercé cette fonction. Ils touchent alors une pension mensuelle d’environ 4.000 euros bruts, à laquelle vient s'ajouter leurs indemnités d’élus.

Citons pour mémoire quelques-uns d’entre eux :
  • Michel Delebarre : ancien ministre socialiste (il sera sept fois ministre dans des gouvernements de gauche) et député-maire de Dunkerque, nommé préfet hors-cadre en 1983. Depuis le 25 septembre 20111, sénateur du Nord. Préfet en retraite depuis le 28 avril 2011. En 2005, il a été condamné dans le cadre de l'affaire des écoutes de l'Elysée et a été notamment reconnu coupable du placement sur écoutes de Jean-Edern Hallier.
  • Brice Hortefeux : l'ami de toujours de Nicolas Sarkozy a été nommé, selon un décret pris lors du conseil des ministres du 27 avril 1995, « préfet chargé d'une mission de service public relevant de l'action du gouvernement ». Ses propos à l’égard d’un militant d'origine maghrébine, lors de l'université d'été 2009 de l'UMP, filmés par une équipe de Public Sénat mais diffusés par Le Monde sur son site Internet, avait conduit le MRAP à porter plainte pour « diffamation à caractère raciste ».
  • Jean-Charles Marchiani : député européen sur la liste RPFIE (Pasqua-Villiers) en 1999-2004. À partir d'août 2004, il est nommé préfet « hors cadre » (sans affectation) et a pris officiellement sa retraite en septembre 2008. Jean-Charles Marchiani a été impliqué dans plusieurs affaires politico-financières au cours des années 1990-2000.
  • Michel Roussin : chef de cabinet de Jacques Chirac à la ville de Paris puis à Matignon. Ministre de la Coopération en 1993-1994, il est mis en examen en novembre 1994 dans l'affaire des HLM de Paris et démissionne de ses fonctions. Dans l'affaire des marchés publics d'Île de France, Michel Roussin a été condamné en première instance en octobre 2005 pour « complicité et recel de corruption » à quatre ans de prison avec sursis, 50 000 euros d'amende et cinq ans de privation des droits civiques, civils et familiaux. 
  • Michel Vauzelle : directeur adjoint de cabinet de François Mitterrand, candidat à la présidence de la République (1981); porte-parole de la présidence de la république (1981-1986); préfet hors cadre (1985). Préfet en retraite depuis le 15 août 2010. Le 8 septembre 2010, il est entendu comme témoin assisté dans l'enquête sur le détournement de 740 000 euros par des associations présumées fictives et subventionnées par le conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur entre 2005 et 2007. 
Lorsqu’ils décident de quitter leurs mandats électoraux ils peuvent tout cumuler : retraite de préfet, de parlementaire et d'élu local. Les montants de ces cumuls sont particulièrement choquants (15.124 euros bruts mensuels par exemple pour Michel Delebarre) car, rappelons-le, selon l'INSEE la pension moyenne des retraités (base + complémentaire) et tous régimes confondus s’élève à 1.122 euros par mois (825 euros pour les femmes, 1.426 pour les hommes).

Cette nomination régulière de faux préfets est un scandale français qui bénéficie d'un habillage légal, un scandale qui serait inadmissible chez nos voisins comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne. 

Si la gauche remporte les élections législatives, François Hollande n’aura que l’embarras du choix pour réaliser des économies substantielles : réduction drastique des niches fiscales, rétablissement d’une réelle progressivité de l’impôt sur le revenu, réduction du nombre de députés et sénateurs, suppression de l’exécutif départemental au profit de l’exécutif régional, etc. 

La suppression de la nomination de faux-préfets en Conseil des ministres sous le nouveau quinquennat de François Hollande aurait l’avantage d’être un geste simple et tout à fait normal par ces temps de crise où le gouvernement compte serrer les cordons de la bourse. Mais, république monarchique oblige, il n’est pas sûr que le nouveau Président de la République saura rompre sur ce point avec ses anciens homologues et notamment François Mitterrand…



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