23 juillet 2012

La France a besoin d’une profonde réforme fiscale mais c’est maintenant ou jamais !

L'impôt constitue un des prélèvements obligatoires
Le changement, c'est maintenant ! Pour donner corps à ce slogan de campagne, François Hollande doit prendre rapidement des mesures fiscales allant à contre-courant de son prédécesseur qui, dès 2007, avait pris des mesures en faveur des personnes les plus riches.

C'est  en grande partie l'ampleur des changements dans le domaine fiscal qui conditionnera les changements dans beaucoup d'autres domaines, notamment pour rétablir une certaine justice sociale, aider à sortir de la contrainte de la dette ou dégager des marges de manœuvres budgétaires permettant au gouvernement d'agir…



Plusieurs études (INSEE, Cour des Comptes, Commission des Finances de l’Assemblée nationale) ont clairement établi que l’endettement accru des comptes publics résulte plus d’une diminution des recettes que d’une augmentation des dépenses publiques. Depuis plusieurs décennies, on assiste en effet à une véritable contre-révolution fiscale qui, outre son caractère profondément injuste, a asséché les recettes de l’Etat. Celles-ci représentaient 15,1 % du PIB en 2009 contre 22,5 % du PIB en 1982. 

A plusieurs reprises, au cours du dernier quinquennat, Nicolas Sarkozy et François Fillon ont utilisé l’argument de « finances publiques exsangues » pour réduire encore certaines dépenses publiques et sociales pourtant indispensables, tout en gardant le silence sur l’une des causes principales, à savoir les multiples cadeaux fiscaux faits aux personnes les plus aisées et aux plus grosses entreprises.

Une véritable réforme fiscale passe aujourd’hui par une série de mesures de bon sens que la droite n’a jamais voulu mettre en œuvre pendant les dix années où elle a été au pouvoir et que la gauche ne s’est jamais empressée de prendre sous le gouvernement Jospin…

Aller vers une imposition identique des revenus du travail et du capital


Aujourd’hui, les revenus du capital sont souvent moins imposés que les revenus du travail. Cela résulte notamment de la possibilité donnée aux propriétaires de portefeuilles d’actions de choisir entre un prélèvement forfaitaire libératoire (21 % depuis le 1er janvier 2012) et un abattement de 40 % sur la base imposable quand les revenus financiers sont intégrés à la déclaration de revenus.

Ce sont les contribuables qui ont des portefeuilles mobiliers importants qui bénéficient le plus de ces dérogations qui leur permettent d’échapper en grande partie à la progressivité de l’impôt sur le revenu. Il faut, rapidement, supprimer ces deux possibilités et s’y engager dès la loi de finances 2013. Ceci peut se faire par étapes, en remontant chaque année le taux du prélèvement forfaitaire, en diminuant le pourcentage de l’abattement autorisé et en mettant en place un plafonnement de l’avantage fiscal qui découle de ces deux dispositions.

Augmenter le poids de l’impôt sur les sociétés


A terme il est nécessaire d’aller vers une augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés. Celui-ci était de 50% du temps de Valéry Giscard d’Estaing, qui était loin d’être un gauchiste, et ce jusqu’en 1986, avant que la cohabitation avec Chirac n’engage la baisse de l’IS en France. Pour s’engager dans le bon sens, il faut que la prochaine loi de Finances comporte une augmentation du taux de l’impôt pour la part des bénéfices des sociétés qui est distribuée, celle qui est réinvestie dans l’entreprise restant au taux actuel (autofinancement).

Il faut rapidement supprimer la quasi-totalité des dispositifs instaurés pour réduire l’assiette de l’impôt sur les sociétés, notamment la « niche Copé » qui exonère les plus-values à long terme sur la cession de titres de participation. Le coût fiscal de cette seule disposition est d’environ 6 milliards d’euros par an pendant que l’ensemble des mesures dérogatoires à l’IS représente un coût annuel de 66 milliards d’euros chaque année.

Il est même possible d’envisager un impôt sur les sociétés lui aussi progressif, avec un taux évoluant en fonction du montant du bénéfice déclaré. Quant au crédit d’impôt recherche, par son coût budgétaire, par ses effets d’aubaine pour les plus grosses entreprises, il doit aussi être rapidement encadré, voire supprimé.

Créer un grand impôt universel et progressif fusionnant l’IRPP et la CSG/CRDS


Afin de financer toutes les dépenses publiques et celles de la protection sociale, la fusion des cotisations de Sécurité sociale avec l'IRPP s'imposerait car les cotisations actuelles reposent encore trop sur les salaires au lieu et place du revenu fiscal pour les personnes physiques et la valeur ajoutée pour les entreprises.

Un tel changement serait à la fois plus juste et plus rémunérateur (un point de prélèvement assis sur tous les revenus tels que déclarés à l'administration fiscale rapporte sensiblement plus que le même taux appliqué sur les seuls salaires). Tous les citoyens sans exception y seraient assujettis, même de façon symbolique pour les revenus les plus modestes, ce qui mettrait fin à la polémique permanente sur les 50% de Français non assujettis à l'impôt sur le revenu...

Mais après avoir fait cette proposition, François Hollande semble maintenant vouloir la repousser en fin de quinquennat. Jérôme Cahuzac, ministre du budget, l’a d’ailleurs pratiquement annoncé, voulant auparavant étudier (dans les détails…) toutes les incidences de cette réforme...

Si un renvoi aux calendes grecques était confirmé, cela constituerait une grave erreur car la seule possibilité pour la gauche de proposer une alternative crédible à la TVA sociale de Nicolas Sarkozy est d'instaurer, dès 2013, une CSG/CRDS progressive. A défaut, la gauche va se retrouver à proposer peu ou prou la même chose que la droite : un transfert de cotisation vers un mélange de TVA et de CSG !

Renforcer la progressivité du système fiscal


Un impôt progressif est celui qui répond le mieux à l’esprit de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (un impôt en fonction des « facultés » de chacun). En France, c’est surtout l’impôt sur le revenu qui peut jouer ce rôle. Dès lors que les niches fiscales ont été multipliées, qu’un système de prélèvements forfaitaires libératoires a été mis en place et que le nombre de tranches comme l’éventail des taux d’imposition ont été réduits et resserrés vers le bas, la progressivité est très réduite.

Il faut donc, dès la prochaine loi de Finances, prendre des orientations allant dans l’autre sens. Le simple rétablissement de treize tranches d’imposition telles qu’elles existaient au début des années 1980 serait déjà une mini-révolution ! En effet, des tranches d’imposition nombreuses permettent d’élargir la progressivité tout en instaurant des tranches avec des taux d’imposition élevés pour les détenteurs de revenus très importants. 

Quant à la tranche d’imposition à 75% pour les revenus supérieurs à 1 000 000 €, elle ne rendra pas le système des prélèvements plus progressif. Il restera même fortement dégressif pour les hauts revenus. Si on prend en compte l’ensemble des cotisations sociales, de la CSG/CRDS et de l’impôt sur le revenu avec un taux marginal à 41 %, on se rend compte que le système est progressif pour les revenus faibles et moyens et devient dégressif pour les très hauts revenus.

Si on relève le taux marginal de l’impôt sur le revenu de 41% à 45 % pour les revenus supérieurs à 150 000 €, sans toucher au reste comme le propose François Hollande, cela ne change quasiment rien ! Le système des prélèvements obligatoires restera toujours dégressif pour les plus hauts revenus. Pire, la proposition d’un taux marginal à 45% rapporte seulement 0,7 milliard € de recettes supplémentaires selon les chiffres des experts économiques proches du PS. 

Réformer réellement le quotient familial


L’impôt sur le revenu a pour particularité d'être acquitté par des individus seuls mais aussi par les ménages. Son montant est modulé en fonction du quotient familial, un mécanisme qui prend en compte la taille de la famille mais subventionne davantage les familles riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt étant proportionnelle au revenu dans la limite d'un plafond élevé. Actuellement, pour 1 enfant, soit 1/2 part : 2385 € de réduction au maximum; Pour 2 enfants, soit 1 part : 2385 x 2 = 4 770 €; Pour 3 enfants, le plafond s'applique avec 2 parts (0.5 + 0.5 + 1) soit 9 540 € de réduction.

Selon une étude de la direction générale du Trésor, si le quotient familial était supprimé et remplacé par un crédit d’impôt de 607 € par enfant, représentant exactement le même budget global, 4,3 millions de ménages seraient perdants (pour un montant moyen de 930 € par an) et 4,8 millions seraient gagnants, pour un montant moyen de 830 € par an. Globalement, les familles avec enfants ne perdraient rien au change, mais en revanche, les familles modestes (peu ou pas imposées) verraient leur niveau de vie augmenter tandis que les familles aisées le verraient diminuer.

Que la France abandonne le quotient familial, qui n’est plus appliqué en Europe que par deux pays (Luxembourg et Suisse) et qu’elle adopte un système de crédit d’impôt comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.

Hélas, François Hollande a tranché pendant la campagne électorale : le quotient familial sera maintenu et le plafonnement légèrement diminué de 300 € pour les familles imposables en haut de l’échelle.

Sauf surprise, les députés socialistes à l’assemblée nationale ne semblent pas en mesure d’imposer un autre point de vue que celui de François Hollande. La gauche y aurait pourtant intérêt si elle veut réduire les inégalités entre les familles les plus pauvres et les plus riches et permettre aux 47% de familles non imposables de bénéficier pleinement de cet avantage fiscal chaque année. 

Renforcer la taxation des patrimoines et des fortunes


La fiscalité du patrimoine doit être plus progressive et mieux contrôlée, plus apte à empêcher l’accumulation héréditaire des richesses, voire du pouvoir économique qui en découle. Ce qui exige qu’on tienne compte non seulement de la fortune laissée par le décédé mais aussi par celle des héritiers.

Depuis que les abattements sur les donations et successions ont été portés de 50 000 à 150 0000 €, par enfant, l’essentiel des droits de succession a disparu de fait pour ceux qui auraient eu à payer des droits dans l'avenir. Avant même cette mesure, plus de 90% des descendants en ligne directe ne payaient pas de droits de succession. Sous prétexte de permettre la transmission d’un capital «constitué au cours d’une vie de travail», c’est le patrimoine des plus riches qui a été préservé !

L'Assemblée nationale a approuvé le 19 juillet l'instauration d'une contribution exceptionnelle sur la fortune que paieront cette année les contribuables soumis à l'ISF, possédant un patrimoine supérieur à 1,3 million d'euros. Pour le budget de l'Etat, cela devrait représenter 2,3 milliards d'euros de recettes supplémentaires à la fin de l'année mais cette mesure provisoire est instaurée dans l'attente d'une réforme plus globale de l’ISF, prévue pour le budget 2013.

Réduire de façon drastique les niches fiscales 


Ces niches entraînent une perte de recettes fiscales très importante. Si certaines d’entre elles répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement utiles, d'autres permettent surtout à une minorité de personnes de réduire fortement leur imposition tout en se constituant un patrimoine.

L'inventaire tient de Prévert : crédit d'impôt recherche, niche « Copé », heures supplémentaires défiscalisées, TVA réduite pour la presse, aide à l'investissement immobilier dans les départements d'outre-mer, taux réduit de taxe intérieure de consommation applicable aux émulsions d'eau dans du gazole, crédits d’impôt réservées aux particuliers dont les effets sur l’économie sont parfois discutables ou qui sont souvent réservés aux couches sociales les plus favorisées, comme par exemple les réductions d’impôts en faveur des employeurs de personnel de maison, initiées à l’origine par Martine Aubry puis amplifiés par les gouvernements de droite…

Selon la commission des finances de l’Assemblée Nationale, les niches fiscales, étaient évaluées à 72,7 milliards € en 2010. Mais d’après le dernier rapport réalisé sous le magistère de Philippe Séguin pour l’année 2009, on a appris qu’un tour de passe-passe avait été réalisé par le gouvernement de François Fillon pour amoindrir leur importance. A mesure que certaines niches se pérennisaient, le ministère de l’économie a arrêté de les traiter comme telles, bien que leur nature n’ait pas évolué au cours du temps. Pour l’année 2009, celles-ci ne représentaient pas 70,7 milliards € ainsi que le mentionnent les documents officiels mais 146 milliards € ! Une somme colossale, puisque trois fois supérieure au produit de l'impôt sur le revenu payé par les particuliers !

La situation financière de la France est aujourd’hui surréaliste quand on sait que ces niches représentent une fois et demi l'IR et qu’avec la récupération des 2/3 seulement de ces sommes, on règlerait par exemple une bonne fois pour toute les intérêts de la dette publique qui se monte à 50 milliards €.

Refonder la fiscalité locale


Les impôts locaux représentent une part de plus en plus importante du total des impôts : 12 milliards € pour la seule taxe d’habitation (particuliers) et 15 milliards € pour la taxe foncière sur le bâti et le non-bâti (particuliers et entreprises). Avec la décentralisation et les transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités locales, l’augmentation des impôts locaux se fait tous les jours un peu plus forte. Il n’est pas rare aujourd’hui, pour la plupart des salariés, de «sortir» un mois de salaire pour payer la taxe d’habitation et la taxe foncière !

Leurs bases sur la valeur locative des logements sont totalement archaïques car elles datent de 1961 (taxe foncière) et de 1970 (taxe d’habitation). Pour les contribuables, le montant à payer ne dépend presque pas du revenu perçu. La taxe d'habitation n'est progressive que jusqu'à un certain niveau de revenu et devient ensuite régressive. Ce qui signifie que les « ménages modestes ou moyens subissent proportionnellement un prélèvement plus lourd que les ménages les plus aisés », selon la cour des comptes.

La fiscalité locale n'assure pas non plus l'équité entre les collectivités sur l'ensemble du territoire. Les disparités du "potentiel fiscal par habitant" vont du simple au double entre les régions (67 € en Corse, 111 € en Haute-Normandie), du simple au quadruple entre les départements (296 € dans la Creuse, 1.069 € à Paris) et de 1 à 1.000 entre les communes.

L’intégration de ces deux taxes dans l’impôt sur le revenu puis leur reversement par l’Etat aux diverses collectivités locales devrait constituer un autre chantier prioritaire de la réforme fiscale.

Agir contre la fraude fiscale


La fraude fiscale, par son ampleur et ses caractéristiques réduit les rentrées fiscales (au minimum 40 à 50  milliards € par an en France, selon le Syndicat national unifié des impôts (SNUI) et accentue les inégalités (ce sont essentiellement les grosses entreprises et les riches particuliers qui peuvent user de l’existence des paradis fiscaux).

Il faut donc, rapidement, que les mesures prises témoignent d’une volonté de mettre fin au laxisme pratiqué à l’égard de la criminalité financière et de la fraude fiscale de grande ampleur. Au niveau national, pour l’essentiel, les textes permettant de réprimer la fraude fiscale existent ; ce qui manque, c’est la volonté politique d’agir, en y engageant les administrations concernées (impôts, douanes, police financière, justice, etc.).

Un signal fort serait donné par des créations d’emplois dans les administrations chargés de lutter contre les fraudes et par l’établissement de la liste « française » des pays considérés comme non coopératifs et comme paradis fiscaux et judiciaires en accompagnant cette liste des sanctions infligées aux entreprises qui utilisent ces territoires. Parallèlement, il faut exiger des entreprises qui souscrivent des marchés publics de présenter dans leurs comptes la répartition de leur chiffre d’affaires, de leurs salariés, de leur masse salariale, de leurs bénéfices, etc., pays par pays.

Le chantier fiscal est très vaste, d’autant plus qu’il faudrait y ajouter encore la réforme de la TIPP (5,6 % des recettes fiscales), de l'impôt de solidarité sur la fortune ou de la fiscalité écologique.

Ce n’est qu’en modifiant simultanément tous les différents types d’impôts sans exception que l’on pourra parler véritablement de réforme fiscale. Une telle réforme, jamais entreprise à ce jour, permettrait de mieux lutter contre la dette vertigineuse, les déficits publics abyssaux et d’aller vers une société plus juste.


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