29 avril 2013

Aminata Traoré privée de visa dans l'espace Schengen par la France !

Femme politique et écrivaine malienneAminata Traoré, écrivaine malienne et ancienne ministre de la culture du Mali, s’est vue refuser le renouvellement de son visa de circulation par le consulat de France  à Bamako, alors qu’elle devait se rendre en France et en Allemagne à l’occasion de plusieurs conférences.

Cette féministe et militante altermondialiste paye cash sa prise de position audacieuse, contre l'intervention française au Mali, qui, selon elle, cacherait de gros intérêts miniers et géostratégiques au Mali et dans la sous-région. 

La France entrave ainsi souverainement la liberté de circulation pour ceux qui osent exprimer un point de vue non aligné sur l'intervention au Mali. Et ceux qui voyaient dans la présidence de François Hollande la fin de la France-Afrique ou une politique africaine de la France plus équitable, peuvent enfin se faire à la cruelle évidence de la realpolitik. 

La France n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts, disait en son temps le Général De Gaulle, et les intérêts eux, s'accommodent très mal de toutes voix discordantes…



Aminata Traoré, porte-drapeau du « Non à l’intervention militaire étrangère au Mali », également opposée à des élections avant la libération et l’entière sécurisation préalable de tout le territoire national livre à Cameroonvoice son sentiment après cette déconvenue.



Cameroonvoice : Nous avons appris avec stupéfaction que les autorités françaises ont refusé de vous accorder un visa d’entrée en France pour participer à une réunion publique le 22 avril dernier. Pouvez-vous nous confirmer cette information ?

En fait, j’ai été invitée par Die Linke, un parti de gauche allemand, et des militants français. Je devais faire un tour à Berlin et par la suite donner une conférence à Paris et Lille. J’avais un visa de circulation de 4 ans de l’espace Schengen qui a expiré au mois de Février. Quand je me suis rendue à l’ambassade d’Allemagne pour solliciter un droit d’entrée dans l’espace Schengen, ils m’ont accordé un visa de trois jours uniquement pour leur pays en  me notifiant que la France a donné des instructions pour qu’aucun pays de l’espace Schengen ne m’accorde de visa.

Il y avait donc une interdiction de circulation dans l’espace Schengen vous concernant, dont vous ignoriez totalement l’existence ?

Non, non, on ne me l’avait pas notifié avant, c’est à la faveur de ce voyage que je l’ai su. J’ai été autorisée à aller en Allemagne et à revenir au Mali directement sans fouler le sol de l’espace Schengen mis à part l’Allemagne. Je ne sais pas si c’était une exception allemande, ou si les autres pays de l’espace Schengen pourront m’accorder la même « faveur ». Ma liberté de circuler est maintenant restreinte. Les consulats européens échangent entre eux, des listes de persona non-grata, et les dispositions changent selon la gravité du délit entre guillemets. En ce qui me concerne, je ne sais pas ce que l’on me reproche. Dans mon cas, j’ai eu la chance d’avoir cette ouverture de la part de l’Allemagne, mon compatriote Oumar Mariko (Secrétaire général du SADI, Ndlr), lui il  n’a pas pu voyager du tout.

Vos prises de position contre l’intervention militaire des forces étrangères au Mali et  notamment celle de la France ne seraient pas la cause de cette interdiction ?

Certainement,  sinon je ne comprends pas pourquoi, la France et surtout les membres de ce gouvernement de gauche, qui m’ont reçu et qui me connaissent parfaitement le feraient. En principe, nous partageons les mêmes idées. Sauf que, la France considère son intervention au Mali comme une réussite politique et militaire, c’est le Premier ministre Jean-Marc Ayrault qui l’a dit et ce success story de leur point de vue exige certainement un verrouillage, qu’il n’y ait pas de critiques, puisque l’unanimité leur réussit si bien ! Vous vous souvenez bien que toutes les résolutions concernant cette guerre ont été adoptées à l’unanimité au Conseil de sécurité des Nations Unies, et le 23 avril dernier ils viennent aussi de voter à l’unanimité à l’Assemblée nationale et au Sénat français pour la prolongation de l’Opération Serval au Mali.

Le pouvoir  politique a changé de main en France voilà bientôt un an et on peut constater pour le déplorer avec cette opération que la politique africaine de la France, demeure toujours la même.

Elle demeure inchangée et il ne nous le cache pas. Le Général De Gaulle l’a dit : « la France n’a pas d’amis mais des intérêts ». Peut-être c’est nous qui nous faisons des illusions, François Hollande l’a d’ailleurs répété récemment en parlant dossier Centrafricain quand François Bozizé l’appelait à l’aide. Il lui a fait savoir que la France défendait ses intérêts et ses ressortissants. Nous l’apprenons peut-être à nos dépens, parce qu’on se disait aussi que les temps ont changé et puisqu’ils sont confrontés aux mêmes difficultés que nous, liées au même environnement économique international, avec les questions d’aide, de chômage de pauvreté etc. Mais à la lumière de ce qui se passe, il y a une grille de lecture qui s’applique à l’Afrique, on est considéré comme des pays en faillite, pas de d’états, pas d’armées, ils peuvent faire la pluie et le beau temps et ne tolèrent pas de voix discordantes.

Ils ne tolèrent pas de voix discordantes, pourtant ils se clament chantre de la liberté de la d’expression. Peut-on interpréter cette interdiction de territoire comme une entrave à la liberté d’expression, puisque vous avez un point de vue discordant ?

Oui! Pourtant moi je n’ai pas changé, tout ceux qui me suivent depuis savent que je n’ai pas changé de discours, ce sont les mêmes idées que je véhicule. Je ne m’attaque à personne, je condamne tout simplement un système économique mondial cynique et la guerre fait partie de ce système. Aujourd’hui la militarisation pour le contrôle des ressources de l’Afrique fait partie de l’agenda. C’est ce que j’ai dit et c’est ce qu’eux-mêmes ils reconnaissent ! Alors moi, Malienne, pourquoi je n’ai pas le droit de poser ce regard sur les réalités de mon pays en guerre !

Comment envisagez-vous l’avenir du Mali et de la sous-région suite à cette intervention militaire française appuyée par des troupes africaines ?

Je pense que les troupes africaines sont mises à contribution, et comme je l’ai déjà dit dans mon manifeste ce n’est pas notre guerre, nous sommes entrés dans une phase de la globalisation qui implique la diplomatie économico-offensive et la militarisation. Mais seulement, Al Qaida  est une réalité et en même temps une aubaine, elle permet aux dirigeants africains qui ont mal géré de dire maintenant que la priorité, c’est la lutte contre le terrorisme et aux puissances étrangères de dire faisons cause commune, luttons d’abord contre le terrorisme. Et moi je dis que le véritable terrorisme c’est la misère, c’est les injustices, parce que je sais qu’une bonne partie des combattants des djihadistes sont avant tout, des jeunes désespérés sans boulot, ils n’ont pas de visas et se font recruter à la fois par les narco-trafiquants et les djihadistes. C’est cette réalité qu’il nous faut regarder maintenant de près.

Quelles leçons devrons-nous tirer de la situation au Mali et de ce qui vous arrive ?

Je souhaite que les Maliens et les Africains s’ouvrent grandement les yeux et les oreilles et se disent qu’en réalité, il n’y a pas un cas malien. Ce qui se passe aujourd’hui au Mali est l’illustration d’une nouvelle étape de la politique de mainmise sur les ressources du continent, notamment les ressources énergétiques, sans lesquelles la sortie de crise, la croissance et la compétitivité ne sont pas  envisageables par l’Occident. Au lieu de jouer cartes sur table et changer les règles du jeu on préfère, nous écrire une autre histoire, nous humilier, nous culpabiliser. Avec tout ce qui se passe je considère que le Mali est humilié, il y a donc aucune raison d’en ajouter en gardant le silence et c’est ce que tout le monde fait, et les occidentaux le savent pertinemment. Raison pour laquelle, je me réjouis aujourd’hui de ce soutien international parce qu’il y a énormément de gens qui ne comprennent pas, quel que soit la différence de lecture qu’un tel traitement me soit réservé. C’est donc une nouvelle phase de la décolonisation de l’Afrique. Il nous appartient maintenant à nous-mêmes de voir où sont les véritables défis.




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