08 septembre 2013

Retraites : une nouvelle réformette au détriment des salariés…

Je veux la vivre !
Cette première «réforme» des retraites faite par un gouvernement socialiste, puisqu'en son temps Lionel Jospin s'était finalement abstenu, est toute entière marquée du sceau de la "méthode Hollande".

Gagner du temps, renvoyer à plus tard avec la volonté de ne parvenir à aucune rupture systémique, pas de tsunami, même pas de simples vagues mais au final une petite attention pour le Medef…


La durée de cotisation sera portée à 43 ans en 2035 contre 41,5 en 2020. L’allongement sera progressif : de 42 ans en 2023, il passera pour une retraite à taux plein à 42 ans et un trimestre en 2026, puis 42 ans et demi en 2029, 42 ans et trois trimestres en 2032 et enfin 43 ans en 2035. 

Les cotisations patronales et salariales augmenteront de 0,15 point en 2014 puis 0,05 point en 2015, 2016 et 2017, soit 0,3 point au total. 

Mais Pierre Moscovici l’a annoncé lors de l’université d'été du Medef : l’augmentation des cotisations patronales sera entièrement compensée en 2014 par une diminution de la cotisation "Allocations familiales", qui sera prise en charge par l'impôt, c'est à dire par les salariés et leurs familles. Quant aux cotisations salariales, il n’est nullement question de les compenser et cela se traduira donc par une nouvelle baisse du pouvoir d’achat des salariés.

De plus, le report d’avril à octobre de l’indexation annuelle des retraites entraînera une perte de pouvoir d’achat des retraités de 0,9%, en moyenne annuelle !

Une réforme dans la droite ligne des réformes Balladur et Fillon


En 1993, la réforme Balladur avait déjà eu des effets particulièrement négatifs : 
  • augmentation du nombre d’années de cotisation nécessaires à l’obtention d’une retraite à taux plein (40 ans de cotisation, soit 160 trimestres au lieu de 37,5 ans et 150 trimestres auparavant).  
  • Le salaire annuel moyen (SAM), qui était calculé sur les 10 meilleures années, est calculé depuis cette date sur les 25 meilleures, ce qui s’est traduit par une baisse de près de 20% du montant moyen des retraites du régime général !
  • L’indexation annuelle des pensions, calculée à partir de l’indice d’augmentation du salaire moyen, est basée aujourd'hui sur l’indice officiel des prix, datant de 1946 et ne reflétant pas, loin s’en faut, la réalité de l’évolution des prix. Cela entraîne chaque année une seconde dévalorisation des pensions, déjà amputées de la CSG et de la CRDS. 
En 2003, la réforme Fillon avait encore aggravé la situation :  
  • La durée d’assurance pour obtenir une pension à taux plein de 50% à 60 ans a été allongée à 41 ans en 2012. 
  • Une décote a été instituée avec une réduction progressive de 5% par année manquante en cas de liquidation avant 65 ans sans réunir les conditions du taux plein. 
En 2012, un décret a bien ramené la retraite à 60 ans pour les personnes dites à « carrière longue » ayant commencé à travailler à 18 ou 19 ans mais cette dernière mesure touchera finalement peu de monde, 100 000 personnes environ. 

Cerise sur le gâteau, l’accord du 13 mars 2013 concernant les retraites complémentaires ARRCO et AGIRC, signé par la CFDT, FO et la CFTC, prévoit d’indexer dorénavant celles-ci, chaque année, d’un point de moins que le taux d’inflation. Un accord qui entérine, noir sur blanc, une nouvelle perte de pouvoir d’achat pour les retraités ! 

Aujourd'hui donc, avec cette dernière réforme, c’est la première fois que les mesures prises sous un gouvernement de gauche entraîneront une baisse du niveau des pensions. En entérinant l'allongement de la durée de cotisation prévue par la réforme Fillon et en la prolongeant à 43 ans d'ici 2035, Jean-Marc Ayrault va pénaliser durement les jeunes quand ils atteindront l'âge de la retraite.

L’hypocrisie du maintien de l’âge légal de départ à 62 ans


L’allongement de la durée de cotisation à 43 ans est incompatible de fait avec le maintien de l’âge légal à 62 ans. En effet, au cours des dernières années avant la retraite, de nombreux salariés sont au chômage, en préretraite ou en invalidité et n’arrivent même pas, dans leur grande majorité, à atteindre les 37,5 annuités de carrière réelle comme c’était le cas avant la réforme Balladur de 1993. 

Cette situation sera catastrophique lorsque la durée de cotisation nécessaire, pour obtenir une pension à taux plein sera de 43 annuités. Car tout salarié soucieux d’obtenir la meilleure retraite possible essaiera toujours de partir avec une retraite calculée au taux plein (50% du salaire moyen des 25 dernières années). S’il n’a pas les 43 annuités exigées, il sera contraint de différer son départ au-delà de 62 ans, si toutefois sa santé lui permet, sous peine de voir sa retraite subir une décote importante.

Alors que le taux d’emploi des jeunes ne dépasse pas 45%, alors que la moyenne d’âge d’entrée dans la vie active s’établit à 23,5 ans, on leur demande de devoir cotiser 43 ans pour une retraite pleine et entière. Le calcul est vite fait. Les nouvelles générations ne partiront pas en retraite avant 67 ans, et encore sous réserve qu’elles n’aient pas eu d’interruption de carrière, ce qui est loin d'être un progrès social ! C’est au fond la même chose que de repousser l’âge légal...

Quant aux seniors dont un sur deux dans le secteur privé n'est plus en activité au moment de la retraite, le rétablissement de l'Allocation Equivalent Retraite est de plus en plus d'actualité. Et cet allongement de la durée obligatoire de cotisation aura aussi pour conséquence de gonfler la charge d’indemnisation des chômeurs âgés et d’accroître considérablement le déficit de l’assurance chômage.

L’arnaque du compte prévention de la pénibilité


Hormis les mesures concernant le financement, un compte personnel de prévention de la pénibilité financé par les entreprises sera mis en place. Mais ce compte ne permettra de bénéficier au maximum que de deux années de bonus, soit  pour les salariés concernés 41 années de cotisations au lieu de 43 en 2035. Pratiquement la même situation qu’aujourd’hui avant cette réforme ! 

Les défenseurs de Jean-Marc Ayrault ont avancé le chiffre officiel de 100 000 salariés concernés (sur 24 millions de salariés, cela fait 0,4 %...)

La question c’est que tous les métiers sont pénibles. La pénibilité n’est pas seulement physique, elle est aussi mentale. Stress, risques psychosociaux, management brutal, burn out, suicides au travail, ce ne sont plus les « coups de grisou » qui tuent, mais les « AVC ».

Il existe en France 150 000 accidents cardiaques par an et 100 000 accidents vasculaires. Le professeur André Grimaldi (actuellement engagé dans une campagne pour défendre la « Sécu » contre les complémentaires santé) affirme qu’entre 1/3 et la moitié de ces AVC sont liés au travail. Combien de « points pénibilité » donnera-t-on à ces risques cardiaques et vasculaires accrus par la pression au travail ?

Et les salariés stressés, épuisés voire licenciés dès qu’ils donnent un signe de lassitude, que subiront-ils ? Selon le Ministère du travail, 5 millions de salariés subissent des « postures pénibles ». Plus de 5 millions portent des charges lourdes. 5 millions ont des horaires atypiques qui usent la santé et la vie familiale. Et pour les 5 millions qui travaillent de nuit ? Le travail de nuit, nuit ! 10 ans de travail de nuit à contre-courant c’est 15 ans de vie dépensée… Va-t-on donner des « points » au gardien de nuit ou à l’infirmière de nuit ?

Il est possible de faire autrement en modifiant l’assiette des cotisations


Contrairement à ce qu'a affirmé le Premier Ministre, il y avait d'autres solutions pour financer l'équilibre des régimes, notamment la mise à contribution des revenus financiers et la modulation des cotisations des entreprises en fonction de leur politique d'emploi et de salaires. Une nouvelle fois, Jean-Marc Ayrault a écarté cette piste sans même l'évoquer. 

Le besoin de financement de toutes les caisses de retraites prévu pour 2020 s’élèvera à environ 20 milliards d’euros (dont 7 milliards pour le seul régime général), soit une somme de l’ordre d’un point de PIB. Un ordre de grandeur à rapprocher de la détérioration de la part de la masse salariale de 5 points dans le PIB depuis trois décennies, que l’on retrouve essentiellement sous forme de dividendes supplémentaires versés aux actionnaires, soit 100 milliards d’euros par an, cinq fois le déficit attendu en 2020...

On pourrait donc aller dans une toute autre direction en soumettant à cotisations l’ensemble des revenus des personnes physiques tels que déclarés à l'administration fiscale d’autant plus qu’un tel changement serait à la fois plus juste et plus rémunérateur (un point de prélèvement assis sur le revenu fiscal rapportant sensiblement plus que le même taux appliqué sur le seul salaire). 

Déjà adopté partiellement ou en totalité par plusieurs pays, tous les citoyens sans exception y seraient assujettis, même de façon symbolique pour les revenus les plus modestes ou non  imposables. Et l’actuelle CSG pourrait être fusionnée avec l’impôt progressif sur le revenu en constituant ainsi une sorte de cotisation universelle et progressive finançant les régimes vieillesse et les autres branches de la Sécurité sociale.

Mais après avoir fait la proposition de fusion entre la CSG et l’IRPP pendant la campagne présidentielle, François Hollande l’a renvoyé aux calendes grecques. Cela constitue une grave erreur car la seule possibilité de proposer une alternative crédible et durable au système actuel était d'instaurer, dès 2013, une cotisation universelle progressive. 

Le problème de l’étroitesse de l’assiette salariale se pose également pour les entreprises et les cotisations dites patronales. En effet, les entreprises à fort taux de main d’œuvre, ayant une forte masse salariale mais une faible valeur ajoutée, se trouvent pénalisées par rapport à celles ayant une faible masse salariale et une haute valeur ajoutée. 

Le remplacement, même partiel, des cotisations patronales par une contribution sur la valeur ajoutée serait la mesure la plus appropriée. Un tel changement d’assiette serait une véritable révolution. Il reviendrait pour la première fois à inclure les profits d’exploitation des entreprises dans l’assiette de financement de la Sécurité sociale, notamment les entreprises ayant «ajusté à la baisse» leur masse salariale à l’occasion de restructurations ou délocalisations. 

Cette proposition fut explorée à plusieurs reprises aussi bien par Alain Juppé que par Lionel Jospin, anciens premiers ministres mais elle est restée lettre morte. Seules la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l’Union patronale artisanale (UPA) y sont d’ailleurs particulièrement favorables, à la différence du Medef… 

Si le système de financement actuel basé principalement sur le recouvrement de cotisations sur salaires a relativement bien fonctionné pendant les «trente glorieuses», il a atteint aujourd’hui ses limites. 

Comme Edouard Balladur et François Fillon hier, François Hollande et Jean-Marc Ayrault aujourd'hui n’ont rien fait véritablement pour sortir de la situation de déficit chronique dans laquelle se trouvent le régime général, le régime agricole ou les autres régimes spéciaux. Résultat : ce sera encore sur les salariés les plus modestes, les retraités, les revenus du travail que pèsera le fardeau de la solidarité nationale… 


   
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