12 août 2018

Créer un grand service public de l'eau : une vraie réforme que ne fera pas Emmanuel Macron...

Robinet d'eau

L’eau se situe aujourd’hui à la convergence d’enjeux économiques, sociaux, territoriaux et environnementaux qui sont indissociables, à cause notamment du réchauffement climatique et de l'élévation de la température moyenne.

A l’échelle mondiale, la pénurie et la dégradation de la qualité de l’eau affectent plus de deux milliards d’êtres humains et provoquent chaque jour plus de 30 000 morts. 

Si la France n’est pas touchée heureusement par ce désastre, le quasi-monopole exercé par quelques opérateurs privés sur un service public essentiel est de plus en plus contesté en raison de multiples dérives et de restrictions d'eau de plus en plus fréquentes…  


La délégation du service public de l’eau (DSP) et de l’assainissement confiée à des entreprises privées a placé la France dans une situation singulière car 11 800 services de l’eau et de l’assainissement restent encore aujourd'hui délégués au secteur privé. 

Au problème de la surfacturation pratiquée souvent par ces entreprises privées s’ajoute celui des gaspillages faramineux de l’eau dont la principale raison réside dans le manque d’entretien des réseaux qui serait responsable de 50% de pertes d’eau dans certaines régions. C'est pourquoi l’Union fédérale des consommateurs notamment n’a cessé de contester les factures d’eau, leur augmentation, modulation et application devant les tribunaux avec l’espoir de voir naître un jour un grand service public de l’eau.   

Un peu d’histoire 

C’est en 1828 que les collectivités locales se sont vues attribuer la compétence d’assurer l’alimentation en eau. Auparavant, la France était gérée au niveau des districts, c’est à dire des cantons, avec des conseils de districts qui avaient tous les pouvoirs en matière de gestion de l’eau.  

En 1848, Louis Philippe, voulant imposer une gestion industrielle, a scindé la France en 38 000 communes de plein exercice, que leur taille comme leur absence de maîtrise budgétaire allaient rendre vulnérables à nombre d’appétits. 
Par un décret du 14 décembre 1853, la Générale des eaux fut portée sur les fonds baptismaux. Grâce à ses actionnaires, barons d’empire et autres banquiers, la Générale des eaux obtiendra des concessions à Lyon, Nantes, Paris (1860) et une partie de la banlieue parisienne (1869).   
En 1880, La Lyonnaise est créée et va copier le modèle mis en place par la Générale. 
Après la guerre 14-18, plusieurs autres entreprises vont connaître des faillites retentissantes suite à une inflation très forte car les contrats passés ne comportaient pas de clauses de révision des prix. Dès lors nombre d’entreprises furent pour l’essentiel reprises par des collectivités locales.  
Dans les années 30, la Générale et la Lyonnaise échapperont à la grande vague de nationalisations issue du programme du conseil national de la résistance (CNR), qui verra Marcel Paul, nationaliser l’électricité. 
En 1954, on comptait 9608 régies simples et 181 régies autonomes, pour 817 services concédés ou affermés, essentiellement dans les grandes villes.
Dans les années 60, c’est l’époque de la reconstruction et de la grande saga gaullienne. Comme EDF va très vite devenir le plus important gestionnaire des ressources en eau, la nécessité de se doter d’une législation spécifique entraînera la promulgation de la première grande loi sur l’eau en 1964. 
En 1985, Jacques Chirac, alors maire de Paris, gardait en régie municipale la production de l’eau mais attribuait la distribution aux deux principales sociétés privées spécialisées.   
En 2010, Pierre Delanoë municipalisait également la distribution, ce qui a fait bénéficier tous les usagers de gains importants de productivité liés à la réunion de la production et la distribution de l’eau au sein d’une même régie.
D’autres villes dans le monde ont choisi de renouer avec une gestion publique de l'eau comme Berlin, Buenos Aires, La Paz, Johannesburg, Atlanta, Kuala Lumpur ou Jakarta.   

Comparer ce qui est comparable  

Comparer le prix du m3 d’eau potable d’une collectivité à une autre est un véritable casse-tête car le prix est essentiellement fonction de la configuration géographique dans laquelle se situe la collectivité à desservir. Dans le cas de la ville de Grenoble par exemple, l’agglomération est implantée dans une vallée et l’habitat y est resserré. La ville dispose en amont de sources importantes produisant une eau de grande qualité. Les frais consécutifs au traitement, au stockage et à l’acheminement de l’eau sont donc assez faibles pour chaque habitant.
Il en va différemment dans d'autres endroits où l'on récupère l’eau brute en rivière pour la faire parvenir, par un système de pompes électriques multiples et de réservoirs à un ensemble de villages éloignés les uns des autres ou situés en altitude. Rapportés au nombre d’habitants, les kilomètres de réseaux et d’équipements indispensables sont alors très coûteux.  
C'est ce qui explique que le prix d’un m3 d’eau diffère fortement d’une collectivité à l’autre, même gérée de la même façon et il est très intéressant de connaître également, la répartition des divers montants qui constituent le prix final. 
Tous les éléments détaillés concernant le coût du traitement, du renouvellement du réseau, des frais de personnel, de la facturation et du bénéfice encaissé par la société privée, lorsqu’il y a affermage, permettent alors de comparer utilement les différents systèmes de gestion. Si l’on examine attentivement les moyennes nationales de ces divers coûts, c’est l’eau en régie qui est la moins chère, environ 25% de moins que le coût en affermage. 
Un autre élément important mais méconnu est celui des pertes d’eau sur les différents réseaux. Selon la vétusté du réseau, les pannes et les casses sont plus ou moins fréquentes et chaque année, les collectivités doivent procéder en général au nettoyage complet des réservoirs ou rincer abondamment les conduites lors des travaux de remplacement des réseaux.
Mettre fin à l’existence de milliers de prix différents, sortir d’une ère d’inquiétude et de soupçon, voire de corruption du personnel politique lors de l’attribution des marchés, la maîtrise de la gestion de l’eau (potabilisation, distribution, assainissement) devrait être nationale, voire locale (communes ou syndicats intercommunaux). 
Mais partisans de la libéralisation dans tous les domaines, Emmanuel Macron et son gouvernement n’entendent pas bien sûr revenir sur la « marchandisation » d’un bien vital via des entreprises privées, pour la plupart des firmes transnationales. Pourtant, l’eau, c’est la vie et la vie, c’est un droit. Une raison supplémentaire pour créer un grand service public de l’eau pour toutes les communes sans exception afin de rétablir une égalité entre citoyens… 



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