24 août 2019

Casse de l’hôpital public : ne pas faire silence…

Ne pas faire silence
Dans l’histoire de la France, l’hôpital public est passé d'une institution d'assistance et de charité à un établissement dispensant des actes techniques performants au service du malade. 

Mais depuis près de 30 ans, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont appauvri progressivement l’institution hospitalière, en réduisant le nombre de lits et les personnels, sous l’impulsion notamment de l’Union européenne…


Lorsqu'on dénonce aujourd’hui la situation d’urgence dans laquelle sont plongés les hôpitaux publics, qu'on s’indigne de la fermeture des maternités et hôpitaux de proximité, on ne désigne pas toujours les causes réelles de la paupérisation des hôpitaux. 

L’Union européenne, pilier du libre-échange, est la première responsable du démantèlement des services publics et donc des hôpitaux publics. L’objectif est toujours le même : livrer ce « marché juteux » au secteur privé en paupérisant l’hôpital public et en le décrédibilisant aux yeux des citoyens. 

Emmanuel Macron et d’autres présidents de la République avant lui n’ont jamais contesté sérieusement l'idéologie ultra-libérale de la commission européenne qui prive en fait les citoyens du droit de décider de la société dans laquelle ils veulent vivre et des mécanismes de solidarité dont ils ont besoin.

L'histoire de l’hôpital public depuis 1945


C’est en 1945 que fut créée la Sécurité sociale, figurant au Programme du Conseil national de la Résistance (CNR), qui va assurer l'essor et le financement de l'hôpital public, avec une gestion démocratisée dans laquelle sont impliqués les élus, les personnels, la Sécurité sociale et les citoyens. Deux grandes lois ont conclu cette évolution : la loi Michel Debré qui crée les CHRU (Centre Hospitalier Régional Universitaire) en 1958 et la loi Boulin de 1970 qui institue le Service Public Hospitalier (SPH). Ces deux lois transforment les hôpitaux en véritables Centres hospitaliers dotés de plateaux techniques performants.

Mais à partir des ordonnances Juppé de 1996, la reprise en main commence. Ces ordonnances créent les ARH (Agences Régionales d'Hospitalisation), qui concentrent les pouvoirs des Préfets en matière de santé. Elles instituent les LFSS (Lois de financement de la Sécurité Sociale), les CPOM (Contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens), les SROS (Schémas régionaux d'organisation sanitaire) et l'ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé), future HAS (Haute autorité en santé).
  • La loi de décembre 2003 instaure la T2A (Tarification à l’activité) qui se substitue au budget global. Cette loi met en place les GHM (Groupes homogènes de malades), calqués sur les États-Unis, qui sont des tarifs par pathologie établis par l'État. L'objectif est de substituer une dotation aux hôpitaux, fondée sur leurs recettes selon les actes réalisés et non plus sur leurs dépenses (système jugé « inflationniste »).
  • La loi HPST (Hôpital-patient-santé-territoire, dite loi Bachelot) du 21 juillet 2009 transforme les ARH en ARS (Agences régionales de santé), qui concentrent toute la tutelle sur la Sécurité Sociale entre les mains du directeur de l'ARS. Elle met en place également les PRS (Plans régionaux de santé), renforce les CME (Commissions médicales d'établissement) et les pouvoirs des directeurs formés à l'EHESS (École des hautes études en santé publique) à Rennes.
  • La loi Touraine de 2016, dite de « modernisation » de la santé, met en œuvre deux principales mesures : l'instauration des GHT (Groupements hospitaliers de territoire) et la structuration des territoires de santé. Chaque GHT (1, 2 ou 3 par département selon la démographie), doit disposer d'un hôpital « leader », d'un PMP (Projet médical partagé), de fonctions dites “mutualisées“ (achats, informatique, logistique, formation, équipements, plateaux techniques, pôles médicaux communs, etc.), et d'un DIM (Département d'information médicale) commun, pour « optimiser » la T2A et diminuer les DMS (Durée moyenne de séjour du patient). 
Ainsi, avec la T2A, les ARS, les GHT, les PRS, la centralisation des plateaux techniques, la suppression du financement par la Sécurité sociale et l'obligation faite aux hôpitaux d'emprunter sur le marché bancaire, le « lean management » qui impose aux hôpitaux de faire des « économies de gestion », les gouvernements successifs de droite comme de gauche ont largement dégradé le service public hospitalier. Et aujourd’hui, Emmanuel Macron estime qu'il faut encore « réorganiser et transformer » l'hôpital ! 

La Loi Buzyn « d’Organisation et de transformation du système de santé »


Quelles sont les principales dispositions de cette loi du 24 juillet 2019 ?
  • 1 La plus intéressante est la suppression du numerus clausus. L’annonce est séduisante mais il ne s'agit en réalité que d'un « assouplissement » du numerus clausus, puisque tous les ans les ARS et les doyens des Universités de médecine se réuniront pour déterminer les effectifs souhaitables en deuxième et troisième années de médecine. En fait l’annonce est un trompe l’œil d’autant que l'objectif annoncé est d'accroître le nombre de médecins de 20% alors que l’on sait que dans sept ou huit ans, c'est 50% des médecins qui n'exerceront plus. La mesure est donc loin d’être à la hauteur des besoins ! 
  • 2 La création de « Communautés professionnelles de territoire ». 1 000 sont prévues d'ici 2022. Les PTS (Projets territoriaux de santé) devront les prévoir, ainsi que les GHT, qui devront fixer les parcours de soins en conséquence. L'idée pourrait être bonne mais la question des effectifs réels transforme ce projet en vœux pieux !
  • 3 La création d'une « offre hospitalière de proximité » : il s'agit de transformer 5 à 600 hôpitaux locaux en les privant de chirurgie et de maternités. Ici encore (18 mois après le vote de la loi), le gouvernement pourra légiférer par ordonnance. Il pourra ainsi supprimer ou modifier à sa guise les autorisations déjà acquises d'équipements lourds et d'activités ! Il pourra faire fusionner d'autorité des GHT, des établissements, transformer des centres hospitaliers en « hôpitaux de proximité » sans chirurgie ni maternité, et cela « pour mieux répondre aux besoins » !  
  • 4 La création d'un SNDS (Système national des données de santé). Ce système sera géré par un GIP (Groupement d'intérêt public) appelé « Plateforme des données de santé », qui élaborera un rapport annuel soumis au Parlement. Un Comité éthique et scientifique lui sera adossé. Chaque patient sera « doté » d'un espace numérique où il pourra théoriquement construire son parcours de soins avec les professionnels concernés. Il y a lieu de s'inquiéter de ce dispositif qui verra toutes les données administratives des patients, leurs dépenses, leurs données médicales, leurs parcours de soins, être partagés avec nombre de professionnels et d’instances.  
  • 5 La loi prévoit de donner la possibilité au gouvernement d'accroître les pouvoirs des ARS pour s’attaquer à toutes les mesures jugées « bureaucratiques ». Ces mesures de “ simplification-sécurisation “ sont éminemment suspectes et devront être préalablement précisées !
  • 6 La dernière mesure concerne les professions médicales et soignantes. Pour tous les ressortissants étrangers, non UE, des mesures de régularisation (à hauteur de 4 000 personnes environ), sont prévues. Cela touche essentiellement les médecins étrangers PADHUE (Praticiens à diplômes hors Union européenne). Inutile de préciser - comme on l'a vu plus haut - que ces 4 000 postes (étalés sur combien d'années ?), seront clairement insuffisants !
La vraie conclusion réside dans la réponse du personnel hospitalier et notamment de celui des Urgences ! près de 220 SAU (Service d'Accueil des Urgences) sont en grève illimitée. Le mouvement de grogne ne faiblit pas et les 70 millions d'euros débloqués en juin dernier par le gouvernement ne suffisent pas à apaiser les tensions. Précisons que les passages aux urgences ont doublé en vingt ans (20 millions de passages en 2018 contre 10 en 1996), alors qu’en même temps ont été supprimés des lits et des personnels ! 

300 euros mensuels nets de plus pour tous les personnels, attribution d'effectifs suffisants (dont 10 000 aux SAU) à tous les services, réouverture des lits fermés en aval, rétablissement des CTE et CHSCT avec un pouvoir suspensif sur toute mesure engageant l'avenir des établissements, suppression de la T2A et retour à un budget négocié, démocratisation des Conseils d’administration rétablis, telles sont les principales revendications des personnels en grève.

À ceux qui prétendent qu'on ne peut pas financer ces mesures, il convient de rappeler simplement quatre idées simples : la suppression de la fraude fiscale se traduirait par un gain d'au moins 100 milliards €, la suppression de la taxe sur les salaires par un gain de 4 milliards €, le rétablissement de l'ISF par un gain de 3,5 milliards €, la suppression du CICE par un gain de 40 milliards € !  

Encore faut-il pour cela changer de cap politique et faire en sorte que la France puisse reconquérir sa souveraineté nationale et populaire et donc s’extraire du piège de l’Union européenne…


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