15 mai 2020

Quel impôt sur le revenu pour le jour d'après ?

Réforme fiscale

Depuis de nombreuses années et encore plus aujourd'hui devant l’ampleur de la crise sanitaire et économique, les inégalités sociales menacent la cohésion de notre société.

Afin de lutter contre ces inégalités, il y a assurément la nécessité d'une profonde réforme de la fiscalité des revenus, réforme d'autant plus urgente qu'elle a toujours été renvoyée aux calendes grecques par tous les gouvernements successifs de gauche ou de droite...

 

La crise sanitaire et économique a déjà placé 12 millions de personnes au chômage partiel et beaucoup d'autres salariés vont perdre définitivement leur travail dans les mois qui viennent à cause de la faillite prévisible de nombreuses entreprises. Dans ce contexte, le fossé, déjà très grand entre les Français, va encore se creuser car le système fiscal reste profondément injuste. 

Complexe et peu transparent, il a surtout un caractère régressif. Cela signifie que, tous prélèvements confondus, les taux d’imposition sont plus élevés pour les ménages les plus modestes et s’abaissent pour les plus riches. C'est pourquoi, il est urgent de faire une vraie réforme de l'Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) afin d'aller vers plus de justice sociale.   

Augmenter la progressivité de l'impôt sur le revenu

L’impôt sur le revenu (IR) souffre d'un manque cruel de progressivité avec seulement 5 tranches d’imposition : 

  • 0% (moins de 10 064 €) 
  • 11% (10 064 à 25 639 €) 
  • 30% (25 659 à 73 369 €) 
  • 41% (73 369 à 157 806 €)
  • 45% (157 806 € et plus)

Le taux marginal supérieur est bien passé de 41% à 45 % sous le quinquennat de François Hollande mais cela n’a rien changé à un système qui demeure dégressif pour les plus hauts revenus et n’est plus calculé en fonction des « facultés » de chacun. On reste très loin d'un taux marginal élevé tel qu'on l'a connu par exemple aux Etats-Unis entre 1932 et 1980 qui était de 81% en moyenne !

De plus, les nombreux dispositifs dérogatoires existants aggravent encore ce manque de progressivité comme ceux qui permettent une réduction d’impôt, une déduction du revenu imposable, un crédit d’impôt ou encore ceux qui relèvent d’une imposition différenciée comme le prélèvement forfaitaire unique qui impose les revenus financiers comme les dividendes et les plus-values financières à un taux proportionnel.

La simple diminution de ces dispositifs dérogatoires, un taux marginal au moins égal à 50% et le rétablissement des quatorze tranches d'imposition, supprimées par Laurent Fabius, ministre des finances en 2000, permettraient de rétablir une réelle progressivité de l'IR et de dégager des recettes nettement supérieures à celles rapportées aujourd'hui.  

Diminuer drastiquement les niches fiscales 

Plus de 450 niches fiscales représentent, d'après le Trésor, un montant dépassant les 100 milliards € alors que dans le même temps l'IR rapporte moins de 90 milliards €. Une situation fiscale et comptable unique au monde ! 

Si quelques niches répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement utiles, la plupart d'entre elles sont complètement inutiles et permettent surtout à une minorité de personnes de réduire fortement leur imposition tout en se constituant un patrimoine important.  

Ces niches se sont tellement accumulées au fil du temps qu’un plafonnement intégrant plusieurs d’entre elles a été instauré en 2009. Ces plafonds ont été abaissés à 10 000 € par la suite mais ce plafonnement ne concerne pas les anciennes niches qui échappent toujours à la législation actuelle. En clair, les contribuables qui bénéficiaient des plafonds antérieurs ont conservé leurs " acquis fiscaux " ! 

Emmanuel Macron, hostile à une réduction drastique des niches fiscales, n'imagine pas un seul instant qu’avec une récupération même partielle de ces recettes perdues, on réglerait une bonne fois pour toute par exemple les intérêts annuels de la dette publique qui se montent à 50 milliards €… 

Changer les modalités de calcul du quotient familial et supprimer le quotient conjugal

L’IR est calculé en fonction du quotient familial (QF) qui est un mécanisme qui prend en compte la taille de la famille mais qui a pour défaut de subventionner davantage les familles riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt étant proportionnelle au revenu dans la limite d'un plafond. Ce plafonnement a été baissé de 2 336 € à 2 000 € par demi-part puis à 1 500 € mais le système reste toujours aussi injuste. 

Que la France abandonne le QF, qui n’est plus appliqué en Europe que par le Luxembourg et la Suisse et qu’elle adopte une déduction d'impôt uniforme pour chaque enfant comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.

Selon une étude de la direction générale du Trésor, avec un crédit d’impôt identique par enfant pour tous les ménages, 4,3 millions seraient perdants pour un montant moyen de 930 € par an et 4,8 millions seraient gagnants pour un montant moyen de 830 € par an. 

L’IR est modulé aussi en fonction du quotient conjugal (QC) qui consiste à diviser la somme des revenus d'un couple par deux avant de lui appliquer le barème progressif. La conséquence de ce système est double : il réduit fortement l'impôt des couples aisés dont l'un des membres - le plus souvent la femme - ne travaille pas ou très peu, avec une réduction d'impôt d'autant plus élevée que le revenu principal est important. Pour un même revenu, ces couples sont ainsi avantagés au détriment des célibataires, des personnes séparées, des veufs et veuves ou encore des familles monoparentales qui doivent pourtant faire face à des dépenses de vie courante plus élevées qu'un couple. 

Le coût de ce dernier avantage fiscal accordé chaque année aux couples aisés oscille entre 5,5 milliards € d'après le Trésor à 24 milliards € selon la Cour des comptes ! Cette dernière somme est énorme, d’autant plus que l'avantage retiré du QC n'est pas plafonné, contrairement au QF. Pour corriger ce système, la meilleure solution serait sa suppression pure et simple, les capacités contributives étant dès lors appréciées en fonction des revenus réels des couples.  

Intégrer la CSG et la CRDS à l'impôt sur le revenu   

Créée en 1991 et désormais omniprésente dans le paysage fiscal, la CSG (contribution sociale généralisée), au taux de 9,2% sur les salaires et revenus d'activité, est devenue un impôt tentaculaire auquel rien n’échappe. Comble de l'aberration du système, la CSG n'est pas déductible de l'impôt sur le revenu (sauf pour une petite part de 6,8%), c'est à dire que l'on paie de l'impôt sur de l'impôt !

Quant à la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale), créée en 1996 pour pallier les problèmes de dette de la Sécurité sociale, elle s'applique aussi avec un taux de 0,50% identique pour tous et rapporte près de 8 milliards € par an.  

La CSG et la CRDS actuelles rapportent plus que les recettes totales de l’IR mais elles s’appliquent avec un taux proportionnel. Or, un taux progressif est celui qui est le plus juste et qui répond le mieux à l’esprit de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (un impôt en fonction des « facultés » de chacun). 

Fusionner les contributions CSG et CRDS avec l'IR, pour en faire un large impôt progressif acquitté par tous, serait donc une mesure très importante et plus juste car outre les bienfaits de la progressivité, la nouvelle assiette de la CSG et CRDS reposerait sur le revenu fiscal des personnes physiques au lieu et place principalement des salaires. Et un point de prélèvement assis sur tous les revenus tels que déclarés à l'administration fiscale rapporte sensiblement plus que le même taux appliqué sur les seuls salaires. 

Lutter réellement contre la fraude et l'optimisation fiscale 

La fraude fiscale, par son ampleur et ses caractéristiques, réduit considérablement les rentrées fiscales et accentue les inégalités. Le dernier rapport du principal syndicat des Finances publiques (Solidaires-Finances), indique que celle-ci aurait grimpé à 100 milliards € annuels, et ce sans comptabiliser les fraudes aux prélèvements sociaux.

Quant à l’optimisation fiscale, elle fait le bonheur des avocats d'affaires (20 milliards € de manque à gagner fiscal dus aux jongleries d'optimisation). Ce sont essentiellement les grosses entreprises et les riches particuliers qui en bénéficient car ils peuvent faire de gros investissements déductibles de l’impôt ou user de l’existence des paradis fiscaux. 

L’Europe compte en effet en son sein de nombreux paradis fiscaux : Andorre, Campione, Chypre, Gibraltar, Guernesey, Ile de Man, Irlande, Jersey, Liechtenstein, Luxembourg, Madère, Malte, Monaco, Sercq, Suisse.

Et la France particulièrement ne s’honore pas à « fermer les yeux » sur certains mouvements de capitaux notamment dans deux micros états, dénoncés par l’ONU, l’Andorre et Monaco qui ont la particularité de se trouver pratiquement sur le territoire français et de compter pour l’un deux à sa tête, un co-prince en la personne d'Emmanuel Macron !

Dans son livre (Enquête au cœur de l'évasion fiscale), le journaliste Antoine Peillon a croisé différentes sources pour estimer à 590 milliards € l'ensemble des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux, dont 220 milliards € appartenant aux Français les plus riches (le reste étant le fait d'entreprises). Environ la moitié de ce total serait dissimulée en Suisse, la dernière décennie voyant fuir environ 2,5 milliards € d'avoirs par an. 

Comme l’administration fiscale a perdu plus de 25 000 emplois depuis le début des années 2000 sur l'ensemble de ses missions, notamment le service de contrôle sur pièces et de programmation des contrôles fiscaux, non seulement la fraude perdure mais son montant annuel est supérieur à ce que rapporte l'impôt sur le revenu ! 

Un signal fort devrait être donné par la création de plusieurs milliers de postes dans les administrations chargés de lutter contre les fraudes mais cela n'arrivera pas car Emmanuel Macron va continuer hélas de réduire les budgets des administrations publiques.

Réduire les impôts indirects

Le gouvernement précise souvent que les impôts n'augmenteront pas mais il ne s'agit que des impôts sur le revenu qui constituent une part minoritaire des recettes fiscales. Et cette affirmation mensongère est hélas trop souvent véhiculée par les journalistes des grands médias qui délivrent ainsi une fausse vérité.

Car Emmanuel Macron a abusé, dès son élection, de la vieille technique d’augmentation des impôts indirects, utilisée depuis de nombreuses années pour compenser la faiblesse des rentrées fiscales issues de l'IR ou de l'impôt sur les sociétés (IS). 

La taxe sur la valeur ajoutée ou TVA (53,9% des recettes budgétaires) rapporte plus de 2 fois l’IR (seulement 25,2% des recettes budgétaires). Si l’on y ajoute la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques ou TICPE (4,7% des recettes budgétaires) et les autres contributions indirectes (6,9% des recettes budgétaires), ce sont plus de 65% des recettes fiscales qui proviennent d’impôts indirects et taxes de toute nature. 

Ces taxes de toute nature portent principalement sur les assurances, l'audiovisuel, le carburant (plus de 60% du prix du carburant provient des taxes), les certificats d'immatriculation et le contrôle technique des véhicules, le gaz (augmentation de 44% de la taxe Intérieure de consommation sur le gaz naturel), l'électricité (augmentation de 54% des taxes sur les factures d'électricité), l'immobilier, les jeux, les mutuelles, le soda, les spectacles, le tabac (paquet à 10 € en 2020), les alcools, les transports, les timbres (augmentation de 0,95 € à 1,05 € pour le timbre rouge), etc. 

Tous ces impôts indirects sont d’autant plus injustes qu’ils touchent uniquement les consommateurs qui sont taxés par rapport à leur consommation et non par rapport à leur revenu. Ils touchent tous les foyers, même ceux qui, à cause de la faiblesse de leurs revenus, ne sont pas assujettis à l'IR (plus de 50% des foyers) et deviennent ainsi de moins en moins lourds au fur et à mesure que le contribuable est plus aisé. 

Mais pour réformer profondément l'IRPP et faire face aux conséquences dramatiques de la crise sanitaire et économique, il convient aussi de revenir sur certaines décisions gouvernementales, notamment : 

  • rétablir l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les familles les plus riches,
  • supprimer la taxe allégée mis en place sur les revenus financiers, 
  • rétablir l'exit taxe qui était destinée à dissuader les Français d'installer leur foyer fiscal à l'étranger, 
  • etc.

L’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 nous rappelle que chaque citoyen doit participer, en fonction de ses revenus, à la mutualisation des moyens financiers de l'Etat en vue de la réalisation d'actions communes mais Emmanuel Macron semble l'avoir oublié....



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2 commentaires:

Fred a dit…

Quand on pense que la gauche au pouvoir n'a jamais voulu faire une réforme fiscale digne de ce nom comme les mesures que vous proposez, on rêve si on pense qu'Emmanuel Macron pourrait le faire un jour...

Thérèse a dit…

Je partage tout à fait votre avis et je trouve scandaleux que les plus démunis paient un impôt indirect quand il vont acheter un morceau de pain ou une boite de nouilles.

Il faut faire masse de tous les revenus, quelles que soient leur provenance, y compris quand il s’agit de prestations sociales, et appliquer à ces revenus un impôt par tranche progressif sans aucune limitation...

Il faudrait être fier de payer beaucoup d’impôts directs dans ces conditions, et aussi ressentir que l’on est favorisé lorsqu’on dispose de beaucoup plus que ce qui est nécessaire, et aussi ressentir que l’on est « mécène » un peu forcé mais mécène quand même du bon fonctionnement d’une société harmonieuse.