10 mars 2018

Réforme de la SNCF et du statut des cheminots : l’arbre qui cache la forêt…

Société nationale des chemins de fer français
Le rapport Spinetta du 15 février dernier sur la libéralisation du transport ferroviaire en France a suscité de nombreuses réactions mais il ne contient en fait rien de nouveau.

C’est toujours la même volonté de transférer des services publics au secteur privé, la dénationalisation du rail étant un projet préparé à Bruxelles depuis plus de 25 ans et soutenu par Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité… 


Le gouvernement a lancé une réforme à grande vitesse de la SNCF et tout ce que redoutaient les syndicats de cheminots est en train de se mettre en place. Après les annonces du premier ministre, le gouvernement reprend le même procédé que celui testé en 2017 pour la loi Travail : un saucissonnage des réunions entre les différentes parties prenantes où personne n’aura les mêmes informations. Il s’agit de donner l’illusion d’une négociation mais les choses sont actées depuis très longtemps.

Un peu d’histoire


Le 29 juillet 1991, l'Union européenne adopte la directive 91/440/CEE « relative au développement de chemins de fer communautaires ». Son objectif est d'amener les États à libéraliser le rail, avec une « européanisation » du réseau ferré pour aller vers une concurrence internationale.
Mais le transport ferroviaire ne se libéralise pas comme n'importe quelle activité commerciale. Pour faire circuler des trains, il faut un réseau de rails, d'alimentation énergétique, de gares... Si chaque entreprise privée souhaitant développer une activité de transport ferroviaire devait construire son propre réseau, jamais personne n'aurait revendiqué l'ouverture à la concurrence car jamais la rentabilité n'aurait été au rendez-vous.
Voilà pourquoi la directive de 1991, dans son article premier, impose « la séparation de la gestion de l'infrastructure ferroviaire et de l'exploitation des services de transport ». Il s'agit d'isoler les activités non profitables (le réseau), qui resteront dans le domaine public et de privatiser peu à peu la partie rentable. En s'acquittant simplement d'un péage, plusieurs compagnies pourront rivaliser tout en utilisant les mêmes infrastructures.
Depuis cette année 1991, les « livres blancs » et les « paquets ferroviaires » (des mesures simultanées réparties dans plusieurs directives ou règlements) se succèdent à la Commission européenne et les États s'adaptent à un rythme plus ou moins soutenu.
En février 1997, le gouvernement français créait Réseau ferré de France (RFF), un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), filiale de la SNCF, mais séparée d'elle juridiquement et comptablement.
Depuis cette année là, les investissements sur le réseau français sont scandaleusement réduits et limités aux grandes lignes, les coûts salariaux sont compressés, la priorité stratégique est donnée aux déplacements professionnels pour les allers-retours dans la journée, entraînant la SNCF dans une concurrence stupide avec l'aviation à faible coût... C'est en 1997 également que la compétence du transport ferroviaire de proximité est transférée aux régions. Depuis, elles doivent assumer la gestion des lignes les plus difficiles à rentabiliser.
Fin 2014, RFF changeait de nom en devenant SNCF Réseau. Cette entité est sommée  de permettre la concurrence « libre » d'entreprises de transport publiques ou privées. Une concurrence d'abord mise en œuvre, à partir de 2006, dans le secteur du transport de marchandises, dont 40 % échappe aujourd'hui au service public.
En 2016, dans un nouveau « paquet ferroviaire », l'Union européenne a fixé des échéances précises aux États membres. La libéralisation du transport des passagers doit être effective en 2020 pour les lignes nationales et en 2026 pour les lignes régionales. Les États et les collectivités locales généraliseront les appels d'offres, auxquels pourront répondre le service public et le secteur privé.

Le rapport Spinetta

C'est dans ce contexte qu'intervient le rapport Spinetta de février 2018. En toute logique, il préconise " d'optimiser " le fonctionnement de la SNCF en réduisant encore les dépenses, à commencer par la masse salariale. En particulier, les coûts de gestion du réseau doivent baisser de façon à réduire les péages pour les entreprises privées qui voudraient concurrencer la SNCF. Au nom de l'efficacité économique, le rapport prône la fermeture des lignes les plus déficitaires ou leur financement par les seules collectivités locales. Il propose enfin le transfert d'agents de la SNCF vers le privé en cas de perte du « marché » par le service public, tout en prenant soin de préserver certaines particularités du statut des cheminots, notamment le régime spécial de retraite.
Quant au changement de statut pour les nouveaux cheminots embauchés, il permettrait à peine d’économiser entre 100 et 150 millions d’euros à un horizon de dix ans, ne résolvant en rien l’avenir de la SNCF. Mais l’objectif de l’Élysée est ailleurs : faire croire que le plus important dans la réforme est justement le changement de statut des cheminots ! 
Et aujourd'hui, la réforme du rail pose une question majeure à laquelle il faut répondre clairement. Le droit administratif français intègre toutes les composantes du droit européen et le fait respecter en cas de contentieux. Cela signifie que si la France n'appliquait pas le droit communautaire sur les chemins de fer, n'importe quelle firme privée qui s'estimerait lésée par le manque de concurrence pourrait attaquer l’État. La jurisprudence est parfaitement claire : l'entreprise privée gagnerait à tous les coups et la France serait obligée de libéraliser les activités ferroviaires.
Pour éviter la destruction du service public ferroviaire comme tous les autres services publics convoités par le privé, il faudra dénoncer les traités, les directives et les règlements européens de libéralisation. Il faudra un acte juridique de rupture qui redonne à la France un peu plus de souveraineté nationale. Cela peut être la sortie de l'Union européenne ou bien, à minima, une modification constitutionnelle qui nous permette de ne pas appliquer un texte européen sans être contredits par le juge administratif.
Avec le rapport Spinetta et la réforme du statut des cheminots devenue prioritaire, c'est aussi la campagne des élections européennes qui est lancée par Emmanuel Macron qui veut gagner une bataille politique, en ralliant à lui l’opinion publique…  

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