16 février 2021

Le fiasco de Jean-Michel Blanquer

En 90 pages documentées Saïd Benmouffok, professeur de philosophie, fait un portrait sans concession du ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer et propose une vision d’ensemble de son action.

Le fiasco Blanquer est aussi un livre politique qui dénonce une certaine vision de l’école en marche...


Jean-Michel Blanquer est arrivé rue de Grenelle en mai 2017. Présenté comme issu de la société civile et neutre politiquement, il est en réalité tout l’inverse. JM Blanquer a fréquenté les ministères de droite depuis 2006 : directeur adjoint du cabinet de Gilles de Robien, sous Jacques Chirac, puis comme numéro 2 de l’Education nationale en tant que directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco) de Luc Chatel en 2009.

Il a conduit l’essentiel des réformes sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il est donc comptable de son bilan : « hausse des inégalités, baisse drastique des budgets et du nombre d’enseignants (…) Près de 150 000 jeunes se trouvent chaque année en situation de décrochage, tandis que 80 000 postes d’enseignants sont supprimés entre 2007 et 2012 ».

JM Blanquer mène notamment ce que Saïd Benmouffok qualifie de « chef d’œuvre sarkozyste » : « la suppression de l’année de stage à l’issue des concours d’enseignement. A la rentrée 2010, pas moins de 16 000 nouveaux profs sont envoyés devant leurs élèves, souvent à temps plein, sans avoir reçu de formation pédagogique ».

Une institution mise au pas

L’une des priorités de JM Blanquer lorsqu’il arrive au ministère de l’EN est de façonner son administration de hauts fonctionnaires : « il connait ses rouages par cœur et sait où sont les postes clés. C’est donc en stratège qu’il y a nommé des alliés, désamorçant tout contre-pouvoir en interne, toute autonomie des acteurs institutionnels ».

Il modifie par décret les règles de nomination des recteurs. Désormais 40 % d’entre eux ne sont plus obligés d’être des chercheurs universitaires pour postuler. Ainsi, Christine Avenel, camarade énarque d’Emmanuel Macron et non-docteure, est nommée à la tête de la plus grosse académie de France, Versailles.

Il fusionne l’IGEN (inspection pédagogique) avec l’IGAENR (versant administratif) et créée l’IGESR qu’il confie à Caroline Pascal, dont le mari est une ancienne plume de Nicolas Sarkozy qui contribue régulièrement à Valeurs Actuelles. « En supprimant de facto l’autonomie de l’IGESR, le ministre fait de cette nouvelle inspection un corps de hauts fonctionnaires cantonnés aux missions de contrôle et d’évaluation ».

En mai 2020, un groupe d’enseignants, de chercheurs, d’inspecteurs généraux, de directeurs académiques et de hauts cadres de l’administration centrale signe un texte retentissant, dans lequel on peut lire : « Dans ce climat aux ordres, le cabinet ministériel manie contrôles, censures, dans un management autoritaire fondé sur la suspicion, la menace, le verrouillage de toute expression qui ne serait pas « dans la ligne ». Les recteurs et les directeurs d’académie sont convoqués pour une grand-messe qui nie leur marge d’autonomie et d’expertise. Ces procédés sont inédits, jamais vus à ce niveau dans l’école de la République ».

Trois réformes retiennent particulièrement l’attention

Classes dédoublées

C’est la grande réforme du quinquennat : le dédoublement des classes de CP et CE1 en éducation prioritaire. 

Début 2019, la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) publie une évaluation du dispositif qui semble confirmer son succès : « le dispositif permet une baisse de cette proportion d’élèves en très grande difficulté de 7,8% en français et de 12,5% en maths ». Mais très vite, les spécialistes de l’Education Nationale nuancent cette lecture. Ainsi le chercheur Marc Durgand, écrit dans le journal Le Monde que ces résultats « sont clairement dans le bas de la fourchette de ceux constatés dans d’autres pays qui ont mis en œuvre de telles mesures ».

Un autre chercheur, Roland Goigoux, indique que l’amélioration des performances attendue par le ministère était comprise entre 20 et 30%, ce qui correspond dans le monde scientifique à un effet faible du dispositif (50% = effet moyen, 80% = effet fort). L’effet réel du dispositif CP dédoublé est donc très faible, conclut Roland Goigoux, qui constate que la plupart des journalistes se sont laissé piéger par la communication ministérielle.

Le lycée, toujours plus inégalitaire

La réforme du baccalauréat, qui s’est accompagnée de celle du lycée, a modifié nettement l’organisation de toute l’année de terminale. Désormais, ce sont 40% des épreuves qui sont concernées par le contrôle continu. L’objectif est de casser « l’effet filière » et de contrecarrer le déterminisme social. Les premières données disponibles en 2020 confirment que les choix des élèves en terminale reconstituent largement les anciennes filières. Par ailleurs, les filles sont sous-représentées dans les filières scientifiques et les garçons se portent peu vers le grec ou l’option humanité, littérature et philosophie.

Cette réforme est un changement d’organisation purement technocratique : « On ne cessera de s’étonner qu’une réforme de cette ampleur ait été conçue d’un point de vue d’abord logistique et non pédagogique ». Sur le terrain, les profs constatent « une offre d’options inégalement répartie sur le territoire, la fin du bac national au profit d’examens locaux, la multiplication des classes surchargées ».

Parcoursup : des élèves désorientés

En 2018, JM Blanquer et Frédérique Vidal lancent la nouvelle plateforme d’inscription aux études supérieures, censée proposer une orientation simplifiée, une offre améliorée et un accompagnement renforcé. Mais un rapport parlementaire publié en juillet 2020 est sans appel. Les rapporteurs parlent d’une « série de réformes, une intervention non coordonnée des acteurs », et pointent un renforcement des inégalités, « les élèves de catégories populaires ont plus souvent saisi seuls leurs choix sur la plateforme, ils sont plus nombreux à n’avoir eu aucun entretien personnalisé ou échange avec un professeur principal ».

Au final, les résultats de Parcoursup sont les mêmes que précédemment : 64% de candidats affectés en 2017, 63% par Parcoursup en 2019.

Quant aux professeurs, le fameux article 1 de la loi votée en juin 2019, qui vise à établir un devoir de réserve pour les professeurs est en fait une épée de Damoclès au-dessus de leur tête en vue de les inciter à l’autocensure…

 

Le fiasco Blanquer, de Saïd Benmouffok, aux Editions Les Petits Matins

Une analyse lucide, en symbiose avec le désarroi des écoles et des enseignants !


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