La question d'une véritable réforme fiscale alliant justice sociale et redistribution constitue aujourd’hui un enjeu fondamental, à la fois pour les finances publiques et pour l'égalité entre les contribuables ou les ménages.
François Hollande a mis justement cette réforme au cœur de son projet présidentiel mais le flou de certaines de ses propositions ainsi que certains changements de pied ne semblent pas de bonne augure…
Les mesures fiscales prises par Nicolas Sarkozy depuis 2007 et même avant en tant que ministre du budget dans le troisième gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, ont privé l'Etat de près de 100 milliards d'euros de recettes fiscales, si l'on en croit un rapport de la commission des Finances de l'Assemblée nationale. De quoi avoir contribué à creuser les déficits publics et ce bien avant la crise financière…
C’est pourquoi, lors de primaire socialiste, François Hollande avait indiqué notamment qu’une réforme fiscale d’ampleur devait être entreprise dès 2012 en cas de victoire de la gauche à l’élection présidentielle. Il rejoignait en cela un concept de Pierre Mendès France qui aimait à répéter que si des réformes nécessaires ne sont pas engagées dans les six premiers mois d’une législature, elles ne sont en général jamais entreprises par la suite…
Mais lors du grand meeting de début de campagne du candidat socialiste, le 22 janvier au Bourget, un premier mauvais signe a été envoyé aux partisans d’une réforme fiscale avec un invité surprise chargé de chauffer la salle : le chanteur Yannick Noah, évadé fiscal qui doit 580 000 euros au fisc. Cela a été d’autant plus surprenant que la gauche en général et le Parti Socialiste en particulier n’ont jamais de mots assez durs pour les exilés fiscaux alors que Noah fût longtemps exilé fiscal en Suisse lorsqu’il était tennisman professionnel.
Aujourd’hui, dans la dernière ligne droite avant l’élection présidentielle, l’examen attentif des propositions de François Hollande montre une certaine ambiguïté dans le contenu précis et l'articulation des différents projets fiscaux, d'autant plus qu'il lui faut ménager les classes moyennes et même aisées pour gagner en mai 2012.
La fusion impôt sur le revenu / CSG
Fusionner les contributions CSG et CRDS avec l'IR pour en faire un large impôt acquitté par tous sur l'ensemble des revenus est une mesure positive car les dépenses de santé sont un bien public (au même titre que l'éducation ou la sécurité) et justifient leur prise en charge par le budget de l'Etat.
Après avoir fait cette proposition, François Hollande semble maintenant vouloir la repousser en fin de quinquennat. Jérôme Cahuzac, chargé du budget dans l'équipe de campagne, l’a d’ailleurs clairement annoncé, voulant auparavant étudier tous les détails et les incidences de cette réforme... Faire une fusion en plusieurs étapes n'est pas forcément une mauvaise chose, à condition d’en préciser les étapes et dans quels délais elles aboutissent à une fusion effective. Sans calendrier précis, on peut avoir des doutes sur la volonté affichée…
Si un renvoi aux calendes grecques était confirmé, cela constituerait une grave erreur car la seule possibilité pour la gauche de proposer une alternative crédible à la TVA sociale de Nicolas Sarkozy est d'instaurer, dès 2012, une CSG progressive. A défaut, la gauche va se retrouver à proposer peu ou prou la même chose que la droite : un transfert de cotisation vers un mélange de TVA et de CSG !
Le quotient familial
L’impôt sur le revenu a pour particularité d'être acquitté par les individus mais aussi par les ménages. Son montant est modulé en fonction du quotient familial, un mécanisme qui prend en compte la taille de la famille, mais subventionne davantage les familles riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt étant proportionnelle au revenu dans la limite d'un plafond élevé.
Après avoir donné lieu à des commentaires différents de la part des membres de son entourage, François Hollande a tranché : le quotient familial sera maintenu et le plafonnement légèrement diminué de 300 € pour les familles imposables en haut de l’échelle. Actuellement, pour 1 enfant, soit 1/2 part : 2385 € de réduction au maximum; Pour 2 enfants, soit 1 part : 2385 x 2 = 4 770 €; Pour 3 enfants, le plafond s'applique avec 2 parts (0.5 + 0.5 + 1) soit 9 540 € de réduction.
A peine esquissé, le projet de remplacer le quotient familial par un crédit d'impôt est donc déjà enterré. Pourtant, cette façon de faire aurait permis de réduire les inégalités entre les familles les plus pauvres et les plus riches. Elle aurait permis aussi aux 47% de familles non imposables de bénéficier pleinement de cet avantage fiscal chaque année.
Selon une étude de la direction générale du Trésor, si le quotient familial était supprimé et remplacé par un crédit d’impôt de 607 € par enfant, représentant exactement le même budget global, 4,3 millions de ménages seraient perdants (pour un montant moyen de 930 € par an) et 4,8 millions seraient gagnants, pour un montant moyen de 830 € par an. Globalement, les familles avec enfants ne perdraient rien au change, mais en revanche, les familles modestes (peu ou pas imposées) verraient leur niveau de vie augmenter tandis que les familles aisées le verraient diminuer. Compte tenu de la concentration des gains actuels du quotient familial sur les 11 % les mieux lotis de la population, les trois quarts des pertes (soit 3 milliards € sur 4) seraient supportées par cette partie de la population. L’effet sur la répartition des revenus serait donc sensible.
Que la France abandonne le quotient familial, qui n’est plus appliqué en Europe que par deux pays (Luxembourg et Suisse) et qu’elle adopte un système de crédit d’impôt comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.
Que Nicolas Sarkozy défende le maintien du système actuel n’est évidemment pas une réelle surprise. Ce qui l’est davantage, c’est qu’après avoir parlé d’une remise à plat, François Hollande fasse aujourd’hui un grand pas en arrière, se défendant de vouloir supprimer le quotient familial au profit d’un crédit d’impôt.
Les niches fiscales
Ces niches entraînent une perte de recettes fiscales très importante. Si certaines d’entre elles répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement utiles, d'autres permettent surtout à une minorité de personnes de réduire fortement leur imposition tout en se constituant un patrimoine. L'inventaire tient de Prévert : crédit d'impôt recherche, heures supplémentaires défiscalisées, TVA réduite pour la presse, aide à l'investissement immobilier dans les départements d'outre-mer ou " taux réduit de taxe intérieure de consommation applicable aux émulsions d'eau dans du gazole "...
Selon la commission des finances de l’Assemblée Nationale, les niches fiscales, étaient évaluées à 72,7 milliards € en 2010. Mais d’après le dernier rapport réalisé sous le magistère de Philippe Séguin pour l’année 2009, on apprenait qu’un tour de passe-passe avait été réalisé par le gouvernement de François Fillon pour amoindrir leur importance. A mesure que certaines niches se pérennisaient, le ministère de l’économie a arrêté de les traiter comme telles, bien que leur nature n’ait pas évolué au cours du temps. Pour l’année 2009, celles-ci ne représenteraient pas 70,7 milliards € ainsi que le mentionnent les documents officiels mais 146 milliards € ! Une somme colossale, puisque trois fois supérieure au produit de l'impôt sur le revenu payé par les particuliers !
Pour atteindre un déficit de 3% du PIB en 2013, François Hollande propose des mesures de redressement pour un montant d’environ 30 milliards € (29,1 milliards exactement dont 11,8 milliards € concernant les ménages et 17,3 milliards les entreprises). Mais dans ce total, le plafonnement des niches représentent seulement un gain de 1,3 milliard € (ménages) et la réduction de celles-ci pour les entreprises seulement 5,5 milliards €. Inquiet de la suppression de niches fiscales qui peuvent être efficaces, François Hollande propose en outre de les plafonner à 10.000 €. C’est un premier pas mais très timide. Beaucoup de niches sont totalement inefficaces et elles doivent être purement et simplement supprimées.
La tranche d’imposition à 75%
Dernière proposition en date du candidat socialiste, la tranche à 75% pour les très hauts revenus supérieurs à un million € par an est très révélatrice d’un manque d’ambition en matière fiscale et a surtout pour fonction de frapper les imaginations.
Pourquoi relever seulement le taux d’imposition pour le porter à 75 %, sans réformer les bases générales de l’IR ? Les mêmes causes produiront immanquablement les mêmes effets : ce relèvement ne concernera qu’une infime minorité de contribuables (3000 à 10 000 personnes selon le PS) et générera des recettes fiscales dérisoires. D’ailleurs, Laurent Fabius, proche de François Hollande, sur RMC et BFMTV, a précisé récemment que la tranche d'imposition à 75% ne serait en place que pour "une période exceptionnelle" et qu'elle ferait sans doute l'objet d'un plafonnement. Car, selon les estimations des spécialistes fiscaux, en ajoutant à cette super tranche non seulement l'ISF, mais la CSG et la CRDS, le taux dépasserait largement ce que le Conseil constitutionnel a jugé, dans une décision du 29 décembre 2005, "confiscatoire" et donc contraire à la Constitution...
Ce taux de 75 % ne rendra pas le système français des prélèvements plus progressif. Il restera même fortement dégressif pour les hauts revenus. Il est d’ailleurs facile d’en établir la preuve. Lorsqu’il avait publié son livre " Pour une révolution fiscale ", coécrit avec Camille Landais et Emmanuel Saey, l’économiste Thomas Piketty avait démontré les très graves inégalités du système actuel. Si on prend en compte l’ensemble des cotisations sociales, de la CSG et de l’impôt sur le revenu avec un taux marginal à 41 %, on se rend compte que le système est progressif pour les revenus faibles et moyens et devient dégressif pour les très hauts revenus.
Si on relève le taux marginal de l’impôt sur le revenu de 41% à 45 %, sans toucher au reste comme le propose François Hollande (François Bayrou et Nicolas Dupont-Aignan proposent quant à eux 50%…), cela ne change quasiment rien ! Le système des prélèvements obligatoires reste toujours dégressif pour les plus hauts revenus. Pire, la proposition d’un taux marginal à 45% rapporte seulement 0,7 milliard € de recettes supplémentaires selon les chiffres même de l’équipe de campagne du candidat socialiste.
Plutôt que de se laisser piéger dans des embrouilles tactiques de second rang, François Hollande serait mieux avisé de songer à engager des réformes de fond qui font bouger les lignes. Le simple rétablissement de treize tranches d’imposition telles qu’elles existaient au début des années 1980 serait déjà une mini-révolution ! En effet, des tranches d’imposition nombreuses permettent d’élargir la progressivité tout en instaurant des tranches avec des taux d’imposition élevés pour les détenteurs de revenus très importants.
Outre les points précédents évoqués, un certain flou entoure aussi d’autres propositions fiscales de François Hollande. Citons par exemple le problème des impôts locaux qui représentent une part de plus en plus importante du total des impôts payés par les Français : 12 milliards € pour la seule taxe d’habitation (particuliers) et 15 milliards € pour la taxe foncière (particuliers et entreprises). Leurs bases sur la valeur locative des logements sont totalement archaïques car elles datent de 1961 (taxe foncière) et de 1970 (taxe d’habitation). Les ménages modestes ou moyens subissent là aussi proportionnellement un prélèvement plus lourd que les ménages les plus aisés…Autre exemple, le manque de clarté sur les moyens à engager pour lutter contre la fraude fiscale et sociale évaluée, selon le Syndicat national unifié des impôts (SNUI) entre 42 et 51 milliards d’euros…
A propos du dossier fiscal en général, François Hollande devrait se rappeler également que c’est le gouvernement Jospin, avec Laurent Fabius comme ministre des Finances, qui a donné en 2000 le signal de la baisse de l’impôt sur le revenu avec une nouvelle et forte baisse de la progressivité. Ce même Laurent Fabius qui excluait en 1981 les œuvres d’art de l’assiette de l'impôt sur les grandes fortunes...
Cette politique en faveur des plus riches a bien évidemment été poussée ensuite à l’extrême par la droite et Nicolas Sarkozy. Et aujourd'hui, entre bouclier fiscal, niches fiscales, dégrèvements divers et recours aux paradis fiscaux, l'impôt pèse d'autant plus lourdement qu'on est moins riche. Cette situation est largement aggravée par la part démesurée prise par les impôts indirects dans le budget de l’Etat (65% des recettes fiscales pour le budget 2011 !) qui fait de la France l’un des pays les plus inégalitaires d’Europe...
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