Le
changement, c'est maintenant ! Pour donner corps à ce slogan de campagne,
François Hollande doit prendre rapidement des mesures fiscales allant à
contre-courant de son prédécesseur qui, dès 2007, avait pris des mesures en
faveur des personnes les plus riches.
C'est
en grande partie l'ampleur des changements dans le domaine fiscal qui
conditionnera les changements dans beaucoup d'autres domaines, notamment pour
rétablir une certaine justice sociale, aider à sortir de la contrainte de la
dette ou dégager des marges de manœuvres budgétaires permettant au gouvernement
d'agir…
Plusieurs
études (INSEE, Cour des Comptes, Commission des Finances de l’Assemblée
nationale) ont clairement établi que l’endettement accru des comptes publics
résulte plus d’une diminution des recettes que d’une augmentation des dépenses
publiques. Depuis plusieurs décennies, on assiste en effet à une véritable
contre-révolution fiscale qui, outre son caractère profondément injuste, a
asséché les recettes de l’Etat. Celles-ci représentaient 15,1 % du PIB en
2009 contre 22,5 % du PIB en 1982.
A
plusieurs reprises, au cours du dernier quinquennat, Nicolas Sarkozy et
François Fillon ont utilisé l’argument de « finances publiques exsangues » pour
réduire encore certaines dépenses publiques et sociales pourtant
indispensables, tout en gardant le silence sur l’une des causes principales, à
savoir les multiples cadeaux fiscaux faits aux personnes les plus aisées et aux
plus grosses entreprises.
Une
véritable réforme fiscale passe aujourd’hui par une série de mesures de bon
sens que la droite n’a jamais voulu mettre en œuvre pendant les dix années où
elle a été au pouvoir et que la gauche ne s’est jamais empressée de prendre
sous le gouvernement Jospin…
Aller vers une imposition identique des revenus du travail et du capital
Aujourd’hui,
les revenus du capital sont souvent moins imposés que les revenus du travail.
Cela résulte notamment de la possibilité donnée aux propriétaires de
portefeuilles d’actions de choisir entre un prélèvement forfaitaire libératoire
(21 % depuis le 1er janvier 2012) et un abattement de 40 % sur la
base imposable quand les revenus financiers sont intégrés à la déclaration de
revenus.
Ce
sont les contribuables qui ont des portefeuilles mobiliers importants qui
bénéficient le plus de ces dérogations qui leur permettent d’échapper en grande
partie à la progressivité de l’impôt sur le revenu. Il faut, rapidement,
supprimer ces deux possibilités et s’y engager dès la loi de finances 2013.
Ceci peut se faire par étapes, en remontant chaque année le taux du prélèvement
forfaitaire, en diminuant le pourcentage de l’abattement autorisé et en mettant
en place un plafonnement de l’avantage fiscal qui découle de ces deux
dispositions.
Augmenter le poids de l’impôt sur les sociétés
A
terme il est nécessaire d’aller vers une augmentation du taux de l’impôt sur
les sociétés. Celui-ci était de 50% du temps de Valéry Giscard d’Estaing, qui
était loin d’être un gauchiste, et ce jusqu’en 1986, avant que la cohabitation
avec Chirac n’engage la baisse de l’IS en France. Pour s’engager dans le bon
sens, il faut que la prochaine loi de Finances comporte une augmentation du
taux de l’impôt pour la part des bénéfices des sociétés qui est distribuée,
celle qui est réinvestie dans l’entreprise restant au taux actuel
(autofinancement).
Il
faut rapidement supprimer la quasi-totalité des dispositifs instaurés pour
réduire l’assiette de l’impôt sur les sociétés, notamment la « niche Copé » qui
exonère les plus-values à long terme sur la cession de titres de participation.
Le coût fiscal de cette seule disposition est d’environ 6 milliards d’euros par
an pendant que l’ensemble des mesures dérogatoires à l’IS représente un coût
annuel de 66 milliards d’euros chaque année.
Il est
même possible d’envisager un impôt sur les sociétés lui aussi progressif, avec
un taux évoluant en fonction du montant du bénéfice déclaré. Quant au crédit
d’impôt recherche, par son coût budgétaire, par ses effets d’aubaine pour les
plus grosses entreprises, il doit aussi être rapidement encadré, voire
supprimé.
Créer un grand impôt universel et progressif fusionnant l’IRPP et la CSG/CRDS
Afin
de financer toutes les dépenses publiques et celles de la protection sociale,
la fusion des cotisations de Sécurité sociale avec l'IRPP s'imposerait car les
cotisations actuelles reposent encore trop sur les salaires au lieu et place du
revenu fiscal pour les personnes physiques et la valeur ajoutée pour les
entreprises.
Un tel
changement serait à la fois plus juste et plus rémunérateur (un point de
prélèvement assis sur tous les revenus tels que déclarés à l'administration
fiscale rapporte sensiblement plus que le même taux appliqué sur les seuls
salaires). Tous les citoyens sans exception y seraient assujettis, même de
façon symbolique pour les revenus les plus modestes, ce qui mettrait fin à la
polémique permanente sur les 50% de Français non assujettis à l'impôt sur le
revenu...
Mais
après avoir fait cette proposition, François Hollande semble maintenant vouloir
la repousser en fin de quinquennat. Jérôme Cahuzac, ministre du budget, l’a
d’ailleurs pratiquement annoncé, voulant auparavant étudier (dans les détails…)
toutes les incidences de cette réforme...
Si un
renvoi aux calendes grecques était confirmé, cela constituerait une grave
erreur car la seule possibilité pour la gauche de proposer une alternative
crédible à la TVA sociale de Nicolas Sarkozy est d'instaurer, dès 2013, une
CSG/CRDS progressive. A défaut, la gauche va se retrouver à proposer peu ou
prou la même chose que la droite : un transfert de cotisation vers un mélange
de TVA et de CSG !
Renforcer la progressivité du système fiscal
Un
impôt progressif est celui qui répond le mieux à l’esprit de l’article 13 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (un impôt en fonction
des « facultés » de chacun). En France, c’est surtout l’impôt sur le revenu qui
peut jouer ce rôle. Dès lors que les niches fiscales ont été multipliées, qu’un
système de prélèvements forfaitaires libératoires a été mis en place et que le
nombre de tranches comme l’éventail des taux d’imposition ont été réduits et
resserrés vers le bas, la progressivité est très réduite.
Il
faut donc, dès la prochaine loi de Finances, prendre des orientations allant
dans l’autre sens. Le simple rétablissement de treize tranches d’imposition
telles qu’elles existaient au début des années 1980 serait déjà une
mini-révolution ! En effet, des tranches d’imposition nombreuses permettent
d’élargir la progressivité tout en instaurant des tranches avec des taux
d’imposition élevés pour les détenteurs de revenus très importants.
Quant
à la tranche d’imposition à 75% pour les revenus supérieurs à 1 000 000 €, elle
ne rendra pas le système des prélèvements plus progressif. Il restera même
fortement dégressif pour les hauts revenus. Si on prend en compte l’ensemble
des cotisations sociales, de la CSG/CRDS et de l’impôt sur le revenu avec un
taux marginal à 41 %, on se rend compte que le système est progressif pour les
revenus faibles et moyens et devient dégressif pour les très hauts revenus.
Si on
relève le taux marginal de l’impôt sur le revenu de 41% à 45 % pour les revenus
supérieurs à 150 000 €, sans toucher au reste comme le propose François
Hollande, cela ne change quasiment rien ! Le système des prélèvements
obligatoires restera toujours dégressif pour les plus hauts revenus. Pire, la
proposition d’un taux marginal à 45% rapporte seulement 0,7 milliard € de
recettes supplémentaires selon les chiffres des experts économiques proches du
PS.
Réformer réellement le quotient familial
L’impôt
sur le revenu a pour particularité d'être acquitté par des individus seuls mais
aussi par les ménages. Son montant est modulé en fonction du quotient familial,
un mécanisme qui prend en compte la taille de la famille mais subventionne
davantage les familles riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt
étant proportionnelle au revenu dans la limite d'un plafond
élevé. Actuellement, pour 1 enfant, soit 1/2 part : 2385 € de réduction au
maximum; Pour 2 enfants, soit 1 part : 2385 x 2 = 4 770 €; Pour 3 enfants, le
plafond s'applique avec 2 parts (0.5 + 0.5 + 1) soit 9 540 € de réduction.
Selon
une étude de la direction générale du Trésor, si le quotient familial était
supprimé et remplacé par un crédit d’impôt de 607 € par enfant, représentant
exactement le même budget global, 4,3 millions de ménages seraient perdants
(pour un montant moyen de 930 € par an) et 4,8 millions seraient gagnants, pour
un montant moyen de 830 € par an. Globalement, les familles avec enfants ne
perdraient rien au change, mais en revanche, les familles modestes (peu ou pas
imposées) verraient leur niveau de vie augmenter tandis que les familles aisées
le verraient diminuer.
Que la
France abandonne le quotient familial, qui n’est plus appliqué en Europe que
par deux pays (Luxembourg et Suisse) et qu’elle adopte un système de crédit
d’impôt comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie,
l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et
l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.
Hélas,
François Hollande a tranché pendant la campagne électorale : le quotient
familial sera maintenu et le plafonnement légèrement diminué de 300 € pour les
familles imposables en haut de l’échelle.
Sauf
surprise, les députés socialistes à l’assemblée nationale ne semblent pas en
mesure d’imposer un autre point de vue que celui de François Hollande. La
gauche y aurait pourtant intérêt si elle veut réduire les inégalités entre les
familles les plus pauvres et les plus riches et permettre aux 47% de familles
non imposables de bénéficier pleinement de cet avantage fiscal chaque
année.
Renforcer la taxation des patrimoines et des fortunes
La
fiscalité du patrimoine doit être plus progressive et mieux contrôlée, plus
apte à empêcher l’accumulation héréditaire des richesses, voire du pouvoir
économique qui en découle. Ce qui exige qu’on tienne compte non seulement de la
fortune laissée par le décédé mais aussi par celle des héritiers.
Depuis
que les abattements sur les donations et successions ont été portés de 50 000 à
150 0000 €, par enfant, l’essentiel des droits de succession a disparu de fait
pour ceux qui auraient eu à payer des droits dans l'avenir. Avant même cette
mesure, plus de 90% des descendants en ligne directe ne payaient pas de droits
de succession. Sous prétexte de permettre la transmission d’un capital
«constitué au cours d’une vie de travail», c’est le patrimoine des plus riches
qui a été préservé !
L'Assemblée
nationale a approuvé le 19 juillet l'instauration d'une contribution
exceptionnelle sur la fortune que paieront cette année les contribuables soumis
à l'ISF, possédant un patrimoine supérieur à 1,3 million d'euros. Pour le
budget de l'Etat, cela devrait représenter 2,3 milliards d'euros de recettes
supplémentaires à la fin de l'année mais cette mesure provisoire est instaurée
dans l'attente d'une réforme plus globale de l’ISF, prévue pour le budget 2013.
Réduire de façon drastique les niches fiscales
Ces
niches entraînent une perte de recettes fiscales très importante. Si certaines
d’entre elles répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement
utiles, d'autres permettent surtout à une minorité de personnes de réduire
fortement leur imposition tout en se constituant un patrimoine.
L'inventaire
tient de Prévert : crédit d'impôt recherche, niche « Copé », heures
supplémentaires défiscalisées, TVA réduite pour la presse, aide à
l'investissement immobilier dans les départements d'outre-mer, taux réduit de
taxe intérieure de consommation applicable aux émulsions d'eau dans du gazole,
crédits d’impôt réservées aux particuliers dont les effets sur l’économie sont
parfois discutables ou qui sont souvent réservés aux couches sociales les plus
favorisées, comme par exemple les réductions d’impôts en faveur des employeurs
de personnel de maison, initiées à l’origine par Martine Aubry puis amplifiés
par les gouvernements de droite…
Selon
la commission des finances de l’Assemblée Nationale, les niches fiscales,
étaient évaluées à 72,7 milliards € en 2010. Mais d’après le dernier rapport
réalisé sous le magistère de Philippe Séguin pour l’année 2009, on a appris
qu’un tour de passe-passe avait été réalisé par le gouvernement de François
Fillon pour amoindrir leur importance. A mesure que certaines niches se
pérennisaient, le ministère de l’économie a arrêté de les traiter comme telles,
bien que leur nature n’ait pas évolué au cours du temps. Pour l’année 2009,
celles-ci ne représentaient pas 70,7 milliards € ainsi que le mentionnent les
documents officiels mais 146 milliards € ! Une somme colossale, puisque trois
fois supérieure au produit de l'impôt sur le revenu payé par les particuliers !
La
situation financière de la France est aujourd’hui surréaliste quand on sait que
ces niches représentent une fois et demi l'IR et qu’avec la récupération des
2/3 seulement de ces sommes, on règlerait par exemple une bonne fois pour toute
les intérêts de la dette publique qui se monte à 50 milliards €.
Refonder la fiscalité locale
Les
impôts locaux représentent une part de plus en plus importante du total des
impôts : 12 milliards € pour la seule taxe d’habitation (particuliers) et
15 milliards € pour la taxe foncière sur le bâti et le non-bâti (particuliers
et entreprises). Avec la décentralisation et les transferts de compétences de
l’Etat vers les collectivités locales, l’augmentation des impôts locaux se fait
tous les jours un peu plus forte. Il n’est pas rare aujourd’hui, pour la
plupart des salariés, de «sortir» un mois de salaire pour payer la taxe
d’habitation et la taxe foncière !
Leurs
bases sur la valeur locative des logements sont totalement archaïques car elles
datent de 1961 (taxe foncière) et de 1970 (taxe d’habitation). Pour les
contribuables, le montant à payer ne dépend presque pas du revenu perçu. La
taxe d'habitation n'est progressive que jusqu'à un certain niveau de revenu et
devient ensuite régressive. Ce qui signifie que les « ménages modestes ou
moyens subissent proportionnellement un prélèvement plus lourd que les ménages
les plus aisés », selon la cour des comptes.
La
fiscalité locale n'assure pas non plus l'équité entre les collectivités sur
l'ensemble du territoire. Les disparités du "potentiel fiscal par
habitant" vont du simple au double entre les régions (67 € en Corse, 111 €
en Haute-Normandie), du simple au quadruple entre les départements (296 € dans
la Creuse, 1.069 € à Paris) et de 1 à 1.000 entre les communes.
L’intégration
de ces deux taxes dans l’impôt sur le revenu puis leur reversement par l’Etat
aux diverses collectivités locales devrait constituer un autre chantier
prioritaire de la réforme fiscale.
Agir contre la fraude fiscale
La
fraude fiscale, par son ampleur et ses caractéristiques réduit les rentrées
fiscales (au minimum 40 à 50 milliards € par an en France, selon le
Syndicat national unifié des impôts (SNUI) et accentue les inégalités (ce sont
essentiellement les grosses entreprises et les riches particuliers qui peuvent
user de l’existence des paradis fiscaux).
Il
faut donc, rapidement, que les mesures prises témoignent d’une volonté de
mettre fin au laxisme pratiqué à l’égard de la criminalité financière et de la
fraude fiscale de grande ampleur. Au niveau national, pour l’essentiel, les
textes permettant de réprimer la fraude fiscale existent ; ce qui manque,
c’est la volonté politique d’agir, en y engageant les administrations
concernées (impôts, douanes, police financière, justice, etc.).
Un
signal fort serait donné par des créations d’emplois dans les administrations
chargés de lutter contre les fraudes et par l’établissement de la liste «
française » des pays considérés comme non coopératifs et comme paradis fiscaux
et judiciaires en accompagnant cette liste des sanctions infligées aux
entreprises qui utilisent ces territoires. Parallèlement, il faut exiger des
entreprises qui souscrivent des marchés publics de présenter dans leurs comptes
la répartition de leur chiffre d’affaires, de leurs salariés, de leur masse
salariale, de leurs bénéfices, etc., pays par pays.
Le
chantier fiscal est très vaste, d’autant plus qu’il faudrait y ajouter encore
la réforme de la TIPP (5,6 % des recettes fiscales), de l'impôt de solidarité
sur la fortune ou de la fiscalité écologique.
Ce
n’est qu’en modifiant simultanément tous les différents types d’impôts sans
exception que l’on pourra parler véritablement de réforme fiscale. Une telle
réforme, jamais entreprise à ce jour, permettrait de mieux lutter contre la
dette vertigineuse, les déficits publics abyssaux et d’aller vers une société
plus juste.
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