Les
retraites sont un marqueur du modèle de notre société. Le président François
Hollande l’a dit, le rapport Moreau l’a labellisé, il convient de
« s’inscrire dans la trajectoire des finances publiques retenues par les
pouvoirs publics et de concourir au redressement des comptes publics et à la
crédibilité de la France ».
En
clair, le gouvernement s’apprête, sur la base de ce rapport, à faire un pas de
plus dans le sens des « réformes structurelles » réclamées par la
commission de Bruxelles et la grande majorité des formations politiques de
droite et partis sociaux-démocrates en Europe…
Les
politiques d’austérité menées partout en Europe ont eu un impact brutal sur
l’activité économique et l’emploi : selon l’OFCE, de 2010 à 2015, les
restrictions budgétaires impulsées par Nicolas Sarkozy puis François Hollande
auront un impact négatif de 7 points de PIB. Cela implique, dans l’actuelle
économie productiviste, la destruction d’au moins 1 million d’emplois et
l’effondrement des recettes de cotisations sociales. Telle est une des causes
essentielles du déficit des régimes vieillesse, l’autre cause étant un mode
financement complètement inadapté. Or, la réforme annoncée va réduire le
montant des pensions et enfoncer encore davantage l’économie dans la
dépression. Ce n’est plus simplement stupide, cela devient mortifère…
Depuis 20 ans, toujours les mêmes recettes !
En
1993, la réforme Balladur a eu des effets particulièrement négatifs :
- Le salaire annuel moyen (SAM), qui était calculé sur les 10 meilleures années, est calculé depuis cette date sur les 25 meilleures, ce qui s’est traduit par une baisse de près de 20% du montant moyen des retraites du régime général !
- L’indexation annuelle des pensions, calculée à partir de l’indice d’augmentation du salaire moyen, est basée aujourd'hui sur l’indice officiel des prix, datant de 1946 et ne reflétant pas, loin s’en faut, la réalité de l’évolution des prix. Cela entraîne chaque année une seconde dévalorisation des pensions, déjà amputées de la CSG et de la CRDS.
- Le mécanisme de fixation du plafond de la Sécurité sociale entraîne par ailleurs le montant de la pension maximale servie vers le bas. Ainsi, un salarié ayant 25 années de carrière au plafond de la Sécurité sociale et le nombre d’annuités requis pour une retraite à taux plein devrait toucher normalement 50% du plafond en vigueur au moment de son départ à la retraite, soit 1543 € (plafond de 3086 € en 2013). Or, à cause du mécanisme de revalorisation du plafond sans lien direct avec la revalorisation annuelle des pensions, il touchera environ 1326 €, soit un manque à gagner de 240 € mensuels. Le montant de la pension maximale tend ainsi à se rapprocher progressivement de la pension minimale garantie…
En
2003, la réforme Fillon, avalisée naïvement par trois organisations syndicales
(CFDT, CFTC et CFE-CGC), a encore aggravé la situation :
- La durée d’assurance pour obtenir une pension à taux plein de 50% à 60 ans a été allongée à 41 ans en 2012, si nécessaire 42 ans en 2020.
- Une décote a été instituée avec une réduction progressive de 5% par année manquante en cas de liquidation avant 65 ans sans réunir les conditions du taux plein.
En
2012, un décret a ramené la retraite à 60 ans pour les personnes dites à «
carrière longue » ayant commencé à travailler à 18 ou 19 ans. Plutôt une bonne
nouvelle pour ceux qui ont bénéficié de cette mesure mais pour le plus grand
nombre de salariés, le compte n’y est pas car cette décision gouvernementale
n'a pas remis en cause les réformes Balladur et Fillon.
Cette
dernière mesure touchera finalement peu de monde, 100 000 personnes environ.
Par ces temps de crise économique, les périodes de chômage sont en effet
relativement nombreuses et seul un nombre de salariés de plus en plus restreint
parviendra à avoir 40, 41 ou 42 annuités de carrière réelle. C’est d’ailleurs
pourquoi le gouvernement de Jean-Marc Ayrault est relativement serein quant aux
moyens financiers à dégager car ceux-ci seront relativement minimes.
En
2013, cerise sur le gâteau, l’accord du 13 mars 2013 concernant les retraites
complémentaires ARRCO et AGIRC, signé par la CFDT, FO et la CFTC, prévoit
d’indexer dorénavant chaque année celles-ci d’un point de moins que le taux
d’inflation. Un accord qui entérine, noir sur blanc, une perte de pouvoir
d’achat pour les retraités !
Travailler plus pour gagner moins…
La
rengaine est connue. Après avoir été chantée par Nicolas Sarkozy, elle est
maintenant reprise par François Hollande : « Dès lors que l’on vit
plus longtemps, on devra travailler aussi un peu plus longtemps ». Est donc
programmé l’allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d’une
retraite à taux plein : au lieu de 41,5 ans aujourd’hui, on passera à
41,75 en 2020 (génération 1957), 43 ans en 2050 (génération 1966), à 43 ans dès
2024 et 44 ans en 2028 !
Le
rapport Moreau, adoptant les hypothèses absurdes du conseil d’orientation des
retraites (COR), veut aussi augmenter la durée de travail alors que le chômage
flambe, à cause de la récession et de l’interruption de la tendance séculaire à
la baisse du temps de travail. Il table sur une croissance moyenne de la production
hautement improbable de 1,5 % par an pendant tout le prochain demi-siècle, avec
un taux de chômage de seulement 4,5%.
Mais
comment peut-on imaginer que la population dite active (incluant les demandeurs
d’emploi) augmente de plus d’un million d’ici 2017-2018, alors qu’il n’y aura
pas ou très peu de création d’emplois ? Déjà, le taux d’emploi des 55-64 ans
est passé de 36% en 2003 à 46% en 2012, tandis que le chômage des jeunes
atteint 26% et que rien n’est fait pour accroître l’activité des femmes.
Le
rapport Moreau veut également baisser encore les pensions en diminuant les
salaires « portés au compte », c'est-à-dire ceux qui serviront au
calcul des futures pensions.
Quel autre type de financement ?
Le
besoin de financement de toutes les caisses de retraites prévu pour 2020
s’élèvera à environ 20 milliards d’euros (dont 7 Mds pour le seul régime
général), soit une somme de l’ordre d’un point de PIB. Un ordre de grandeur à
rapprocher de la détérioration de la part de la masse salariale de 5 points
dans le PIB depuis trois décennies, que l’on retrouve essentiellement sous
forme de dividendes supplémentaires versés aux actionnaires, soit 100 Mds par
an, cinq fois le déficit attendu en 2020...
La
baisse des pensions ne suffisant pas à passer le cap de 2020, le taux de la CSG
des retraités passera de 6,6% à 7,5%, leur abattement fiscal de 10% sera
supprimé, les majorations de pension pour avoir élevé trois enfants et plus
seront imposables…
Le
rapport Moreau préconise une hausse des cotisations sociales de 0,1 point par
an à partager entre salariés et employeurs. Cette mesure rapportera 2,6 Mds en
2020. L’effort qui sera demandé aux entreprises s’élèvera à 1,3 Md,
c'est-à-dire à moins d’un cinquième de l’effort total, tandis que les 4/:5
reposeront sur les salariés actuels et anciens.
Mais
on pourrait aller dans une toute autre direction en soumettant à cotisations
l’ensemble des revenus des personnes physiques,
y compris les dividendes, tels que déclarés à l'administration
fiscale, d’autant plus que la part des salaires dans la richesse produite
chaque année a baissé de 10 points ces trente dernières années.
Un tel
changement serait à la fois plus juste et plus rémunérateur (un point de
prélèvement assis sur le revenu fiscal rapportant sensiblement plus que le même
taux appliqué sur le seul salaire).
Déjà
adopté partiellement ou en totalité par plusieurs pays, tous les citoyens sans
exception y seraient assujettis, même de façon symbolique pour les revenus les
plus modestes ou non imposables. Et l’actuelle CSG pourrait alors être
fusionnée avec l’impôt progressif sur le revenu en constituant ainsi une sorte
de cotisation universelle et progressive de Sécurité sociale finançant les
régimes vieillesse mais aussi les autres branches de Sécurité sociale.
Mais
après avoir fait la proposition de fusion entre la CSG et l’IRPP pendant la
campagne présidentielle, François Hollande l’a renvoyé aux calendes grecques.
Cela constitue une grave erreur car la seule possibilité de proposer une
alternative crédible au système actuel était d'instaurer, dès 2013, une
cotisation universelle progressive.
Le
problème de l’étroitesse de l’assiette salariale se pose également pour les
entreprises et les cotisations dites patronales. En effet, les entreprises à
fort taux de main d’œuvre, avec une forte masse salariale mais une faible
valeur ajoutée, se trouvent pénalisées par rapport à celles ayant une faible
masse salariale mais une haute valeur ajoutée.
Le
remplacement, même partiel, des cotisations patronales par une contribution sur
la valeur ajoutée serait la mesure la plus appropriée. Un tel changement
d’assiette serait une véritable révolution. Il reviendrait pour la première
fois à inclure les profits d’exploitation des entreprises dans l’assiette de
financement de la Sécurité sociale, notamment les entreprises ayant «ajusté à
la baisse» leur masse salariale à l’occasion de restructurations ou
délocalisations.
La
confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l’Union
patronale artisanale (UPA) y sont d’ailleurs particulièrement favorables, à la
différence du MEDEF.
Cette
proposition fut explorée à plusieurs reprises par le passé au travers de divers
rapports commandés aussi bien par Alain Juppé que par Lionel Jospin, anciens
premiers ministres mais elle est restée lettre morte…
Mais
une nouvelle fois, le gouvernement actuel socialiste, comme hier celui de
l’UMP, renvoie à plus tard un changement radical du mode de financement. Rien
n’est fait véritablement pour trouver une autre solution et sortir de la
situation de déficit chronique dans laquelle se trouvent le régime général, le
régime agricole ou les autres régimes spéciaux.
Une
vraie réforme du mode de financement supposerait d’en finir avec tous ces
«réformes » répétitives qui sont en fait, à chaque fois, des reculs de société :
multiplication des taxes et contributions diverses, baisse du montant des
pensions, non-indexation de celles-ci sur le taux d’inflation, recul de l’âge
légal, augmentation du nombre d’annuités pour toucher une retraite à taux
plein, augmentation de la CSG et la CRDS pour les pensions des retraités,
etc.
Le
système de financement actuel basé principalement sur le recouvrement de
cotisations sur salaires a relativement bien fonctionné pendant les «trente
glorieuses» mais il a atteint aujourd’hui ses limites. Le gouvernement de
François Hollande ferait bien d’en prendre conscience car faute d’un choix
politique clair en faveur d’une autre assiette de financement, ce sera encore
sur les salariés les plus modestes, les retraités, les revenus du travail que
pèsera le fardeau de la solidarité…
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