Le caricaturiste
et dessinateur de presse Maurice Albert Sinet est mort jeudi 5 mai 2016 à l'âge
de 87 ans des suites d'une maladie à l'hôpital Bichat à Paris.
Il avait
travaillé 27 ans pour Charlie Hebdo avant de quitter le journal satirique en
2008 et fonder son propre journal Siné Hebdo, puis Siné Mensuel…
Dès
sa jeunesse, Maurice Sinet, alias Bob Siné, est déjà révolté. Il
passe son service militaire en grande partie en prison puis commence à dessiner
en faisant des retouches sur des photos de revues pornographiques. Il publie
son premier dessin dans France Dimanche en 1952 et reçoit le grand prix de
l'Humour noir en 1955 pour son recueil " Complainte sans Paroles
".
En
1957, avec Jean Yanne pour les textes, il dessine dans une revue anticléricale
puis à la suite d’une série de dessins basée sur des jeux de mots mettant en
scène des chats, il entre à L'Express comme dessinateur politique. Il exprime
ses opinions anticolonialistes pendant la guerre d'Algérie.
Alors
qu'il remplace brièvement François Mauriac au bloc-notes du journal, son
« débloque-note » vaut à L'Express de nombreuses lettres indignées de
ses lecteurs. Défendu par Jacques Vergès, il quitte alors L'Express en 1962
pour créer son propre journal, " Siné Massacre ", qu'il lance avec
l'éditeur Jean-Jacques Pauvert. Jacques Vergès fonde alors une revue tiers-mondiste,
financée par le FLN, " Révolution africaine ", à laquelle Siné
participe quelque temps. En mars 1967, il invente le logo et propose les
couleurs (orange, rouge et noir) de la jeune Sonatrach, entreprise algérienne
d'hydrocarbures.
En mai
1968, il fonde " L’Enragé " avec Jean-Jacques Pauvert et dessine dans
" Action ".
Charlie
Hebdo
Mais
ce sera son passage à " Charlie Hebdo " en 1981 qui le fera
vraiment connaître ensuite pendant de très nombreuses années. En 1992, il prend
la rubrique « Siné sème sa zone » du nouveau Charlie Hebdo, non sans
quelques heurts avec la nouvelle direction.
Ses
problèmes avec la direction du journal se compliquent fortement en juillet
2008. Charlie Hebdo publie une chronique de Siné dans laquelle celui-ci dénonce
le prétendu opportunisme religieux de Jean Sarkozy : « il vient de
déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et
héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce
petit ! ». S’en suit une véritable fronde contre le caricaturiste qui
mène à son licenciement pour cause « d’antisémitisme ».
Une
grande partie des patrons de presse et de personnalités ont alors soutenu
Philippe Val - directeur de l’hebdomadaire - dans sa purge anti-Siné. Ainsi,
Bernard-Henri Lévy, Alexandre Adler, Claude Askolovitch, Pascal Bruckner,
Robert et Élisabeth Badinter, Laurent Joffrin mais aussi Dominique Voynet ou
Bertrand Delanoë n’hésitent pas à prendre leur plume pour attaquer Siné.
En
2009, Philippe Val quitte Charlie Hebdo pour prendre la direction de France
Inter et renvoyer quelques chroniqueurs encombrants... Il laisse la gestion du
journal satirique à Charb, qui au moment du licenciement de Siné, était
rédacteur en chef adjoint et avait pris parti contre le chroniqueur.
Siné a
gagné à deux reprises contre Charlie Hebdo. Une première fois, le 30 novembre
2010, quand le tribunal de grande instance (TGI) a rendu un jugement dépourvu
de toute ambiguïté : « Il ne peut être prétendu que les termes de la
chronique de Maurice Sinet sont antisémites, (…) ni que celui-ci a commis une
faute en les écrivant (…). [De plus,] Il ne pouvait être demandé à Siné de
signer et faire paraître une lettre d’excuse ». Charlie Hebdo (plus
précisément la société Les Éditions Rotatives) a été condamné à verser 20 000
euros à Siné pour rupture abusive de contrat. En outre, pour le TGI, « la
médiatisation de la rupture et le caractère humiliant de son annonce apprise en
même temps que les lecteurs par la publication du numéro du 16 juillet 2008,
ont causé à Siné un préjudice moral qu’il convient d’indemniser en lui allouant
la somme de 20 000 euros ». Soit un total de 40 000 euros auquel il faut
ajouter 5 000 euros de frais de justice.
Pourtant
Charlie Hebdo a préféré faire appel. Et Siné a remporté une deuxième victoire
avec un jugement encore plus dur pour l’hebdomadaire. Le journal est condamné
une nouvelle fois par la justice à verser des dommages et intérêts au
dessinateur pour rupture abusive du contrat qui le liait au journal depuis 16 années.
L’hebdomadaire dirigé par Charb devra également publier sur la couverture, un
communiqué judiciaire sur un bandeau de 15 centimètres de haut sur toute la
largeur sous peine d’astreinte de 2000 € par semaine. La cour d’appel de Paris
par un arrêt du 14 décembre 2012 confirme ainsi le jugement de tribunal de
grande instance de Paris.
Le 27
août 2008, Siné annonce sur son blog la sortie de son propre hebdomadaire
satirique, Siné Hebdo, avec pour rédactrice en chef sa femme
Catherine Failliot. Parmi la cinquantaine de collaborateurs se trouvent Guy
Bedos, Philippe Geluck, Christophe Alévêque, Jackie Berroyer, Benoît Delépine,
Isabelle Alonso, Denis Robert, Michel Onfray, Delfeil de Ton...
Mais
faute de rendement suffisant, le journal s'arrête le 28 avril 2010.Toutefois,
un an et demi plus tard, Siné, sa femme et une grande partie de l'équipe de
Siné Hebdo reprennent l'aventure avec " Siné Mensuel, le journal qui
fait mal et ça fait du bien ", dont le premier numéro est mis en vente en
septembre 2011. C'est un succès, puisqu'il est acheté par environ 50 000
lecteurs.
La
veille de sa mort, un billet, posté sur le site internet de son journal
satirique, était comme un mauvais pressentiment. Le dessinateur avait
écrit un texte poignant dans lequel il évoquait sa " disparition
prochaine, sinon imminente ". Quelles que soient les péripéties de
l'histoire, ce fut un des hommes qui ont marqué la vie de nombreuses personnes,
au même titre que Cavanna, Cabu, Wolinski, Reiser, Choron…
Siné
n'était pas antisémite.
Siné
n'aimait pas les cons.
Siné
était un anar.
Adieu
Bob !
Photo
Creative Commons
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire