29 décembre 2006

Collectifs anti-libéraux : le suicide des baleines

Le suicide des baleines

A la confluence de sensibilités diverses, d’histoires et de patrimoines culturels militants pluralistes, les collectifs anti-libéraux étaient un espace innovant, ouverts à la convergence et au consensus.

Toutes les forces réunies savaient que seule une candidature - trait d’union entre toutes les sensibilités - en dehors de tout représentant officiel d’un parti, pouvait faire renaître l’espoir né au lendemain de la victoire du "NON" au référendum sur le TCE en 2005.

Les décisions du PCF de faire entrer en campagne sa secrétaire nationale ainsi que le repli identitaire de la LCR, portent un rude coup à la construction d’une nouvelle gauche faisant le lien entre le meilleur des traditions du mouvement ouvrier et l’inventivité d’une nouvelle gauche radicale, sociale et écologique.

Cet échec n’est pas forcément une bonne nouvelle pour Ségolène Royal qui aura besoin de toutes les voix à la gauche du PS pour pouvoir l’emporter au deuxième tour de l’élection présidentielle. L’autre gauche, ainsi dispersée, risque de manquer à la gauche.

Pour Jean-Luc Mélenchon qui a défendu la nécessité de cette «union dans l’union», c’est une «une grande déception».

Pour Bernard Langlois, journaliste à Politis, le PCF risque maintenant de disparaître complètement de la scène politique… 


On sait que, pour des raisons obscures, les baleines parfois se suicident. On les retrouve, agonisantes, échouées sur quelque grève, offrant leur corps obèse à la curiosité des foules ébaubies : que la baleine est triste à voir sur la plage où elle vient mourir (je sais : le « suicide » des baleines a sans doute plus à voir avec le réchauffement climatique qu’avec un supposé désespoir; cet anthropomorphisme n’est venu sous ma plume que pour faire image...) !

Ainsi, comme la baleine, le Parti communiste français a choisi de se suicider. Et il entraîne, dans sa disparition programmée, celle des espoirs nés d’un rassemblement d’une gauche radicale capable de peser dans le débat de la présidentielle.

Les rénovateurs du parti, et avec eux nombre de militants connus et inconnus, se seront battus jusqu’au bout pour tenter d’éviter cette issue fatale, en vain. Avec un indéniable talent et des accents de sincérité à vous arracher des larmes, la secrétaire nationale aura jusqu’au bout, sur toutes les tribunes, à tous les micros, affirmé sa volonté d’accoucher enfin de ce rassemblement unitaire antilibéral dont elle proposait, modestement, d’être le porte-drapeau ; tout en sachant fort bien qu’il ne pouvait en être ainsi, que jamais la diversité des composantes du dit rassemblement ne pourrait s’accommoder d’une candidature issue d’un parti ­ fût-il majoritaire et le partenaire le plus puissant : parce qu’il est le plus puissant et majoritaire ; et encore moins que cette candidature soit celle de la « patronne » de ce parti. Double langage, adossé à de savantes manœuvres de manipulation des comités de base, où des militants encartés et soigneusement conditionnés, surgis de nulle part, sont venus dans la dernière ligne droite voter au canon pour la seule candidate possible aux yeux de l’appareil : Marie-Georges. Restait, en toute candeur, à tirer la leçon d’un apparent bon sens : « La démocratie a parlé, les comités m’ont désignée, qu’y puis-je ? » Dans une ultime concession illusoire, on va donc faire revoter le parti, qui confirmera la vox populi. Puis, parenthèse refermée, le PCF entrera en campagne ; et les comités chercheront à sauver ce qui peut l’être : pas grand-chose en l’occurrence. Pour l’immédiat de la présidentielle.

Pèse toujours cette vieille fatalité sur tous les efforts de recomposition d’une gauche française digne de ce nom : on ne peut rien faire sans le PCF ; mais on ne peut rien faire non plus avec lui. Rideau.

La période qui se clôt ainsi (provisoirement), née dans l’euphorie de la campagne unitaire du référendum et de la victoire du non, qui est apparue porteuse de tous les espoirs, est riche d’enseignements.

Et d’abord, le succès des rassemblements unitaires : les grands meetings, les salles bourrées de monde et d’enthousiasme ; les débats passionnés des collectifs, in vivo et sur le Net ; les acquis programmatiques de cette période militante très riche. Tout cela est engrangé et ne sera pas perdu ­ même si c’est râpé pour la présidentielle (le rendez-vous le plus difficile par nature), suivent des législatives, des municipales...

Ensuite, le grand trouble qui agite le PCF : la ligne imposée par l’appareil est très loin de passer comme une lettre à la poste. En témoignent notamment les démissions de Zarka, de Martelli et de quelques autres du comité exécutif, qui dénoncent « les réflexes régressifs resurgis à l’intérieur du parti [qui] mettent en cause l’unité des communistes » ; ou encore, la lettre de quelques vieux « historiques » (Séguy, Sève, Ralite, Mazauric, Simon), appelant leurs camarades à ne pas se bloquer sur la candidature Buffet et à « assurer autrement, à moindres risques, la tenue du cap décidé en commun » ; et les nombreuses pétitions, adresses, messages surgis de partout. À l’inverse, de vieux relents de stalinisme remontent aussi des profondeurs, comme l’accusation d’anticommunisme (envers ceux qui ne sont pas au PC) ou de traîtrise (pour ceux qui y sont) à l’adresse des réfractaires à la ligne juste : l’illustre bien la pitoyable polémique autour de la couverture du mensuel Regards (une représentation de la Cène, où les visages des différents acteurs du rassemblement unitaire figurent sur les corps des apôtres, et où, « par intention maligne, par dénigrement », assurent les partisans de la secrétaire nationale, la frimousse de Marie-Georges a été placée sur le corps de Judas ! Shame and scandal in the family !) (1). Il sera difficile de mobiliser pour une campagne communiste pur sucre... En fait, une majorité de communistes n’ont pas encore compris ce qu’il y aurait eu à gagner ­ y compris pour leur parti, le plus fort et le plus organisé des partenaires du « rassemblement unitaire » ­ à renoncer au passage en force : sans rêver tout debout à une présence au second tour, un probable score à deux chiffres à la présidentielle aurait créé une position de force, oubliée depuis bien longtemps, pour peser sur la candidate socialiste (qu’il faudra bien soutenir in fine si l’on veut éviter cinq ans de sarkozysme), et la possibilité de belles victoires aux législatives qui suivront, en concurrence avec le PS ­ et non plus en venant lui manger dans les mains pour s’assurer quelques bastions, comme c’est devenu la règle. C’eût été un choix stratégique essentiel, dont nos voisins allemands et hollandais ont déjà expérimenté la validité. Le PCF préfère le confort de la satellisation au PS, comme déjà le PRG, les chevènementistes et les Verts.

Tant pis pour lui (bien heureux s’il atteint les 5 % !) et pour nous tous : la recomposition politique de la gauche finira par se faire ; mais nous ne sommes visiblement pas encore au terme de la décomposition !

Il faut aussi pointer, dans ce marasme, la responsabilité de quelques autres protagonistes. Celle de José Bové, qui semblait pouvoir, grâce à sa popularité (payée cash), à sa « surface » internationale, à son positionnement à la confluence du combat syndical et de la lutte écologiste, être le porte-drapeau le plus efficace pour une campagne unitaire antilibérale : peut-être a-t-il été trop absent ou a-t-il paru trop détaché dans le débat préparatoire, peut-être a-t-il jeté l’éponge trop vite ? De même, le refus de la direction de la LCR de se jeter de toutes ses forces dans la bataille, la mise en avant d’une campagne autonome Besancenot n’ont guère joué en faveur d’une solution. Mais peut-être ont-ils senti très vite l’un et l’autre, avant tout le monde, que Buffet et l’appareil avaient choisi de les « balader », et tous les autres avec... Sauf coup de théâtre de dernière minute, dont je serais ravi (mais je n’y crois pas), nous voici donc tous orphelins d’une candidature de rassemblement et de la belle campagne qui pouvait s’y raccorder. Nous aurons quatre, voire cinq candidats à la gauche du grand parti attrape-tout ségoléniste. Comme d’hab.

Comme le ralliement du Che et celui du parti cassoulet à la Pimprenelle sont acquis, même plus besoin d’un vote utile de premier tour. 

On pourra aller à la pêche (ou voter blanc, ce qui est préférable). 


© Bernard Langlois, décembre 2006 


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3 commentaires:

Francis a dit…

L’échec de la gauche anti-libérale est le symptôme d’une incapacité à accepter l’autre.

Pour nombre de militants de la gauche radicale, le compromis équivaudrait à la compromission.
Le compromis est inacceptable parce que traître à l’idée qu’ils se font d’un monde idéal.

Un jour peut-être l’un de ces mouvements réussira…

Sophie a dit…

Les communistes vivent la situation politique actuelle de manière schizophrène : d’un côté, ils ont le sentiment que leur parti se porte mieux, de l’autre ils sont inquiets voire fébriles à l’approche des échéances de 2007.

Sylvie a dit…

Mais enfin, je ne comprends pas où est le problème ? On n'a qu'à maintenir l'Union de Gauche antilibérale sans le PCF, avec les militant LCR unitaires et les militants PCF unitaires !

Sans MG Buffet et sans le bureau politique du PCF, cela pourrait faire revenir Olivier Besancenot, José Bové et, qui sait, peut-être Arlette Laguiller, puisque leur problème était principalement lié au PCF !