Pierre
Mendès France aurait eu 100 ans en janvier 2007. Président du conseil du 18
juin 1954 au 5 février 1955, c’est un véritable testament qu’il laisse aux
générations futures : « Ceux qui veulent conjuguer l’égalité et la liberté,
construire le socialisme à visage humain, doivent toujours mettre et remettre
au premier plan le souci et l’exigence de la démocratie politique ».
En
concevant la République comme un combat historique et démocratique, et non un
pouvoir à conserver et à isoler de la société, PMF, comme Jaurès, était en
quelque sorte l’honneur de la gauche.
Son
hostilité constante aux institutions de la 5ème République, voulues par le
Général de Gaulle et maintenues par François Mitterrand, l’a finalement
conduit, dans la seconde partie de sa vie, à un certain retrait de la vie
politique. Malade après 1972, il choisit d’œuvrer surtout en faveur de la paix
au Proche-Orient.
Concernant la mise en œuvre de réformes, il réaffirmait notamment au moment de la victoire de la gauche en 1981, le principe selon lequel si les réformes nécessaires au pays ne sont pas engagées dans les six premiers mois qui suivent l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement, elles ne se font jamais.
La
rareté de vraies réformes administratives, économiques et sociales depuis plus
de trente ans démontre bien la véracité de ses propos. Et ne voit-on pas
aujourd’hui le spectacle affligeant du gouvernement de Jacques Chirac, après
une législature de cinq ans, qui veut légiférer en catastrophe sur tous les
sujets à la fois et sans avoir au préalable étudier sérieusement les dossiers
!
A
propos de la fiscalité, sujet de discussion actuellement, PMF disait déjà qu'il
convenait de réduire la fiscalité indirecte car elle risquait d'entraîner une
paupérisation grandissante des salariés. Cette prévision s’est avérée
malheureusement juste avec une pauvreté de masse qui touche aujourd’hui plus de
7 millions de personnes et un budget de l’Etat alimenté à plus de 80% par les
impôts indirects et à moins de 20% par les impôts sur le revenu.
Cette
particularité du budget en France ne choque pas beaucoup nos femmes et hommes
politiques qui parlent volontiers de baisse d’impôts sur le revenu mais en
oubliant complètement de dire que ceux-ci ne sont les principaux impôts
aujourd'hui !
Nicolas
Sarkozy veut même réduire encore un peu plus l’impôt progressif sur le revenu
pour les tranches les plus élevées du barème et épargner notamment les 378 000
millionnaires en euros de ce pays.
Cette
répartition singulière et injuste entre fiscalité directe et indirecte ne
choquait pas non plus, hier, Dominique Strauss-Kahn, ministre des finances sous
le gouvernement Jospin, qui oublia très vite ses promesses, par exemple celle
consistant à intégrer la taxe immobilière, de plus en plus importante, dans
l’impôt sur le revenu. Elle choquait encore moins son successeur, Laurent
Fabius, qui décida carrément de baisser l'impôt sur le revenu pour toutes les
tranches mais toujours à l'avantage des tranches les plus élevées du
barème...
Pourtant,
la fiscalité locale augmente continuellement et frappe les riches comme les
pauvres de la même façon, même si quelques exonérations ou dégrèvements sont
parfois possibles. Aujourd’hui, il est devenu presque banal de «sortir» un mois
de salaire pour payer la taxe d’habitation et la taxe foncière ! Modifier
le rapport entre fiscalité directe et indirecte est donc une réforme
essentielle à engager, d'autant que l'Etat transfère de plus en plus de
compétences aux collectivités territoriales, sans assurer parallèlement tous
les financements correspondants.
Deuxième
exemple, à propos de l’Europe et du traité instituant la Communauté européenne,
signé à Rome le 25 mars 1957. PMF était très critique par rapport à ce traité
car celui-ci ne traitait que de l’aspect économique de la politique européenne
et laissait de côté (déjà…) l'harmonisation fiscale et le domaine social. Qui
s'en souvient encore aujourd'hui ? 50 ans après la signature de ce traité,
de nombreuses personnalités politiques, se réclamant de PMF, ayant voté Oui au
Traité constitutionnel en 2005, continuent à nous expliquer que l’harmonisation
sociale et fiscale en Europe, c’est pour demain…
Concernant
enfin la paix dans le Monde. PMF avait promis de faire cesser la guerre en
Indochine et le 20 juillet 1954, il signait l’accord de paix de Genève mettant
fin au conflit. Après son départ du pouvoir en 1955 puis la chute du
gouvernement Edgar Faure en janvier 1956, Guy Mollet allait commencer une autre
guerre en Algérie...
On
pourrait ainsi multiplier les exemples qui montrent tous qu’en ce qui concerne
l’action politique à mener et les réformes à engager, il ne suffit pas d'avoir
de bonnes intentions, il faut encore un projet clair, la volonté et le courage
de le mettre en œuvre…
Mendès, l'oublié de la gauche par Vincent Duclert, historien et professeur à
l'Ecole des hautes études en sciences sociales
Pierre Mendès France n'existe plus dans la mémoire de la gauche. Ce constat
abrupt n'en est pas moins fondé tant le silence des responsables politiques est
profond. Même les anniversaires n'y font rien. Ainsi l'indifférence a-t-elle
accompagné le cinquantenaire de l'expérience gouvernementale de 1954-1955,
moment pourtant capital de la seconde moitié du XXe siècle français. Le dernier
grand hommage de la gauche à Mendès France lui a été rendu le 21 mai 1981,
lorsque François Mitterrand, nouvellement élu président de la République, le
gratifia d'un : "Sans vous, rien de tout cela n'aurait été possible."
L'hommage n'en était pas moins ambigu, les deux hommes, porteurs de conceptions
contraires du politique, s'étant souvent heurtés. Le recul de "PMF"
dans la mémoire de la gauche est tel que son héritage a fini, signe des temps,
par être revendiqué à droite. Le 3 décembre 2003, le Premier ministre
Jean-Pierre Raffarin - dont le père avait appartenu au gouvernement de Mendès -
attaqua la gauche au nom de "(sa) famille politique" et de
"(son) histoire politique - Pierre Mendès France et bien d'autres".
Comment
expliquer cette absence, qui confine au rejet, puisque Pierre Mendès France a
été dans le passé une référence pour la gauche et plus encore un acteur
essentiel de son histoire, avec ses sept mois et dix-sept jours de mobilisation
gouvernementale et de succès internationaux, avec la victoire du Front
républicain faite sur son nom et son bilan l'année suivante, sans oublier son
rôle dans la France libre du général de Gaulle, sa tentative de transformer le
Parti radical en une gauche moderne et démocratique, sa contribution majeure à
l'émergence d'une "deuxième gauche" libérale, antitotalitaire,
réformiste, incarnée dans le Parti socialiste autonome (1958) puis dans le
Parti socialiste unifié (1960)
1. -
Les compagnons de Pierre Mendès France ont pour beaucoup disparu (comme Simon
Nora, le 5 mars 2006). Pourtant les engagements intellectuels et civiques de
ceux qui restent, comme Stéphane Hessel luttant pour les sans-papiers ou
Jean-Louis Crémieux-Brilhac pour la recherche scientifique, donnent plus encore
à regretter qu'ils soient désormais si peu nombreux.
2. -
Les responsables de gauche qui ont fait du mendésisme une inspiration et une
politique ont presque tous quitté la scène nationale. C'est le cas de Michel
Rocard, qui avait cofondé le PSA puis le PSU et défendu une pratique morale de
la politique. Jean-Pierre Chevènement, qui a pu lui aussi se réclamer du
mendésisme, est en voie de normalisation depuis son retour de facto au Parti
socialiste. Jacques Delors n'a plus de responsabilités majeures depuis son
renoncement à la présidentielle de 1995. Alain Savary est mort le 17 février
1988. Pierre Bérégovoy s'est suicidé le 1er mai 1993.
3. -
Les adversaires de Pierre Mendès France ont triomphé, que cela soit à la gauche
de la gauche, avec la radicalisation idéologique des extrêmes, au Parti
radical, qui, scindé en deux formations (1971-1972), a pratiquement disparu de
la scène politique, et surtout au Parti socialiste du congrès d'Epinay (1971),
où le cynisme mitterrandien a marginalisé l'homme et ses idées. Que la candidate
actuelle du PS à la magistrature suprême se passionne tant pour l'ancien
président de la République laisse mal augurer d'un réveil du mendésisme.
4. -
L'Etat et l'économie, qui avaient été les deux moyens privilégiés de l'action
gouvernementale et de la pensée de Pierre Mendès France, s'éloignent de
l'initiative politique. Ou du moins le pouvoir politique s'est-il résigné à ce
qu'ils ne figurent plus parmi les moyens souverains d'une politique au service
de tous et de l'intérêt général.
5. -
Enfin, le langage de l'histoire par laquelle passerait la reconnaissance de
l'héritage mendésiste n'appartient pas plus aux ressources de la gauche. On en
a pour preuve que l'audience des nombreux et souvent excellents travaux
consacrés à Pierre Mendès France et au mendésisme, de Claire Andrieu à François
Stasse en passant par Jean Lacouture, Jean-Louis Rizzo ou Eric Roussel, ses
biographes, et sans oublier la douzaine de colloques scientifiques co-organisés
par l'Institut Pierre Mendès France, ne dépasse pas les sphères de la recherche
et du public éclairé. La coupure des milieux politiques avec le savoir
historien est particulièrement vive.
La
relation forte qui unit les historiens et Mendès France ne traduit pourtant pas
simplement la valeur historique de cette expérience politique. Il existe une
dimension intellectuelle chez l'homme d'action qui explique que certains des
plus grands historiens français (Charles-André Julien, Ernest Labrousse,
Henri-Irénée Marrou, Claude Nicolet), au sein d'une communauté de savants
engagés (Pierre Auger, André Lichnerowicz, Jacques Monod, Etienne Wolf),
choisirent d'œuvrer pour lui.
A
l'inverse d'un général de Gaulle ou d'un François Mitterrand, qui ont inventé
des mythes historiques pour fonder leur rapport à la nation, Mendès France a
plongé dans le passé républicain pour en extraire une pensée de la démocratie
accordant aux individus et aux idées une autonomie, une liberté, un avenir. Il
faut lire les exceptionnels portraits qui forment, avec La vérité guidait leurs
pas (Gallimard, 1976), le panthéon politique de PMF, de Jules Ferry à Jean
Jaurès, d'Aristide Briand à Léon Blum, de Winston Churchill à Georges Boris, le
collaborateur sans égal, l'ami parfait, décédé trop tôt, en 1960.
La
vérité guidait leurs pas, dernier ouvrage publié de son vivant, s'ouvre sur une
longue réflexion sur "l'homme d'Etat et le pouvoir". C'est un
véritable testament politique à destination des générations futures :
"Ceux qui veulent conjuguer l'égalité et la liberté, construire le socialisme
à visage humain, doivent toujours mettre et remettre au premier plan le souci
et l'exigence de la démocratie politique."
L'inexistence
de Pierre Mendès France dans la gauche française n'a pas d'autre raison que sa
vérité passée. En concevant la République comme un combat historique et
démocratique, et non un pouvoir à conserver et à isoler de la société, l'ancien
homme d'Etat, lui dont la vie "est en quelque sorte une traversée de la
démocratie française au XXe siècle" (Pierre Rosanvallon), s'est condamné à
une postérité difficile mais glorieuse.
Comme
Jaurès, Mendès France est la vigie de la gauche. C'est-à-dire son honneur. Mais
qui en a encore conscience aujourd'hui ?
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7 commentaires:
PMF aimait surtout rencontrer les hommes et les femmes dans leur diversité sociale et professionnelle, “les uns engagés, les autres ne faisant pas de politique, tous étaient en contact direct avec les réalités qui font notre pays.”
On peut rappeler aussi sa réflexion sur la place de l’Etat dans la vie économique et sociale et ce qu’il appelait “la part du citoyen” sans laquelle la République ne peut exister.
Il faut lire ou relire “La République Moderne”.
Le monde évolue c'est l'impermanence; Le renouveau est incarné par Ségolène.
Nouvelle méthode qui suscite incompréhension mais l'histoire lui donnera raison arguments sur http://poly-tics.over-blog.com/
“La République moderne” est toujours un livre à lire ou à relire.
Aucun homme politique n’a été comme lui depuis 1955.
J’ai 81 ans et je ne l’ai jamais oublié.
Sa dignité était exemplaire et il doit rester dans toutes les mémoires.
En 1972, j’étais étudiant en Psychologie à Grenoble et je me souviens de ses débats avec les étudiants et de sa tolérance envers les jeunes gauchistes.
Son analyse de la politique en France et dans le Monde était parfaite.
Incontestablement, PMF reste la personnalité politique qui a le mieux incarné des vertus telles que la morale, la raison, la confiance dans le citoyen, la nécessité de la pédagogie pour toujours mieux expliquer les décisions prises.
Il est, aussi, un des premiers à gauche a avoir souligné l’importance de l’économie dans la mise en œuvre de toute politique.
Son message est plus actuel que jamais.
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