05 avril 2008

Les paradis fiscaux : un véritable péril pour la démocratie (1)

Bayahibe est une petite station balnéaire de République dominicaine

Commencée en Allemagne, la traque à la fraude fiscale, via le Liechtenstein, a pris une dimension internationale et touche désormais plus de dix pays, dont les Etats-Unis, la France, l’Italie, la Suède et l’Australie.  

Les informations bancaires confidentielles, achetées pour plus de 4 millions d’euros par les services secrets allemands à un informateur au Liechtenstein, ont en effet été transmises à plusieurs pays dont la France. 

Le ministre du Budget, Éric Wœrth, a reconnu que quelque 200 Français seraient concernés et a bien promis d’aller «jusqu’au bout» de cette affaire d’évasion fiscale mais, à la différence de l’Allemagne et après plusieurs mois d’enquête, les choses ne semblent pas avoir beaucoup avancées. 

Et Bercy a rappelé que contrairement à l’Allemagne, la Direction générale des impôts ne «rémunère aucune information, quelle que soit leur nature», qui pourrait permettre d’épingler les fraudeurs, une façon de dire que la France agira à minima dans ce dossier, une habitude également réaffirmée plusieurs fois par Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était ministre du budget…  

 

Depuis une trentaine d’années le capitalisme mondial a connu une extraordinaire mutation qui se caractérise par deux phénomènes majeurs : l’accélération de la globalisation, aussi bien au niveau de l’économie réelle (production et échanges) qu’au niveau financier, et la tendance à la déréglementation totale. A partir de la fin de la période allant de l’après-guerre au début des années 70 (les Trente Glorieuses), les capacités de régulation politique, économique et sociale des gouvernements se sont considérablement amoindries. 

Ce qu'ils sont 

Situés le plus souvent près des grands pôles d’activité, les paradis fiscaux canalisent les flux financiers de l’économie illicite : argent du crime, de la corruption et de la fraude fiscale. Après retraitement, ces sommes colossales " travaillent " en toute légalité dans les circuits financiers internationaux. Les sommes ainsi mises en circulation chaque année représenteraient entre 15 et 30 % des dettes publiques cumulées, qui s’élèvent à quelque 5 000 milliards de dollars. 

Les paradis fiscaux attirent donc tous ceux qui refusent la solidarité par l’impôt, laissant à leurs concitoyens le soin d’en acquitter la charge. Les grandes fortunes et les multinationales en font un usage massif. C’est une des explications de l’appauvrissement relatif des Etats et de la diminution corrélative de leur capacité de régulation, voire de sauvetage du système lui-même. 

Dès lors que les capitaux circulent à la vitesse de la lumière et en totale liberté, les grosses fortunes et les multinationales vont chercher systématiquement à se soustraire à toute autorité publique - nationale ou supranationale - pour échapper au fisc, au juge ou au policier. Elles utiliseront d’abord les insuffisances de la législation fiscale et sociale locale, puis, si cela ne suffit pas, les paradis fiscaux. D’une manière générale, elles profiteront au maximum de l’absence totale de la loi dans la plupart des relations économiques mondiales pour faire fi de toute considération culturelle, écologique, sociale ou humaine. 

Conséquence mécanique de cette inexistence de règles, la criminalité économique et financière tend à "coiffer" et fédérer toutes les grandes criminalités. Elle s’appuie sur le secret, le silence et l’apathie des Etats. Les dégâts considérables qu’elle cause aux sociétés sont en effet peu connus, peu mesurés, faute de victimes directes apparentes. A ce jour, les services répressifs sont désarmés : face à un crime mondial, quel juge, quel policier, quel droit ? L’économie licite s’en trouve fragilisée et les Etats ne sont plus maîtres de leurs décisions. Surtout, la criminalité tend à devenir le comportement normal des multinationales et des très grandes fortunes, sous le paravent d’activités légitimes ou prétendues telles, comme la grande spéculation internationale. 

Fraude fiscale 

En France, la fraude fiscale coûte chaque année, selon le SNUI (Syndicat National Unifié des Impôts) une somme comprise entre 40 et 50 milliards d’euros par an. Elle se double désormais d’une compétition internationale, les Etats pratiquant un dumping suicidaire ne leur laissant d’autre alternative que de s’amputer de leurs outils d’intervention et de solidarité (santé, enseignement, retraites) et/ou de pressurer ceux qui ne peuvent échapper aux impôts et aux cotisations (salariés et retraités, principalement).

 Corruption 

La corruption est l’autre facette des mêmes mécanismes. Chacun a pu en constater les ravages dans les domaines politique et administratif. Les juges se sont trouvés en première ligne, les dirigeants ne voulant pas voir le danger mortel qu’elle représente pour les démocraties. Pour couronner le tout, la corruption transnationale a pris une ampleur sans précédent : "commerce" avec l’Est, l’Afrique, l’Asie, mais aussi détournements de subventions et de fonds internationaux. Là encore, l’absence de contrôle citoyen des organisations internationales (FMI, Banque mondiale, Banque des règlements internationaux, OMC) a eu un effet multiplicateur, l’idéologie ultralibérale ayant légitimé l’affaiblissement programmé des lieux démocratiques de décision. La corruption a pris une dimension telle que les détournements de fonds publics conduisent certains Etats à une asphyxie lente et ternissent l’image des institutions multilatérales. Et ce au bénéfice des intérêts privés, notamment de ceux des acteurs de la corruption, qui ont tout à gagner de l’impuissance étatique et de l’absence d’organes de régulation mondiaux. 

Privatisation des conflits 

Il n’est que trop tentant pour les multinationales de profiter de ces espaces sans loi et à la souveraineté à vendre que sont nombre de paradis fiscaux pour y installer ou y favoriser l’implantation d’officines sécuritaires destinées à assurer la protection de leurs intérêts dans le monde, et d’abord le tiers-monde. Pour les Etats habitués à intervenir hors de leurs frontières, ces espaces sont autant de lieux privilégiés d’accueil de leurs basses œuvres, de bases d’appui de leurs services secrets et de sous-traitance de certaines actions militaires. Ils servent aussi à brouiller les pistes pour les exportations illégales d’armements. 

Pavillons de complaisance 

L’immatriculation de navires marchands dans des paradis fiscaux spécialisés, au travers de sociétés-écrans, permet d’échapper aux obligations sociales et fiscales des Etats maritimes. Le droit international de la mer est essentiellement un droit civil et non pénal. Comment faire payer des sociétés fictives ? Le naufrage de l’Erika fournit l’occasion de démonter la logique de ce système. Initiée au lendemain de la deuxième guerre mondiale par les groupes pétroliers américains, la pratique de la complaisance maritime a connu une vive accélération, au point de concerner maintenant les deux tiers de la flotte mondiale. Elle a bénéficié de la complicité généralisée des affréteurs, armateurs et Etats des pays dominants. Les conditions de travail et la sécurité d’exploitation de la flotte sont, de ce fait, tirées vers le bas : on peut dire que la "complaisance" a pollué l’ensemble du transport maritime international. Ici encore, le phénomène en vient à échapper à ses promoteurs et principaux bénéficiaires : il induit des risques croissants et maintient les tarifs de fret à des niveaux qui ne permettent plus le renouvellement normal de la flotte mondiale, dont l’âge moyen devient préoccupant. 

Blanchiment des capitaux 

Les paradis fiscaux sont les lieux où la finance sans lois, par le blanchiment d’argent, mélange et valorise fraude fiscale, corruption, trafics et activités en tous genres. S’y ajoutent les flux de la criminalité internationale organisée "classique" : drogue, prostitution, vols, rackets et autres. Mais pour en écouler les profits, le blanchiment est une opération préalable indispensable. Il consiste à multiplier les opérations intermédiaires de telle sorte que, " à la sortie ", l’argent puisse librement être réutilisé, investi, placé, géré en toute légalité. 

On distingue à cet égard le prélavage (paradis fiscaux), le lavage (autres paradis fiscaux), et le recyclage (intégration par des places financières fréquentables comme la Suisse ou le Luxembourg). Il y aura donc multiplication de sociétés écrans et de transferts très difficilement contrôlables de fonds d’une société à une autre. Chaque échelon pourra aussi jouer son rôle en matière fiscale. Tout ce qui permet de faire fructifier au passage l’absence de contrôle sera le bienvenu. 

Le blanchiment se fait aussi dans l’autre sens, par le "passage au noir" de recettes et bénéfices camouflés et d’évasions fiscales afin d’alimenter les circuits de la corruption et des trafics illégaux. 

Voilà où nous a menés une génération d’ultralibéralisme, qui a érigé en dogme la totale liberté de circulation des capitaux, du commerce, de l’investissement et de la concurrence, en prétendant que la "main invisible" du marché conduirait naturellement à l’équilibre optimal entre les individus et les Etats, retirant ainsi toute raison d’être aux réglementations économiques et sociales. 

Cette concurrence fiscale déloyale de certains pays aboutit à priver d’autres de ressources qui auraient pu être affectées à des projets sociaux. Ils favorisent aussi l’opacité : une masse importante de fonds qui transite par ces territoires provient de la corruption. Ces détournements de fonds publics privent ainsi les États du Sud de recettes qui auraient pu être affectées à leur développement. 

Et la lutte contre la criminalité financière constitue rarement une priorité nationale, pas plus en France qu’ailleurs. Si les gouvernements se donnent les moyens de recenser les vols de voitures (quelquefois même les vols de scooter…), ils se sont privés des instruments de mesure de la grande délinquance de l’argent par une succession de tolérances, de compromissions et de reculs. 

La France ne s’honore pas non plus à «fermer les yeux» sur certains mouvements de capitaux notamment dans deux micros états, dénoncés par l’ONU, l’Andorre et Monaco qui ont la particularité de se trouver pratiquement sur le territoire français et de compter pour l’un deux, à sa tête, un co-prince en la personne du Président de la République Française…

 

La liste noire des paradis fiscaux établie par l’ONU : 

Afrique et Océan indien : Libéria, Maurice, Seychelles. 

Asie, Pacifique et Moyen-Orient : Bahreïn, Doubaï, Iles Cook, Iles Marshall, Labuan, Liban, Macao, Mariannes, Nauru, Nioué, Région administrative spéciale de Hong Kong, Samoa, Singapour, Vanuatu. 

Caraïbes : Anguilla, Antigua, Antilles néerlandaises, Aruba, Bahamas, Barbade, Belize, Bermudes, Costa Rica, Iles Caïmans, Iles Turques et Caïques, Iles Vierges britanniques, Panama, Sainte-Lucie, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les Grenadines. 

Europe : Andorre, Campione, Chypre, Gibraltar, Guernesey, Ile de Man, Irlande, Jersey, Liechtenstein, Luxembourg, Madère, Malte, Monaco, Sercq, Suisse.



Merci à Attac France pour un certain nombre d’éléments d’information fournis : http://www.france.attac.org

 

Photo Creative Commons 


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8 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Habitant la frontière belgo-luxembourgeoise j’observe au jour le jour les désastres qu’un paradis fiscal peut avoir sur le fonctionnement d’une société...

Ne travaillant pas personnellement dans ce paradis fiscal, j’en suis néanmoins victime également ...prix de l’immobilier qui grimpe ... villages dortoirs, ... chutes des activités culturelles, absence en général de lien social, ... fuite des "cerveaux" vers le Luxembourg (exemple: impossible de trouver des ingénieurs, des comptables, techniciens spécialisés), ... désertification des régions au profit de la frontière ... impossibilité de trouver un emploi à mois de 70 KM de votre domicile, etc.

Bref, ... cette situation ne peut plus durer et les politiciens du OUI à cette Europe devraient se faire tout petit...

Popol

Albert Ricchi a dit…

Merci Popol pour ces commentaires qui résument tout à eux seuls...

Albert

Anonyme a dit…

Merci Albert d’aborder une sujet autant au centre des problèmes de notre société. Pour moi, la finance, c’est le nerf de la guerre...

Mais les gens préfèrent le sarko/ségo qui a voté Oui à une Europe qui tolère tout cela…

Pauvre France, cher pays de mon enfance…

Anonyme a dit…

Cher Monsieur,

Ah quel beau sujet, mais faire la différence entre évasion fiscale légale et illégale..;wouah cela prend du temps.

"après plusieurs mois d’enquête, les choses ne semblent pas avoir beaucoup avancées", donc rien d'étonnant car en France nous sommes des gens très sèrieux quand il s'agit de traquer les fraudeurs.

D'autant que l'actuel titulaire de la mission s'était fait épingler par la justice, sur plainte de la Cour régionale des comptes, en compagnie du Président du Conseil général de l'Oise pour une gestion frauduleuse de l'agence de développement de l'Oise dont il était directeur. Agence dissoute immédiatement après le constat des faits.Décision rare .

La traque aux fraudeurs n'est donc pas sa tasse de thé et des fraudes il ye en a un paquet en France (m^me les étrangers le savent et en profitent)fraudes fiscales en tous genres,fraude au reversement de la TVA par des entreprises volatiles,
fraude aux comptes sociaux,
fraude au permis de conduire,
fraude à l'assurance maladie,
fraude aux aides de l'Etat tous secteurs concernés,agriculture,élevage,petit commerce, entreprise,formation, etc...et selon une estimation recoupée ,cela avoisinerait, en cumulé, maintenant les 200 Milliards d'Euros !!!!!!!

On comprend que les services soient à la fois débordés et doivent faire le tri entre les gros poissons et les petits.

Mais comme les français à l'image de leurs responsables politiques sont des gens intelligents, ils ne dénoncent pas un état de fait qui leur convient bien.

Allez ce sujet est biaisé, n'attendez aucun résultat tangible dans l'état actuel de la psychologie gouvernementale.

Bien cordialement,
JC

Albert Ricchi a dit…

Merci Jean-Claude pour ces commentaires éclairés.

Albert

Anonyme a dit…

Le hasard m’avait mis un jour en contact avec un courtier (dont l’activité se situait à Londres à l’époque) en «comptes anonymes» et la conversation intéressante que j’avais pu entretenir avec cette personne, m’a beaucoup surpris.

Ce dernier m’affirma que le volume d’argent sur les comptes ouverts dans les paradis fiscaux étaient aussi importants que ceux figurant sur des comptes normaux, et que pratiquement toutes les personnes « importantes » à travers le monde, faisaient appel à ces types de comptes…

Anonyme a dit…

Remettre en cause le blanchiment, c’est remettre en cause le libéralisme.

Le libéralisme est par essence contre la redistribution, la solidarité et donc l’impôt.

Sachant que les paradis fiscaux abritent (et encouragent donc) l’argent de la corruption, du grand banditisme, des trafiquants de drogue, du terrorisme, des exploitants de la misère, des égoïsmes des individus... n’importe quelle morale devrait naturellement implorer la disparition de ses "paradis".

Et pourtant ce sera bien la dernière chose a disparaitre, comme quoi les décideurs et les profiteurs de ce système ont décidément bien peu de morale...

Anonyme a dit…

Demandez à la Suisse, au Luxembourg, à Monaco et aux autres, s’ils sont prêts à sacrifier leurs gagne-pain.

Demandez à l’Europe, à la Russie, aux États-unis en autres, s’ils sont prêts de diviser par deux leurs exportations.

Demandez aux escrocs politiques en tous genres, s’ils sont prêts à se convertir à la pauvreté.

Demandez aux pétroliers, commerçants et autres multinationales de se passer d’une poule aux œufs d’or…

Demandez aux trafiquants d’armes, s’ils sont prêts pour une paix mondiale.

Demandez à votre banquier et vos assureurs, pourquoi ils n’ont aucun intérêt que cela cesse.

Demandez-vous, pour qui vous travaillez, pour vos enfants ou votre cercueil ?

Tous responsables, coupables, complices…