En
promettant une grande réforme fiscale en cas de victoire à l’élection
présidentielle de 2012 puis en confiant le Ministère du Budget à Jérôme
Cahuzac, François Hollande a commis une triple erreur.
Dans
un pays où règne non seulement une injustice fiscale notable mais aussi une
fraude géante dont le montant est supérieur à la recette même de l’impôt sur le
revenu, le choix de Jérôme Cahuzac, fraudeur lui-même, était incompatible avec
la mise en chantier d’une réforme fiscale de fond. François Hollande a ignoré
ou feint d’ignorer le passé sulfureux de son ministre du Budget à qui il
n’aurait jamais dû confier ce poste sensible.
Il
n’aura pas compris enfin, comme le rappelait encore Pierre Mendès France, peu
avant sa mort en 1982, que si la mise en œuvre des réformes nécessaires au pays
ne sont pas engagées dans les six premiers mois qui suivent l'arrivée au
pouvoir d'un nouveau gouvernement, elles ne se font jamais…
Croissance, croissance ce mot répété, tel un perroquet gris du Gabon, par
François Hollande depuis l’élection présidentielle serait le remède miracle à
la rigueur et aux déficits publics.
Aujourd’hui,
la croissance est quasiment nulle et l’annonce d’un déficit budgétaire pour
2012 de 4,8% du PIB n’est guère encourageant. Ce qui devait arriver est
arrivé : la réduction des dépenses publiques, le sauvetage coûteux de
Dexia ou la contribution supplémentaire à l’Union Européenne, pour ne citer que
ces trois exemples, ont cassé la croissance.
Désormais,
les pertes de recettes fiscales et sociales sont sur le point de faire rentrer
la France dans le cercle mortifère de la récession. La plupart des économistes
sérieux, non aveuglés par la secte Bruxelloise, avaient annoncé exactement ce
qui est en train de se produire.
Cependant,
si le maintien de la France dans la zone euro n’offre guère de marge de
manœuvre, l’effondrement des recettes budgétaires pourrait être corrigé, au
moins en partie, par une grande réforme fiscale redistributive rendant du
pouvoir d’achat aux classes modestes et moyennes dont ni Pierre Moscovici, ni à
fortiori Jérôme Cahuzac, tous deux "strauskaniens" de souche, n’ont
jamais voulu.
Car en
matière fiscale, il convient de tordre le cou aux fausses vérités répandues sur
une fiscalité directe qui aurait un caractère excessif, voire confiscatoire.
L’impôt sur le revenu n’est en rien confiscatoire quoi qu’en dise l’UMP et tous
les tenants de l’argent facile. C’est surtout la fiscalité indirecte qui est
insupportable car elle a atteint des niveaux inégalés, 65% des recettes
budgétaires provenant de taxes diverses, TIPP ou TVA, cette dernière ayant été
récemment augmenté par le gouvernement.
Quid du rétablissement d’une réelle progressivité de l’IR ?
Dès
lors que le nombre de tranches comme l’éventail des taux d’imposition ont été
réduits et resserrés vers le bas, notamment par Laurent Fabius, ministre des
finances en 2000 et ministre le plus riche en 2013, la progressivité de l’IR
est aujourd’hui très réduite. Certes, le taux marginal vient de passer de 41% à
45 % pour les revenus supérieurs à 150 000 €, mais sans toucher au reste,
cela ne change quasiment rien ! Le système fiscal restera toujours dégressif
pour les plus hauts revenus. De plus, ce taux de 45% rapportera seulement
0,7 milliard € de recettes supplémentaires.
Or, le
simple rétablissement de quatorze tranches d’imposition telles qu’elles
existaient au début des années 1980, au lieu des cinq tranches actuelles
(5,50%, 14%, 30%, 41%, 45%), permettrait de rétablir une réelle progressivité
de l’IR et de dégager des recettes nettement supérieures aux 58 milliards
d'euros rapportés par l'IR en 2012 !
Au
lieu de cela, le Ministère des Finances a préféré opter pour un gel du barème,
ce qui représente en fait une hausse déguisée de l'IR supportée par tous les
contribuables (3,4 milliards d'euros de recettes espérées en 2013). "C'est
ce qu'il y a de plus injuste", c'était ainsi que François Hollande, alors
candidat à l'élection présidentielle, évoquait, en avril dans L'Express,
le gel du barème de l'impôt sur le revenu décidé par le gouvernement de
François Fillon pour 2012 et 2013, avec environ 1,7 milliard d'euros
d'économies pour l'Etat à la clé. Le futur président promettait alors de
revenir sur la mesure en 2013…
Quant
à la fameuse tranche à 75%, finalement payé que par les sociétés, elle illustre
parfaitement la méthode des apparences chère au Président de la République.
Pendant la campagne du premier tour de l’élection présidentielle, François
Hollande cherchait une mesure emblématique pour ancrer sa candidature à gauche,
d’où l’idée de cette super-tranche, purement symbolique et provisoire (2 ans)
qui concernera qu’une infime minorité de contribuables salariés (500 à 1000
personnes) et qui générera des recettes fiscales dérisoires (300 à 400 millions
d’euros au mieux) tout en épargnant les contribuables fortunés mais non-salariés…
Quid de la suppression du quotient conjugal ?
Le
quotient conjugal familial consiste à diviser la somme des revenus d'un couple
par deux avant de lui appliquer le barème progressif. Prenons un exemple pour
être plus clair : un couple où A gagne 24 000 € par an et B
6000 €, l’impôt n’est pas calculé sur 30 000 €, mais sur
15 000 € (revenus moyens du couple) puis le résultat est multiplié
par deux pour arriver à l’impôt à payer.
La
conséquence de ce système est double. Il réduit fortement l'impôt des couples
aisés dont l'un des membres – le plus souvent la femme – ne travaille pas ou
peu, avec une réduction d'impôt d'autant plus élevée que le revenu principal
est important.
Pour
un même revenu, les couples aisés sont ainsi avantagés au détriment des
célibataires, des personnes séparées, des veufs ou encore des familles
monoparentales. Les personnes seules doivent pourtant déjà faire face à des
dépenses de vie courante plus élevées qu'un couple. Un grand appartement
revient moins cher au mètre carré qu'un studio parce qu'il faut dans les deux
cas une salle de bain, des toilettes et une cuisine. Autre exemple, le prix des
abonnements énergétiques et téléphoniques est indifférent à la taille du
ménage.
Le
coût de cet avantage fiscal accordé aux couples oscille entre 5,5 milliards
d'euros, d'après le Trésor, et 24 milliards d'euros, selon la Cour des
comptes ! Et contrairement au quotient familial par enfant, l'avantage
retiré du quotient conjugal n'est pas plafonné !
La
collectivité participe ainsi au financement de l'inactivité des conjoints
aisés. Ce mécanisme est imprégné d'un schéma familial daté, pour ne pas dire
séculaire, où le chef de famille apporte des revenus au ménage et la femme
s'épanouit dans les tâches domestiques.
Deux
solutions s'offrent au législateur. A l'instar du quotient familial, le
quotient conjugal pourrait être transformé en crédit d'impôt forfaitaire, évalué
à 240 € par foyer selon une étude du Trésor pour le Haut conseil de la famille.
La seconde solution serait sa suppression pure et simple. Les capacités
contributives seraient dès lors appréciées par individu, au même titre que la
plupart des impôts. L'Etat n'aurait plus à favoriser un mode de vie plutôt
qu'un autre.
Quid de la suppression du quotient familial ?
Le
montant de l’IR est modulé en fonction du quotient familial, un mécanisme qui
prend en compte la taille de la famille mais subventionne davantage les
familles riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt étant
proportionnelle au revenu dans la limite d'un plafond élevé (actuellement 2385
€ de réduction au maximum pour 1 enfant, 4770 € pour 2 enfants, 9 540 €
pour 3 enfants).
François
Hollande avait déjà tranché cette question dès le début de la campagne
présidentielle : le quotient familial sera maintenu et le plafonnement
légèrement diminué de 300 euros € pour les familles imposables en haut de
l’échelle.
Le
remplacement du quotient familial par un crédit d'impôt, identique pour toutes
les familles, a donc été ainsi définitivement enterré. Pourtant, selon
une étude de la Direction Générale du Trésor, un crédit d’impôt de 607 € par
enfant, représentait exactement le même budget global : 4,3 millions de
ménages étaient perdants (pour un montant moyen de 930 € par an) et 4,8
millions étaient gagnants (pour un montant moyen de 830 € par an).
Compte
tenu de la concentration des gains actuels du quotient familial sur les 11 %
les mieux lotis de la population, les trois quarts des pertes (soit 3 milliards
€ sur 4) seraient supportées par cette partie de la population. L’effet sur la
répartition des revenus aurait pu être sensible et les familles modestes, pas
ou peu imposées, auraient vu leur niveau de vie augmenter.
Que la
France abandonne le quotient familial, qui n’est plus appliqué en Europe que
par deux pays (Luxembourg et Suisse) et qu’elle adopte un système de crédit
d’impôt comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie,
l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et
l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.
Quid de la fusion de l’IR et de la CSG / CRDS ?
Fusionner
les contributions CSG et CRDS avec l'IR pour en faire un large impôt acquitté
par tous sur l'ensemble des revenus était une mesure positive car les dépenses
de santé sont un bien public (au même titre que l'éducation ou la sécurité) et
justifient leur prise en charge par le budget de l'Etat.
Cette
proposition figurait au programme du PS mais Jérôme Cahuzac, encore en
fonction, avait renvoyé sa mise en œuvre aux calendes grecques, ce dernier
argumentant en voulant étudier auparavant tous les détails et les incidences de
cette réforme avant de l’engager…
Sans
calendrier précis, il était évident, depuis le début, qu’on allait vers un
enterrement de première classe. Cela constitue une grave erreur car la seule
possibilité pour la gauche de proposer une alternative crédible à la TVA
sociale de Nicolas Sarkozy était d'instaurer, dès 2012, une CSG progressive. A
défaut, la gauche a donc proposer peu ou prou la même chose que la droite : une
augmentation de la TVA et sans doute demain une augmentation de la CSG !
Quid de la réduction drastique des niches fiscales ?
Les
niches fiscales coûtent au pays plus de 70 milliards d’euros par an (selon la
commission des finances de l’Assemblée Nationale, elles étaient évaluées
exactement à 72,7 milliards d’euros en 2010), soit 3,5% du PIB.
Mais
d’après le dernier rapport de la cour des comptes, réalisé sous le magistère de
Philippe Séguin pour l’année 2009, on apprenait qu’un tour de passe-passe avait
été réalisé par le gouvernement de François Fillon pour amoindrir leur
importance. A mesure que certaines niches se pérennisaient, le ministère de
l’économie avait arrêté de les traiter comme telles, bien que leur nature n’ait
pas évolué au cours du temps. Pour l’année 2009, celles-ci représenteraient en
réalité 146 milliards € ! Une somme colossale, puisque trois fois supérieure au
produit de l'IR payé par les particuliers ! Si certaines d’entre elles
répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement utiles, d'autres
permettent surtout à une minorité de personnes de réduire fortement leur
imposition tout en se constituant un patrimoine important.
Et
quand on sait l’importance accordé par François Hollande à l’équilibre
budgétaire, l’urgence d’une réduction drastique de ces niches fiscales s’imposait.
Certes, certaines niches ont été plafonnées à 10.000 € au lieu de 18 000 €
mais beaucoup d’entre elles sont totalement inefficaces et doivent être
purement et simplement supprimées. Pire, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a
réussi l'exploit d'accorder à deux niches fiscales (Sofica et loi Girardin pour
les DOM) des plafonds plus favorables que ceux fixés antérieurement par la
droite !
Quid de la lutte contre la fraude fiscale ?
Enfin,
la fraude fiscale, par son ampleur et ses caractéristiques, (au minimum entre
60 et 80 milliards € par an, selon le Syndicat national unifié des impôts)
réduit aussi fortement les rentrées fiscales et accentue les inégalités, sans
parler de l'optimisation fiscale qui fait le bonheur des avocats d'affaires. Ce
sont essentiellement les grosses entreprises et les riches particuliers qui
peuvent faire de gros investissements déductibles de l’IR ou user de
l’existence des paradis fiscaux.
L’administration
fiscale a perdu 25 000 emplois depuis 2002 sur l'ensemble de ses missions, dont
une grande partie est concentrée sur des services qui forment le premier étage
du contrôle fiscal, c'est-à-dire le service de gestion de l'impôt, le service
de contrôle sur pièces et le service de programmation des contrôles fiscaux. Ces
pertes d'emploi ont fragilisé la détection de la fraude et le contrôle fiscal
dans son ensemble et il y en a encore 2 000 suppressions de postes prévues
cette année.
Suite
à l’affaire Cahuzac, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a bien indiqué qu'il
va procéder à un renforcement de 50 agents à la DGFIP (Direction Générale des
Finances Publiques) mais on est loin du compte, ce petit geste s’apparentant
plutôt à un pansement sur une jambe de bois…
Mais
un signal fort aurait dû être donné par des créations d’emplois, au moins 2000,
dans les administrations chargés de lutter contre les fraudes et par
l’établissement de la liste « française » des pays considérés comme non
coopératifs et comme paradis fiscaux et judiciaires en accompagnant cette liste
des sanctions infligées aux entreprises qui utilisent ces territoires.
Aujourd’hui,
11 mois après son élection, François Hollande va-t-il enfin prendre conscience
que la fiscalité actuelle est non seulement injuste mais aussi complètement
surréaliste. Dans un pays où le manque à gagner pour le budget de l’Etat, dû
aux niches fiscales officielles et à la fraude, est le double des recettes de
l’IR, estimées par la loi de finances 2013 à 71,9 milliards d’euros, c’est un
devoir républicain de s'inquiéter et de chercher à redresser la barre de toute
urgence !
Est-ce
que François Hollande imagine un instant qu’avec la récupération d’un tiers
seulement de ces recettes perdues, on réglerait une bonne fois pour toute les
intérêts annuels de la dette publique qui se monte à 50 milliards d’euros
?
Assurément,
le courage n'est pas pour maintenant...
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