Le
Parlement européen vient d'adopter le rapport de Kriton Arsenis sur la pêche de
grands fonds mais il a rejeté l’amendement qui aurait interdit à courte
échéance l’interdiction du chalutage profond et des filets maillants de fond
au-dessous de 600 mètres dans les eaux européennes et dans l’Atlantique
Nord-Est.
Les
parlementaires européens ont ainsi cédé à «la logique productiviste du toujours
plus, plus loin, plus profond» malgré les destructions considérables du milieu
marin que cette technique de pêche provoque…
Après
ce vote qui s’est joué dans un mouchoir de poche (342 voix contre
l’interdiction et 326 pour), c’est un jour sombre pour tous les défenseurs de
la nature et la vie dans les eaux profondes. C’est une grande déception
notamment pour l’association française Bloom,
qui a cru pouvoir renverser la tendance grâce au succès sur internet d’une BD
qui reprenait ses thèses et à la pétition adressée au président de la
République qui a atteint plus de 750 000 signatures.
Mais
le gouvernement de François Hollande et les socialistes au Parlement européen
ainsi que l’UMP ont rejeté cette mesure. Ainsi pour Isabelle Thomas (PS), « Le
Parlement européen a choisi l’option garantissant la préservation à la fois de
l’environnement et des emplois ». Et pour Alain Cadec (UMP), vice-président PPE
de la commission de la pêche, " La raison l’a emporté. Le principe du gel
de l’empreinte qui consiste à ne passer le chalut qu’aux endroits où il est
déjà passé et à sanctuariser le reste des zones de pêche est un principe
fondamental." Isabelle Thomas et Alain Cadec endossent ainsi un modèle de
pêche destructrice, subventionnée, défendue par les cabinets de lobbying les
moins éthiques de Bruxelles.
Les
élus des Verts, du MoDem comme Marielle de Sarnez et Nathalie Griesbeck, de
l’UDI comme Sophie Auconie et certains membres de l’extrême gauche comme
Younous Omarjee ont pris eux position en faveur de l’interdiction du chalutage
profond.
Pour
Claire Nouvian, fondatrice de Bloom, « ce vote est caractéristique des
alliances déplorables qui se produisent au niveau européen et montre à quel
point les élus des grands partis ont un mépris total pour les Français. Ils
prouvent par ce vote qu’ils préfèrent les lobbies industriels aux citoyens et
qu’ils ne sont plus dignes de notre confiance. Ils risquent de payer cher leurs
positions aux prochaines élections municipales et européennes. »
Les océans profonds et la pêche profonde
Les océans
profonds, tels que définis par les océanographes s’étendent au-delà de 200
mètres de profondeur et représentent à eux seuls 98% de l’espace dans lequel la
vie peut se développer sur terre. Le milieu profond est très mal connu de la
science et quasiment inexploré.
Les
océans profonds avaient été jusqu’ici épargnés des perturbations humaines mais
ils sont exploités à échelle industrielle depuis plus de 30 ans, alors qu’ils
ne peuvent pas et ne devraient pas l’être, pour une raison simple : leurs caractéristiques
biologiques ne le permettent pas.
La
faune profonde est caractérisée en effet par une longévité extrême (bien
souvent supérieure à 100 ans), une croissance lente, une maturité sexuelle et
une reproduction tardives, une fécondité faible. Comme pour les troupeaux
d’éléphants, la biomasse des poissons profonds peut être importante à
certains endroits, mais les premières captures suffisent parfois à décimer un
stock pour plusieurs décennies ou siècles…
Le
chalutage profond est une méthode de pêche décrite par les chercheurs comme la
plus destructrice de l’histoire : d’immenses filets lestés raclent les fonds
marins jusqu’à 1800 mètres de profondeur et dévastent des écosystèmes
multimillénaires et des espèces vulnérables, dont certaines sont menacées
d’extinction. Ils anéantissent notamment de façon irréversible des colonies de
coraux vieilles de 10 000 ans, patrimoine naturel mondial de l’humanité.
Pour
la communauté scientifique, c’est une aberration écologique pourfendant tous
les principes de préservation de l’environnement, de partage équitable du bien
commun entre nations et comme une entorse au principe de précaution. Seul
le fait que ces pêches soient apparues historiquement dans un contexte de béance
juridique internationale et d’ignorance scientifique les a rendues légales,
mais en aucun cas légitimes.
La
pêche profonde résulte directement de l’épuisement des ressources marines dans
les eaux de surface. Après avoir surexploité les stocks de poissons en surface,
les flottes de pêche industrielles se sont tournées vers les grands fonds pour
trouver la ressource qui leur faisait défaut. Cette logique inexorable de la
surexploitation des ressources et de la destruction des milieux connaît un
épisode particulièrement douloureux dans les grandes profondeurs car là, plus
que n’importe où, existe un contraste violent entre l’immense efficacité
technologique de l’outil industriel et l’excessive vulnérabilité de la faune et
de l’environnement. La pêche en eaux profondes met en jeu le monde de la
rapidité contre celui de la lenteur, le profit à court terme réservé à quelques-uns
contre le bénéfice à long terme pour tous.
Environ
300 bateaux à travers le monde participent à cet « océanocide » pour
capturer quelques poissons à forte valeur commerciale En France, moins de dix
navires sont impliqués dans la pêche profonde au chalut de fond. Six d’entre
eux appartiennent à la flotte d’Intermarché. Malgré les millions d’euros
d’aides publiques qu’ils perçoivent, ces navires industriels sont tous
déficitaires. Le chalutage profond est ainsi un gouffre à fonds publics et n’existerait
pas sans le secours de nos impôts.
Il y a
donc urgence à protéger des milieux dévastés par des navires qui ressemblent
plutôt à des machines de guerre (plusieurs avions peuvent loger dans certains
filets utilisés). Ce drame écologique n’a aujourd’hui comme équivalent que la
déforestation de l’Amazonie.
Petit
signe encourageant, suite à la campagne de Bloom, le débat semble maintenant se
déplacer de la scène politique à la sphère des consommateurs. Après Casino, le
groupe Carrefour vient d'annoncer en effet son intention d'arrêter
progressivement de vendre du sabre, du grenadier et du brosme d'ici à juin
2014…
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