06 octobre 2016

Loi Sapin 2 sur l’encadrement des lobbies : un vrai gruyère français…

Fromage suisse qui ne présente pas de trous...
Au vu des déclarations ambitieuses du Président de la République et du ministre des finances, Michel Sapin, l’espoir était permis que le projet de loi « Sapin 2 », relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, marque une rupture radicale dans la vie de la République.

Promulguer enfin des règles limitant le pouvoir d’influence démesuré des lobbies sur la décision publique était souhaitable mais malheureusement, le projet de loi a fait pschitt


Tel qu’il a été voté fin septembre 2016 par l’Assemblée nationale, le projet de loi fixant les règles de transparence qui s’appliqueront aux représentants d’intérêts dans leurs rapports avec les pouvoirs publics, notamment son article 13, est un véritable gruyère. Un répertoire unique et obligatoire des représentants d’intérêts sera bien créé mais les informations que ceux-ci devront renseigner ne permettront pas de savoir « qui est intervenu, à quel niveau, auprès des décideurs publics, pour améliorer, corriger, modifier une réforme, et quels ont été les arguments utilisés », comme l’avait promis François Hollande en janvier 2015.

Le coup de Jarnac du gouvernement

Le texte a été tricoté sur mesure jusqu’au dernier moment pour laisser passer des énormités, analyse notamment Claire Nouvian, présidente de l’association Bloom : « Par exemple, les associations de protection de la nature, de défense des droits de l’homme etc. seront considérées comme des lobbies à part entière mais pas le MEDEF, qui sera soustrait à toute déclaration au titre de leur mission de dialogue social ! » 
Pire, le gouvernement a attendu la seconde lecture du texte pour déposer un amendement pernicieux retirant toute substance au texte. Ainsi, les lobbies devant se déclarer seront ceux ayant pour activité « principale ou régulière » d’influer sur la loi, et non plus ceux ayant pour activité « principale ou accessoire » d’influer sur la loi. « La subjectivité de la notion de régularité est une invitation pousse-au-crime à contourner la loi et faire preuve de mauvaise foi » regrette la fondatrice de Bloom.
Pour ceux qui se sentiraient malgré tout concernés par la définition des représentants d’intérêts, il leur faudra déclarer une série d’informations élémentaires (identité, champ d’activités, nombre de lobbyistes employés, chiffre d’affaires de l’année précédente) déjà en vigueur dans la plupart des registres de transparence existants tel que le registre européen. Si la définition des représentants d’intérêts ne retirait pas au texte tout son intérêt, on aurait pu mettre au crédit de la loi d’avoir au moins adopté le principe d’un bilan annuel rétroactif des activités d’influence menées auprès des décideurs publics.
La déception est d’autant plus grande que le gouvernement et le rapporteur du texte, le député socialiste Sébastien Denaja, avaient suscité des attentes fortes en tenant des propos initiaux sur l’ambition sans faille de co-construire avec l’Assemblée un texte exemplaire en matière de transparence et de probité.
Mais la réalité est toute autre : parfaitement aligné sur la ligne du gouvernement, Sébastien Denaja s’est obstinément opposé à toutes les mesures de ses collègues visant à mettre en œuvre une transparence réelle en forçant les lobbies à publier les positions, informations et propositions normatives qu’ils soumettaient aux décideurs publics.
La députée Geneviève Gaillard (PS) a pourtant alerté que sans un dispositif mettant en œuvre une transparence réelle des influences sur la loi, les actions législatives de l’Assemblée nationale seraient « dénuées de sens ». Une autre députée PS, l’ancienne ministre Delphine Batho, avait fait au cours du 1er débat dans l’Hémicycle une lecture savoureuse de ce qu’un compte-rendu officiel des « actions d’influence » pourrait générer comme vacuité grotesque si une réelle traçabilité des rencontres n’était pas établie, assortie d’une transmission des positions défendues.
Ces mesures ont été toutes rejetées par le rapporteur au titre que « trop d’informations tuent l’information ». Il en résulte une « loi molle » pour reprendre l’expression du député Charles de Courson (UDI) ou un texte s’apparentant à « un couteau sans lame dont on aurait retiré le manche » selon le député Gaby Charroux (Gauche démocrate et républicaine).
Cet épisode est à nouveau la preuve qu’il est impossible de demander à une assemblée d’édicter des règles qui la concernent au premier chef. Les députés qui sont l’une des principales cibles des représentants d’intérêts, ont été juge et partie dans cette affaire. Le résultat est donc sans surprise : les députés ne s’imposent aucune contrainte et s’assurent par les nombreuses failles du texte de ne pas avoir à déclarer leurs accointances avec les lobbies. Si les citoyens attendaient un corpus législatif apte à renouveler leur confiance envers leurs élus, il faudra attendre encore un peu…


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