
Le cap
des élections européennes passé, Emmanuel Macron a repris l’exécution de
sa lettre de mission en relançant le CETA (accord commercial UE-Canada)
qui vient d'être ratifié le 23 juillet par l’Assemblée nationale par 266
voix contre 213.
Tout
le monde clame haut et fort qu'il faut soutenir et protéger l’agriculture
paysanne et familiale respectueuse de l’environnement, qu'il faut sauver
l'élevage, que l'on doit manger français, etc. mais les accords de
libre-échange continuent d’être approuvés…
En
février 2018, mis à part les multinationales en France, personne ne voulait du
CETA. Même nos représentants au parlement européen de l’époque avaient dans
leur grande majorité et toutes tendances confondues, voté contre ce traité mais
il avait reçu quand même l’approbation d’une majorité des 2/3 des
parlementaires européens.
Depuis,
sa mise en application provisoire a permis une première expérience de son
fonctionnement. Le CETA n’est qu’un accord de libre-échange supplémentaire qui
donnera des résultats analogues à tous les traités du même genre. Il est en
effet basé sur les mêmes principes qui conduisent aux mêmes promesses, c’est à
dire que la concurrence permet de faire progresser la qualité des services en
faisant baisser les prix et en améliorant le pouvoir d’achat. Cela fait
cinquante ans que cette chanson est entonnée par les tenants du libéralisme
avec toujours le même refrain : « toujours plus de concurrence et le
bonheur sera pour demain ».
Le
CETA et les autres traités du même genre vont notamment détruire à jamais la
production de viande bovine en France et mettre à rude épreuve les autres
filières d'élevage. C'est le cas notamment du porc canadien dont le
contingent d'importation va passer progressivement d'environ 6 000
tonnes/an (en poids de carcasse), taxées de 0,23 euro/kg à 0,43 euro/kg, à 81
000 tonnes/an taxées à 0%...
Sur le
plan environnemental, depuis l’automne 2017, l'expérimentation du CETA a permis
de constater que les exportations de pétrole canadien vers l’Europe ont bondi
de + 63 % ! Du pétrole issu en grande partie des sables bitumineux
qui ravagent l’Alberta, mais qu’importe que ce pétrole émette 50% de gaz à
effet de serre de plus que le conventionnel !
La visite alibi de Greta Thunberg
La
visite de Greta Thunberg à l’assemblée nationale en dit plus sur l’état du
Parlement que sur le réchauffement climatique. On ne doute pas de l’importance
du défi climatique pour la nation et au-delà pour l’humanité. Mais c’est alors
qu’intervient la petite bergère, personnage traditionnel des contes de fées,
mélange de Cendrillon et de Bernadette Soubirou, qui rassemble au Palais
Bourbon les députés de tous bords.
Fallait-il
cela pour éveiller la conscience nationale ? Greta Thunberg, sympathique
personne, a soudain surgi pour expliquer à nos parlementaires, qui
l’ignoraient ?, que la terre se réchauffe et qu’il faut se référer en la
matière aux scientifiques du GIEC.
On
s’étonnera que nos braves députés n’aient pas jugé utiles jusqu’alors de
convier les scientifiques en question avec autant de solennité et de créer un
large débat autour de leurs thèses, autour des causes du défi autant que des
moyens d’y faire face. On s’inquiétera, par exemple, qu’ils n’aient apparemment
pas jugé utile d’auditionner Yves Coppens, le célèbre paléoanthropologue,
découvreur de Lucie, qui a longuement écrit sur les relations entre l’homme et
le changement climatique.
Faut-il
le rappeler ? Le rôle du député est de représenter et de décider au nom du
peuple après un débat libre et raisonné, pas de servir de faire valoir aux
Bernadette Soubirou des temps modernes.
On
remarquera que la gentille petite Greta demande surtout que nous donnions notre
intellectuelle obole quotidienne à la cause climatique, permettant ainsi aux
parlementaires d’ignorer toute interrogation sur le mode de production et sur
le système économique et social. Ayant ainsi obtenu l’absolution de la
sympathique innocence, les députés ont alors pu masquer leurs contradictions
criantes entre le larmoiement collectif et le vote quasi concomitant du CETA…
Les autres accords internationaux sont aussi nocifs que le CETA
A
propos de l'autre accord international de libre-échange entre l'Union
Européenne et 4 pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay),
Emmanuel Macron a vigoureusement réaffirmé son soutien au projet devant
les agriculteurs. En réponse aux critiques, il s'est seulement contenté de dire
que cet accord ne prendrait pas effet immédiatement comme si c’était ainsi
la solution au problème de l'arrivée prochaine sur le marché
européen de 70 000 à 100 000 tonnes de viande bovine dispensées de droits
de douane. L'abaissement des tarifs douaniers prévu dans l'accord du Mercosur
sera huit fois plus important que ce qui a été acté dans le CETA !
Il en
est de même du TAFTA (accord UE-Etats-Unis) qui, négocié dans le plus grand
secret, vise notamment à éliminer ce qu’on appelle les « irritants
commerciaux », qui limitent la capacité d’échange de tout produit entre
les États-Unis et l’UE. Il convient de réduire ou d’écarter ce qu’il y a de
meilleur en termes de protection de l’environnement, de santé des consommateurs
et de diminuer les contraintes que la puissance publique peut mettre en place
pour réguler les activités des multinationales.
Il en
est de même du JEFTA (Japan-EU Free Trade Agreement) négocié également par
l'UE. Opacité des négociations, commerce de bois illégal, chasse à la baleine,
etc., la mise en concurrence totale de producteurs et industriels de pays
différents et éloignés est d’autant plus discutable qu'elle risque
d’accroître la pression sur les modèles économiques les plus vertueux qui
tentent de tirer vers le haut les normes sociales et environnementales et sans
forcément faire du profit à court terme. Si l’idée de pouvoir échanger
globalement des biens et des services sans limite semble honorable sur le
papier, les réalités physiques du monde sont telles qu'il y
a un besoin urgent de relocaliser et assainir certaines productions.
La crise structurelle de l'agriculture
La
crise de l’agriculture est le symptôme de la faillite d’un mode de
développement productiviste qui a ravagé peu à peu l’agriculture familiale et
paysanne en France, en Europe et dans les pays du Sud.
Il y
avait en France 2 300 000 exploitations agricoles en 1950 et il y en a plus que
450 000 aujourd'hui. 400 à 500 agriculteurs se suicident chaque année, d’après
des chiffres provenant des Caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de
l’Institut national de veille sanitaire (inVS). Mais le nombre réel est sans
doute supérieur aux statistiques, certains observateurs parlant même de
600 suicides par an.
Les
agriculteurs, éleveurs ou pas, sont d’abord victimes d'un manque criant
d'anticipation et de clairvoyance des décideurs politiques. Comment ne pas être
déçu quand on sait que depuis la mise en place de la politique agricole commune
(PAC) à la fin des années 50, les responsables politiques de tous bords
ont développé le produire plus, la modernisation et les économies d'échelles. A
chaque crise, la réponse a été identique : il faut grossir, augmenter la
taille de son élevage, ce qui entraîne automatiquement une surcharge de
travail, la mécanisation pour compenser, l'emprunt pour financer.
Cette
politique a même été accompagnée pendant toutes ces années avec bienveillance
par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles
(FNSEA), principal syndicat agricole. D'après un autre syndicat agricole,
la Confédération paysanne, la FNSEA soutient l’industrialisation des
exploitations, l’exploitation animale, l’utilisation de pesticides dans un but
de rentabilité, de productivité et de compétitivité. Elle s'oppose
régulièrement aux normes et contraintes environnementales par l'organisation
d'importantes manifestations et lobbying comme on l'a vu récemment à propos du
glyphosate.
Les
partisans des accords de libre-échange évitent donc soigneusement de remettre
en cause le principe même de concurrence. Pas question de souveraineté
alimentaire, pas question de choix de société, pas question de
démocratie.
Cela
va continuer tant que ne seront pas rétablis des mécanismes publics de
stockage, de stabilisation des prix et de maîtrise de l’offre aux niveaux
national et régional, favorisant les exploitations familiales et garantissant
un revenu stable aux agriculteurs et des prix raisonnables aux consommateurs.
Il faudrait aussi s’attaquer à la spéculation sur les produits agricoles
et arrêter les accaparements de terre par des pays étrangers, notamment
par la Chine.
Mais
finalement, comme son prédécesseur François Hollande, Emmanuel Macron
tient en permanence un double discours et ne semble pas encore avoir compris
que l'agriculture intensive est dans le mur, qu’il faut faire le choix clair
d'une autre agriculture qui valorise l'environnement au lieu de le détruire,
crée de l'emploi, vivifie les territoires, relocalise la valeur ajoutée
accaparée par les multinationales de l'agroalimentaire et les milieux
financiers…
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