Des documents confidentiels des compagnies Shell et Exxon, datant des années 1980, ont été récemment mis à jour et analysés par un chercheur de l’université de Stanford, Benjamin Franta.
La lecture de ces documents fait froid dans le dos car les pétroliers décrivent noir sur blanc les dérèglements climatiques dont on voit aujourd’hui les effets...
Dans les années 1980, les compagnies pétrolières Exxon et Shell ont procédé à des estimations des quantités de dioxyde de carbone rejetées dans l’atmosphère par les combustibles fossiles et à des évaluations des conséquences planétaires de ces émissions.
En 1982, par exemple, Exxon prévoyait qu’aux alentours de 2090, les niveaux de CO2 auraient doublé en comparaison des premières années du XIXe siècle, et que cela conduirait, selon les connaissances scientifiques disponibles à l’époque, à une augmentation d’environ 3° celsius des températures moyennes sur la planète.
En 1988, un rapport interne de Shell anticipait des effets similaires, mais concluait en revanche que les niveaux de CO2 pourraient doubler plus tôt, vers 2030. « En interne, ces entreprises ne remirent pas en question les liens entre leurs produits, le réchauffement climatique et la catastrophe écologique. Bien au contraire, leurs recherches confirmèrent les corrélations » écrit Benjamin Franta.
Les estimations de Shell prévoyaient une montée des eaux de 60 à 70 centimètres, et indiquaient que le réchauffement pouvait aussi conduire à la désintégration de la calotte glaciaire dans l’Ouest de l’Antarctique, ce qui aurait cette fois pour conséquence une élévation planétaire du niveau des mers « de cinq à six mètres », suffisante pour submerger des pays entiers, aux altitudes trop basses.
Des changements alarmants
Les analystes de Shell mettaient également en garde contre la « disparition d’écosystèmes locaux et les destructions d’habitats » ; ils présageaient l’augmentation des « ruissellements, des inondations destructrices et la submersion des terres agricoles peu élevées », aussi, écrivaient-ils, « de nouvelles sources d’eau potable seraient nécessaires » pour compenser l’évolution de la pluviosité. Les modifications planétaires de la température de l’air allaient quant à elles « radicalement changer les façons de vivre et de travailler des populations ». Au total, concluait Shell, « les changements peuvent être les plus importants que l’histoire ait connus ».
Exxon, pour sa part, avertissait que « des événements potentiellement catastrophiques devaient être pris en compte ». À l’instar des experts de Shell, les scientifiques d’Exxon prédisaient une élévation dévastatrice du niveau des mers, et mettaient en garde contre la transformation en déserts du Midwest américain et d’autres parties du monde. Préférant voir les choses du bon côté, la compagnie affirmait qu’assurément « ce problème n’était pas aussi grave pour l’humanité qu’un holocauste nucléaire ou qu’une famine mondiale ».
Refusant toute prise de responsabilité, la compagnie Shell affirme que c’est aux États et aux consommateurs d’assumer la « charge principale » de la lutte contre les changements climatiques, et non à l’industrie de l’énergie. L’argument aurait pu faire sens si les dirigeants des compagnies pétrolières, y compris ceux de Shell et d’Exxon, n’avaient pas menti ultérieurement sur les changements climatiques et activement dissuadé les États, par des campagnes de lobbying acharnées, de mettre en place des politiques favorables aux énergies propres.
Si les détails du réchauffement climatique mondial demeuraient étrangers à la plupart des gens dans les années 1980, les entreprises qui y contribuaient le plus comptaient parmi les rares organisations à en avoir une idée claire. « Au-delà des incertitudes scientifiques, l’essentiel est bien que les compagnies pétrolières savaient que leurs produits contribuaient à l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère, comprenaient que cela conduirait au réchauffement et en avaient calculé les probables conséquences. Elles ont alors choisi d’en accepter les risques, en notre nom, à nos dépens et sans que nous les connaissions nous-mêmes » écrit encore Benjamin Franta.
Les prévisions secrètes de l’industrie pétrolière concernant les changements climatiques sont en train de devenir une réalité, qui ne doit rien au hasard. Les producteurs de combustibles fossiles nous ont sciemment menés vers l’avenir sombre qu’ils craignaient eux-mêmes, en encourageant le recours à leurs produits, en mentant délibérément sur leurs effets et en défendant bec et ongles leurs parts sur les marchés de l’énergie. « Tandis que le monde se réchauffe, des éléments constitutifs de notre planète - ses calottes glaciaires, ses forêts, ses courants atmosphériques et océaniques - se dégradent irrémédiablement. Qui a le droit de prévoir de tels ravages et d’accomplir délibérément la prophétie ? » s’insurge l’auteur.
Pendant que la planète fond et que l’avenir même de l’homme est mis en question, les pétroliers continuent de plus belle. Malgré les prises de consciences planétaires, les COP et autres One Planet Summit, les marches, les débats, les efforts de chacun, le secteur des énergies fossiles semble sourd et continue avec cynisme sa farandole vers un désastre programmé...
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