Mais cette lutte emblématique en faveur de l’IVG s'est jouée avant tout dans la rue et a été finalement adoptée grâce au vote des députés de gauche et du centre…
Un président « réformateur » et « moderne », qui a « révolutionné l’accès à la contraception », qui a « permis aux femmes d’accéder à l’IVG »... Depuis la mort de Valéry Giscard d’Estaing des suites du Covid-19, jeudi 3 décembre, les médias traditionnels et les personnalités politiques de tous bords n’ont de cesse de vanter le bilan septennal d'un homme qui aurait été « visionnaire » et à « l’avant-garde » en matière de droits des femmes.
Cet
hommage unanime n’est pas sans rappeler la réécriture faite par le champ
médiatico-politique de la bataille pour le droit à l’IVG adopté en 1975 à
l’occasion de la mort de Simone Veil en 2017, ministre de la santé sous VGE. L’accès
à l’avortement rendu possible par la loi Veil n’est pas la conséquence d’une
soi-disant conscience féministe de Valéry Giscard d’Estaing ni le fait d’une
bataille menée par la seule ministre de la santé au parlement.
Lorsque
Giscard est élu en 1974, la grande vague de lutte ouverte par mai 68 en France
est encore toute fraîche. Sa promesse de dépénaliser l’avortement était avant tout
une tentative de coopter un mouvement social qui ne cessait de prendre de
l’ampleur : la lutte des femmes pour leur émancipation et le droit à
disposer de leur corps, qui s’est traduite par ce qu’on a appelé « la
deuxième vague féministe ».
Loin
d’être un visionnaire, Valéry Giscard d’Estaing a été acculé par un mouvement
revendicatif massif et s’est retrouvé obligé de faire des promesses électorales
dans l’unique objectif d’étendre sa base sociale et de canaliser une colère et
un combat qui se sont exprimés en premier lieu dans la rue.
Rappelons
également que la loi Veil, si elle est une première victoire obtenue par un
rapport de forces imposé par des milliers de femmes, était loin d’accéder à la
totalité des revendications du mouvement féministe. Cette réforme de 1975
n’inscrivait pas l’IVG comme un droit inaliénable pour les femmes dans la loi.
L’accès à l’avortement était réservé aux femmes qui pouvaient justifier d’une
« situation de détresse ». De plus, la loi Veil limitait le délai
d’accès à l’IVG à 10 semaines de grossesse (délai étendu dans les décennies qui
ont suivi) et elle laissait aux médecins une « clause de conscience »
qui leur permettait de refuser de pratiquer des IVG !
Enfin,
cette victoire obtenue par la seconde vague féministe était loin d’être à
l’avant-garde en matière de droits des femmes. Car le premier pays à rendre
l’avortement légal était l’URSS en 1918, un an après la révolution et plus de
50 ans avant la loi Veil !
Réduire
la bataille pour l’accès à l’avortement et le droit des femmes à disposer de
leur corps à un seul homme - Valéry Giscard d’Estaing - ou au mieux à deux
personnalités politiques - le président et sa ministre de la Santé - est largement
critiquable car ces hommages ignorent en fait les femmes en lutte d’hier et d’aujourd’hui, qui continuent à se battre pour un accès à l’avortement libre, sûr et gratuit,
contre la fermeture de lits et de centres IVG.
D'une
façon générale au cours de son septennat, si un certain nombre de décisions
allaient dans le bon sens :
- La fin des saisies de presse et des écoutes téléphoniques ordonnés par l'exécutif.
- Le vote de la loi instaurant le divorce par consentement mutuel et pour rupture de la vie commune.
- La loi d'orientation en faveur des handicapés.
- L’abaissement de la majorité civile et électorale de 21 à 18 ans, profitant à plus de deux millions de jeunes.
- L’abaissement de l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour deux millions de personnes au métier pénible.
D’autres étaient plus que choquantes :
- La décision de nommer Maurice Papon, criminel de guerre, organisateur de la déportation d'enfants juifs, comme ministre du budget de 1978 à 1981. Ancien préfet de police de Paris à partir de mars 1958, Maurice Papon était également impliqué dans la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 et connue sous le nom d'affaire de la station de métro Charonne qui s'est soldée par neuf personnes mortes par étouffement et sous les coups.
- La décision de mettre les drapeaux tricolores en berne sur les différents ministères pour les obsèques de Francisco Franco en 1975.
- Le refus d'accorder la grâce à Christian Ranucci, guillotiné à l'âge de 22 ans en 1976 pour l'assassinat d'une fillette, un crime qu'il niait et qui est devenu l'affaire du « Pull-over rouge ».
- L'intention réaffirmée à plusieurs reprises de maintenir la peine de mort s'il avait été réélu en 1981.
- La présentation le 15 juillet 2003 du projet de Constitution européenne et sa part active à la campagne pour le « oui », repoussé finalement par les Français avec 54,7 % de « non ». Le choix du peuple ne convenant pas aux principaux partis politiques de gauche et de droite, ils ont alors mitonné, de façon tout à fait anti-démocratique, le Traité de Lisbonne avec l'aval de VGE. Autre nom mais même projet liant tous les traités néo-libéraux en un seul texte.
- Etc.
De la part d’un Président de la République qui annonçait, précisément pour le 9 décembre, une loi « renforçant la laïcité » (laquelle a finalement disparu de son intitulé final...), c’est au moins contradictoire. Ignorance, provocation, ou acte manqué ? Emmanuel Macron, pur produit de l’enseignement catholique, n’a jamais été à l’aise avec la laïcité : se rend-il compte de la signification symbolique de ce « deuil national » le 9 décembre ?
C'est pourquoi, alors que l’ensemble de la classe politique et leurs relais audio-visuels pleurent la mort de Valéry Giscard d’Estaing, il est important d'avoir un jugement très nuancé sur son action et de rendre hommage d'abord à toutes les femmes qui ont lutté pour leurs droits, comme l'avocate Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet dernier ou la poétesse féministe Anne Sylvestre qui nous a quittés il y a quelques jours et qui chantait, bien des années avant la loi Veil, pour le droit à l’avortement...
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