La Convention citoyenne pour le climat a fait la proposition d'un moratoire sur la construction de nouveaux entrepôts de e-commerce.
Mais le gouvernement cherche, au contraire, à faciliter et accélérer leur implantation en ayant lancé une mission pour développer des sites logistiques « clés en main » et accroître l’attractivité de la France à l’international...
La promesse d’un moratoire sur la construction de nouveaux entrepôts de commerce en ligne a fait long feu. Elle s’est consumée sous l’autel de la compétitivité et risque de se retrouver, comme les autres promesses, enfouie au cimetière des renoncements de La République en marche (LREM).
Barbara Pompili l’avait pourtant dit cet été, à une heure de grande écoute sur RTL : « C’est le moment de mettre un coup d’arrêt. » La nouvelle ministre de la Transition écologique se déclarait ainsi favorable à un gel des chantiers pendant six mois, le temps d’évaluer les conséquences écologiques, sociales et économiques des entrepôts de e-commerce.
L’information
avait alors fait le tour des médias avant d’être démentie par l’Élysée.
Depuis, la proposition de la Convention citoyenne semble avoir été
définitivement enterrée et Amazon continue son expansion. Rien qu’entre
septembre et octobre 2020, la multinationale a construit cinq agences de
livraison et quatre méga-entrepôts sont en projet ainsi que deux centres
de tri.
Au
lieu d’un moratoire, le gouvernement a lancé une
mission pour « garantir un développement durable du commerce en
ligne et des entrepôts logistiques ». Confiée à des hauts fonctionnaires
de France Stratégie, du Conseil général de l’environnement et du développement
durable (CGEDD) et de l’Inspection générale des finances, la mission doit
rendre ses conclusions d’ici la fin de l’année.
Les
mots « compétitivité » et « attractivité » parsèment
la lettre signée par six ministres dont Barbara Pompili et Bruno Le Maire. Tout semble avoir été aseptisé et chaque mot
soupesé : « La modération de l’empreinte environnementale » doit
se concilier avec « l’opportunité économique du e-commerce ». « Les
enjeux environnementaux devront être évalués en prenant en compte le risque
d’un report d’implantation dans les pays limitrophes d’entrepôts ou d’activités
induites », écrivent les ministres qui ne mentionnent même pas le nom
d’Amazon.
À la fin de la lettre de mission, le gouvernement dévoile, en creux, sa position : « Une attention particulière pourra être apportée aux simplifications de nature à faire émerger des sites logistiques clés en main qui pourront éviter une artificialisation des sols non maîtrisée tout en concrétisant le message d’attractivité adressé par le président de la République aux acteurs du e-commerce. »
Simplification,
sites logistiques clés en main, message d’attractivité, ces formules
n’annoncent rien de bon et ce n’est pas la première fois qu’on les entend. En
janvier 2020 déjà, le gouvernement avait décidé de créer des sites
industriels clés en main. Douze sites avaient été sélectionnés en début
d’année, soixante-six de plus en juillet et un nouvel appel à
candidature a été lancé en novembre dernier.
Les sites
clés en main permettent de gagner du temps, explique un membre du ministère de
l’Économie : « La lenteur des procédures administratives en France
peut retarder les installations de sites et donc retarder l’activité et
l’emploi. Nous avons les mêmes standards environnementaux que la Suède mais
nous sommes deux fois plus lents ».
Ces sites sont en fait des lieux où les procédures d’autorisation et les études nécessaires à
l’implantation d’une activité industrielle (archéologie préventive, étude d’impact
environnemental, enquête publique) ont déjà été réalisées, avant même qu’une
entreprise se soit montré intéressée pour y installer une activité. Ils ont été
imaginés pour permettre à un industriel d’obtenir un permis en seulement trois
mois.
Étendre
la politique des sites clés en main aux entrepôts de e-commerce est
particulièrement dangereux, note la juriste Chloé Gerbier : « Le gouvernement crée une nouvelle
dérogation au droit de l’environnement. Ils sont en train d’en faire une
véritable passoire. Cette lettre de mission est en complète déconnexion
avec l’urgence qui était portée par la Convention citoyenne pour le climat. On
ne peut pas faire d’implantation rapide si on respecte le code de
l’environnement. Ces délais sont faits pour donner le temps au public de
participer, d’être informé, d’analyser l’impact du projet. C’est ce temps qui
est protecteur ! »
La fronde contre Amazon gagne du terrain
Localement, des
collectifs se sont mobilisés pour stopper certains sites industriels clés en
main comme celui du Carnet dans l’estuaire de la Loire. Le projet risque
de détruire cinquante-et-un hectares de zone humide. Sous la pression, il
a finalement été arrêté pour compléter les études environnementales. En
septembre, l’ONG Notre affaire à tous a également déposé un recours
au Conseil d’État contre cette procédure clés en main.
Les
recours contre les entrepôts se multiplient et bloquent l’avancée de la
multinationale. Deux sites ont été abandonnés en Alsace. Le projet de Lyon
est arrêté depuis deux ans.
Tous
les signaux sont donc au rouge. Les rapporteurs de la mission sur le
e-commerce ont une marge de manœuvre très étroite, estime Alma Dufour, des Amis
de la Terre, qui les a rencontrés : « La lettre de mission cadenasse
le débat. Elle en fixe les limites. Il n’est nulle part fait mention d’un
possible moratoire mais la lettre cite un rapport qui prône la dérégulation. En
langage diplomatique, c’est une mise en garde. On leur dit de ne pas aller
à l’encontre de la parole présidentielle et d’être très précautionneux quant à
leurs recommandations ».
Auditionné par les rapporteurs, le sociologue David Gaborieau fait le même diagnostic : « On s’est cantonné à parler du constat, vu et revu, sur les conséquences sociales du e-commerce. On n’a pas débattu sur des propositions de réglementation. Ils ne semblent pas libres dans leurs propositions. »
Alors que la révolte grandit contre Amazon, cette mission est avant tout un contre-feu, une manière de neutraliser la critique. Au lieu de suivre les propositions de la Convention citoyenne, le gouvernement prend donc le chemin inverse. En accélérant les procédures, il va diminuer les possibilités de recours. Un beau cadeau qui ira sans aucun doute droit au cœur du patron d’Amazon, Jeff Bezos...
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