Xavier Darcos
a décidé de reporter la réforme des lycées et de la classe de seconde
notamment, pour ne pas «mettre le feu aux poudres». Le ministre de l’Education,
même s'il s'en défend, semble en réalité avoir obéi à une injonction de Nicolas
Sarkozy, comme l'avance Le Canard Enchaîné ou le Figaro.
"Nous
allons repartir à zéro, parler avec nos enseignants, parler avec la
jeunesse" a-t-il déclaré mais Xavier Darcos aurait dû commencer par
cela...
Les
manifestations de lycéens et la grogne des enseignants ne sont pas étrangères à
ce revirement, cette réforme, comme celle du Primaire, étant mauvaise à
plusieurs égards :
- moins de professeurs donc des classes à effectifs qui augmentent et moins de remplacements. 13 500 suppressions de postes programmées pour la rentrée prochaine (d'enseignants essentiellement), succédant à plus de 60 000 autres (dont un tiers de profs), de 2002 à 2007.
- diminution à disparition à long terme des RASED (réseau d’aide)
- plus de sujets au programme déjà bien chargé
- plus d’école le samedi matin ! Mais comment dispatcher les 2 heures supplémentaires sur la semaine pour aider les enfants en difficulté ? Le matin ? Début des cours une demi-heure avant l’heure habituelle ! Entre midi et deux ? Pendant que les autres enfants jouent dans la cour ou mangent chez eux ? Le soir après 17 heures ? Les enfants sont fatigués.
Devant
tous ces effets d’annonce et l’absence totale de réflexion sérieuse, de
nombreux enseignants ne peuvent plus se taire. Dans une lettre à son inspecteur
d’académie, un professeur des écoles dresse un constat impitoyable pour le
Ministre de l’Education nationale…
Monsieur l'Inspecteur,
Monsieur l'Inspecteur,
Je
vous écris cette lettre car aujourd'hui, en conscience, je ne puis plus me
taire ! En conscience, je refuse d'obéir.
Depuis
un an, au nom des indispensables réformes, un processus négatif de
déconstruction de l'Education Nationale s'est engagé qui désespère de plus en
plus d'enseignants. Dans la plus grande précipitation, sans aucune concertation
digne de ce nom, au mépris de l'opinion des enseignants qui sont pourtant les «
experts » du quotidien sur le terrain, les annonces médiatiques de «réformes»
de l'école se succèdent, suscitant tantôt de l'inquiétude, tantôt de la colère,
et surtout beaucoup de désenchantement et de découragement.
La
méthode est détestable. Elle témoigne de beaucoup de mépris et d'arrogance
vis-à-vis de ceux qui sont les premiers concernés. La qualité d'une réforme se
juge autant par son contenu que par la façon dont est-elle est préparée,
expliquée et mise en œuvre. L'Education Nationale n'est pas l'armée ! Il n'y a
pas d'un côté ceux qui décident et d'un autre côté ceux qui exécutent !
L'honneur de notre métier est aussi de faire œuvre de raison, de critique et de
jugement.
Aujourd'hui,
la coupe est pleine ! Le démantèlement pensé et organisé de l'Education
Nationale n'est plus à démontrer tant les mesures décidées et imposées par ce
gouvernement l'attestent au grand jour : des milliers de suppressions de postes
qui aggravent une situation d'enseignement déjà difficile, la diminution du
volume horaire hebdomadaire, la préférence accordée à la semaine de 4 jours,
pourtant dénoncée par tous les chrono biologistes, l'alourdissement des
programmes scolaires malgré une rhétorique qui prétend le contraire, la
suppression des IUFM, la disparition annoncée des RASED alors qu'aucun bilan de
leur action n'a été réalisé, la réaffectation dans les classes des enseignants
travaillant pour les associations complémentaires de l'école, ce qui mettra à
bas grand nombre de projets éducatifs dont l'utilité n'est plus à démontrer, la
mise en place d'une agence chargée du remplacement avec l'utilisation de
vacataires, la création des EPEP où les parents et les enseignants seront
minoritaires dans le Conseil d'Administration, la dévalorisation du métier
d'enseignant dans les écoles maternelles et les menaces qui pèsent sur
celles-ci, la liste est longue des renoncements, des coupes franches et
finalement des mauvais coups portés à notre système éducatif. Sans compter, ce
qui m'est le plus insupportable, l'insistance à dénoncer le soit disant
«pédagogisme», c'est-à-dire les mouvements pédagogiques qui, depuis des
décennies, apportent des réponses innovantes, crédibles, raisonnables à l'échec
scolaire.
Le
démantèlement des fondements de l'Education Nationale est un processus que je
ne peux accepter sans réagir. L'objet de ma lettre est de vous informer que je
ne participerai pas à ce démantèlement. En conscience, je refuse de me prêter
par ma collaboration active ou mon silence complice à la déconstruction d'un
système, certes imparfait, mais qui a vocation à éduquer et instruire, à
transmettre tout autant un « art de faire » qu'un « art de vivre », en donnant
toutes ses chances à chaque élève, sans aucune distinction.
1. Les
« nouveaux » programmes constituent une régression sans précédent. Ils tournent
le dos à la pédagogie du projet qui permet aux élèves de s'impliquer dans les
savoirs, de donner du sens à ce qu'ils font, de trouver des sources de
motivation dans leur travail. Cette vision mécaniste et rétrograde des
enseignements, qui privilégie l'apprentissage et la mémorisation, va
certainement enfoncer les élèves en difficulté et accentuer l'échec scolaire.
Ces
programmes sont conçus pour pouvoir fournir des résultats « quantifiables,
publiables et comparables » Or, « en éducation, tout n'est pas quantifiable, ni
même évaluable en termes d'acquisitions immédiatement repérables ». (Philippe
Meirieu). Nous sommes bien dans une logique d'entreprise et de libéralisation
de l'école. Désormais, les enseignants seront évalués sur les progrès des
acquis des élèves, c'est-à-dire sur la progression des résultats chiffrés.
C'est notre liberté pédagogique qui est ainsi menacée. Dans la mesure où les
programmes de 2002 n'ont fait l'objet d'aucune évaluation sérieuse et que
d'autre part nous ne savons toujours pas qui a élaboré et rédigé les programmes
2008, d'ailleurs sans aucune concertation digne de ce nom, nous sommes en
présence d'un déni de démocratie et de pédagogie. Pour toutes ces raisons, je
considère que ces programmes sont totalement illégitimes. C'est pourquoi en
conscience, j'ai décidé de ne pas les appliquer et de continuer à travailler
dans l'esprit des programmes de 2002.
2.
Tout particulièrement, je refuse de m'inscrire dans la logique d'une
«Instruction morale et civique» aux relents passéistes. C'est une insulte faite
aux enseignants et aux élèves de penser que l'inscription d'une règle de morale
au tableau, apprise par cœur par les élèves, fera changer un tant soit peu leur
comportement ! Aujourd'hui, plus que jamais nous avons besoin de mettre en
place dans nos classes des dispositifs qui offrent aux élèves la possibilité de
se connaître, de se rencontrer, d'échanger, de se respecter. Nous avons besoin
d'une éducation au vivre ensemble, car si nous ne le faisons pas, qui le fera ?
L'éducation citoyenne est l'un des piliers de l'école pour construire une
société ouverte, démocratique et libérée de l'emprise de la violence.
La
priorité aujourd'hui est d'apprendre aux élèves à se respecter, à réguler
positivement les inévitables conflits du quotidien par la parole, la
coopération, la médiation. Aujourd'hui, comme hier, en conscience, j'ai fait le
choix d'une éducation citoyenne qui permette aux élèves de découvrir leur
potentiel créatif et émotionnel au service du mieux vivre ensemble.
3. La
réduction du volume horaire de la semaine scolaire de 26h à 24h apporte des
bouleversements tels dans l'organisation des écoles, qu'il faut aujourd'hui
parler de désorganisation structurelle. Le dispositif d'aide personnalisée pour
« les élèves en difficulté » n'est qu'un prétexte démagogique pour supprimer
les RASED. Ce dispositif porte un coup fatal à la crédibilité du métier
d'enseignant. En effet, de nombreuses expériences pédagogiques d'hier et
d'aujourd'hui ont montré et montrent que la difficulté scolaire se traite avec
efficacité avec l'ensemble du groupe-classe, dans des dynamiques de
coopération, de tutorat, de travail différencié, d'ateliers de besoin, etc. Le
dispositif actuel considère que la difficulté doit être traitée de façon «
médicale », avec un remède individuel, en dehors de toute motivation et de tout
projet de classe. C'est une grave erreur. Ce dispositif est une faute contre
l'esprit et la pédagogie. Dès la rentrée, en conscience, je n'appliquerai pas
ce dispositif d'aide personnalisée tel qu'il est actuellement organisé. Ces
deux heures seront mises à profit pour mener à bien un projet théâtre avec tous
les élèves de la classe, répartis en demi-groupe, le mardi et le vendredi de
15h30 à 16h30, ceci avec l'accord des parents.
4. Les
stages de remise à niveau pendant les vacances scolaires à destination des
élèves de CM1 et CM2 sont eux aussi des dispositifs scandaleux et démagogiques
destinés à caresser l'opinion publique dans le sens du poil. Mis en place sous
le motif populiste qu'il est anormal que seuls les riches peuvent se payer des
heures de soutien scolaire (dixit notre ministre), ces stages dont certains ne
seront pas animés par des enseignants, ne règleront en rien l'échec scolaire.
Ils sont destinés à appâter les enseignants qui souhaitent effectuer des heures
supplémentaires avec bonne conscience, alors que dans le même temps des
milliers de postes sont supprimés, aggravant ainsi les conditions de travail
dans les écoles. Parce que je respecte profondément les élèves qui ont des
difficultés et leurs parents et que je suis persuadé que ce dispositif est
néfaste, je continuerai à refuser de transmettre des listes d'élèves pour les
stages de remise à niveau.
5. La
loi sur le service minimum d'accueil dans les écoles les jours de grève n'est
pas autre chose qu'une loi de remise en question des modalités d'application du
droit de grève. Il est demandé aux enseignants de se déclarer gréviste 48h
avant la grève afin que ce service minimum d'accueil puisse se mettre en place.
Ce qui signifie clairement que les enseignants doivent collaborer à la remise
en cause du droit de grève ! On ne saurait être plus cynique ! La commune de
Colomiers ayant décidé de ne pas organiser ce service minimum d'accueil les
jours de grève, il devient inutile de se déclarer 48h avant. En conscience, je
ne me déclarerai pas gréviste à l'administration et j'informerai les parents
trois jours avant de mon intention de faire grève.
Dans
son dernier ouvrage, « Pédagogie : le devoir de résister », Philippe Meirieu
écrit : « Nous avons le devoir de résister : résister, à notre échelle et
partout où c'est possible, à tout ce qui humilie, assujettit et sépare. Pour
transmettre ce qui grandit, libère et réunit. Notre liberté pédagogique, c'est
celle de la pédagogie de la liberté. […]
Nous
n'avons rien à lâcher sur ces principes pédagogiques. Car ils ne relèvent pas
de choix passagers de majorités politiques, mais bien de ce qui fonde, en deçà
de toutes les circulaires et de toutes les réformes, le métier de professeur
dans une société démocratique.
Et
devant les errances de la modernité, le professeur n'a rien à rabattre de ses
ambitions, bien au contraire… Face à la dictature de l'immédiateté, il doit travailler
sur la temporalité. Quand, partout, on exalte la pulsion, il doit permettre
l'émergence du désir. Contre les rapports de force institués, il doit
promouvoir la recherche de la vérité et du bien commun. Pour contrecarrer la
marchandisation de notre monde, il doit défendre le partage de la culture. Afin
d'éviter la sélection par l'échec, il doit incarner l'exigence pour tous.
Personne
ne prétend que la tâche est facile. Elle requiert détermination et inventivité.
Echanges, solidarité et travail en équipe. Elle exige du courage. Et la force
de nager à contre-courant. Il ne faut pas avoir peur de la marginalité. Car,
plus que jamais et selon la belle formule de Jean-Luc Godard, « c'est la marge
qui tient la page. » Si aujourd'hui je décide d'entrer en résistance et même en
désobéissance, c'est par nécessité. Pour faire ce métier, il est important de
le faire avec conviction et motivation. Aujourd'hui, c'est parce que je ne
pourrais plus concilier liberté pédagogique, plaisir d'enseigner et esprit de responsabilité
qu'il est de mon devoir de refuser d'appliquer ces mesures que je dénonce. Je
fais ce choix en pleine connaissance des risques que je prends, mais surtout
dans l'espérance que cette résistance portera ces fruits. J'espère que,
collectivement, nous empêcherons la mise en œuvre de ces prétendues réformes.
Cette action est une action constructive car dans le même temps il s'agit aussi
de mettre en place des alternatives pédagogiques concrètes, raisonnables et
efficaces.
Monsieur
l'Inspecteur, vous l'avez compris, cette lettre n'est pas dirigée contre vous,
ni votre fonction, mais je me dois de vous l'adresser et de la faire connaître.
Le propre de l'esprit responsable est d'agir à visage découvert, sans
faux-fuyant, en assumant les risques inhérents à cette action. C'est ce que je
fais aujourd'hui.
Je
vous prie de recevoir, Monsieur l'Inspecteur, l'assurance de mes sentiments
déterminés et respectueux.
Alain
REFALO, Professeur des écoles, Ecole Jules Ferry, Colomiers (31)
Lettre
adressée à Mr l'Inspecteur de l'Education Nationale de la 17ème circonscription
de la Haute-Garonne.
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4 commentaires:
J’ai deux enfants primaire et lycée et je suis contre la suppression de ces postes.
Je ne veux pas de classes surchargées, je veux des professeurs à qui on donne les moyens d’éduquer correctement mes enfants, je ne veux pas d’une éducation à deux vitesses : une pour les riches, une pour les défavorisés.
Alors oui ! ce que fait Darcos est scandaleux et mérite des manifestations pour arrêter la destruction du système scolaire public Francais au profit du privé et des élites.
Ma fille est en terminale S : 35 élèves (y compris pendant les cours d’anglais et d’espagnol...)
On nous propose de dédoubler une des 3 heures d’anglais prévues au programme.
La conséquence est au choix:
- une heure d’anglais à 35 élèves et une heure d’anglais à 17 ou 18 élèves.
- trois heures d’anglais à 35 élèves.
Et après, on s'étonnera que les Français maîtrisent mal les langues étrangères !
Bravo à cet instit courageux !
@ Sauveur
Pour info, au Havre (76), 132 instits viennent également d’envoyer une lettre de désobéissance civique à leurs inspecteurs.
Cent trente-deux professeurs des écoles dans une seule ville, il y a des minorités qui touchent parfois à la majorité !
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