Un
récent rapport parlementaire pointait les fraudes sociales à la Sécurité
sociale et aux caisses de retraites. Pour rajouter un peu de piment dans ce
dossier, le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale estimait même à
13 114 fraudeurs (pas un de plus, pas un de moins…) le nombre de fraudeurs aux
allocations familiales.
Mais
le terme de "fraude sociale" recouvre à la fois les cas de
"triche" des particuliers et les fraudes aux cotisations sociales des
entreprises. Or, les deux sont sans commune mesure…
Qu’elle
est séduisante cette image d’une France travailleuse et vertueuse dont le sang
serait sucé par les vilains fraudeurs à la Sécurité sociale. D’autant qu’on
peut y rajouter la vision du faux chômeur, passant ses jours à fumer, allongé
sur son canapé devant la télé, pendant que d’autres travaillent dur…
Que
faut-il en penser ? D’abord qu’il s’agit d’une vaste offensive de
communication, concertée entre les députés UMP et le gouvernement Fillon. Et
comme l’a déjà pointé Le journal Le Monde, rien n’est plus incertain que ces
estimations de fraudes dans ce rapport du député UMP des Bouches-du-Rhône,
Dominique Tian.
C’est
en fait ce que les économistes appellent une estimation « au doigt mouillé ».
La fraude sociale représenterait ainsi près de 20 milliards d'euros, soit 44
fois plus que la fraude actuellement détectée, soit aussi l'équivalent du coût
de l'évasion fiscale ou du déficit de la Sécurité sociale. Ce chiffre est une
estimation réalisée à partir de taux déduits des auditions et déplacements en
région de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la
Sécurité sociale (Mecss), présidée par le député en question.
Mais
ce sont les entreprises qui se révèlent les plus concernées par la fraude. En
volume comme en taux, elles commettent plus de fraudes que les particuliers et
curieusement elles ne sont guère concernées par les mesures de lutte proposées.
Le
rapport se concentre essentiellement sur les particuliers. Sont évoqués la mise
en place d'une carte vitale biométrique, la diminution des téléprocédures pour
rétablir le face-à-face lors de la constitution de dossiers ou encore le
contrôle accru des arrêts maladie avec contre-visites à domicile à l'initiative
de l'employeur.
En ce
qui concerne les entreprises, le rapport se penche sur le travail au noir, avec
une procédure de "flagrance sociale" ou la création d'un fichier des
dirigeants ayant fait l'objet d'une condamnation leur interdisant de gérer une
société.
Malheureusement
la faiblesse du corps des inspecteurs d’Urssaf, 1700 inspecteurs environ pour
un total de 3 107 580 entreprises au 1er janvier 2009 (activités marchandes,
hors agriculture), soit 1 inspecteur pour 1830 entreprises, fait que certaines
entreprises ne sont jamais contrôlées ou trop peu.
Exit les niches fiscales
Selon
la Cour des comptes, les niches fiscales coûtaient 70,7 milliards d’euros en
2009. Mais d’après le dernier rapport réalisé sous le magistère de Philippe
Séguin, on apprenait qu’un tour de passe-passe avait été réalisé par le gouvernement
pour amoindrir leur importance. Celles-ci ne représenteraient pas 70,7
milliards € ainsi que le mentionnent les documents officiels mais 146 milliards
€ !
A
mesure que certaines niches se pérennisaient, le ministère de l’économie a
arrêté de les traiter comme telles, bien que leur nature n’ait pas évolué au
cours du temps. On peut en dénombrer ainsi une bonne centaine en plus des 506
niches officielles : le carburant des aéronefs n’est pas soumis à la TIPP (3,5
milliards €) ; les plus values sur la résidence principale sont exonérées (1
milliard €) ; idem pour l’abattement de 40 % sur les dividendes (1,9 milliards
€), etc.
Lorsque
Nicolas Sarkozy était au ministère des Finances, entre mars et novembre 2004,
il a concocté entre autre une formidable niche fiscale qui a permis aux grands
groupes et aux fonds LBO de vendre leurs filiales sans imposition sur les
plus-values. En deux ans, ce dispositif que Jean-François Copé, alors
secrétaire d'état au budget, a finalisé lui-même leur a fait économiser la
bagatelle de 20 milliards d'euros. Au total, 6200 sociétés ont profité de cet
avantage dont quelques-unes ont réalisé d'importantes plus-values.
Exit les exonérations de charges et déductions fiscales
Il
existe de nombreux cas d'allègements ou d'exonération des cotisations de
Sécurité sociale :
- les allègements Fillon sur les bas salaires,
- les franchises de cotisation (domaine sportif),
- les assiettes forfaitaires (associations de jeunesse et d'éducation populaire agréées par la direction départementale de la jeunesse et des Sports),
- les exonérations pour les associations situées en zone franche urbaine (ZFU) ou en zone de revitalisation rurale (ZRR),
- les exonérations relatives à certains contrats aidés par l'Etat (contrat d'accompagnement dans l'emploi, contrat d'avenir, contrat de professionnalisation, contrat d'apprentissage…).
On
peut ainsi rapprocher les 20 milliards mis en exergue dans le rapport Tian des
65 milliards d’euros d’aide versées chaque année aux entreprises sous forme
d’exonérations de charges sociales et de déductions fiscales diverses.
Depuis
1991, le montant des seules exonérations de cotisations sociales a été
multiplié par 14. Au total, ce ne sont pas moins de 30,7 milliards d’€ de coût
des différents dispositifs d’exonérations de charges patronales (certaines
compensées par l’État, d’autres pas) prévus pour 2011. Un niveau jamais atteint
dans le passé ! Quant aux exonérations de cotisations non compensées depuis
1991, elles auront fait perdre aux différents régimes de Sécurité Sociale un
total de 40 milliards d’€ !
Exit l’évasion et la fraude fiscale
Enfin,
c’est bien sûr le silence radio sur les multinationales françaises qui, par des
jeux de facturations croisées avec leurs filiales, font ressortir leurs
bénéfices à Andorre, au Liechtenstein, aux îles Caïman ou dans d’autres paradis
fiscaux. Est-ce vraiment un hasard si les sociétés du CAC 40 acquittent en
moyenne 8% d’impôt sur leurs bénéfices, alors que le chiffre est de 30% pour
les petites entreprises de moins de dix salariés. Le manque à gagner de ces «
détournements » tournerait autour de 10 milliards d’euros pour ces seules
entreprises !
Le cas
de Total est emblématique. La compagnie pétrolière est le champion français des
bénéfices avec un résultat net en 2009 de 8,6 milliards d’euros. Pourtant, le
groupe ne paie pas d’impôts sur les sociétés en France. Ses activité de
raffinage en France sont en perte ! La société dirigée par Christophe de
Margerie n’est pas la seule dans ce cas extrême. Danone, Essilor, Saint-Gobain,
Schneider, Suez Environnement sont également exclues de l’impôt sur les
sociétés en France !
Il
paraît que ce fric frac des multinationales ne s’appelle pas de la fraude mais
de l’évasion… et que c’est parfaitement légal. Si l’on y ajoute la fraude
fiscale proprement dite, illégale, le coût pour les finances publiques, selon
le Syndicat national unifié des impôts (SNUI), serait compris entre 40 et 50
milliards d’euros par an !
Tout
cela pour en venir où ? Evidemment pas à justifier les fraudes mais à réaliser
que, même en s’en tenant à ce chiffre de 20 milliards, elles ne constituent
qu’un arbre masquant une forêt de petits et grands arrangements illégaux ou
légaux.
La
mise en accusation publique des particuliers fraudeurs à la Sécurité sociale à
laquelle on se livre aujourd’hui a pour résultat, sinon pour objectif, de
détourner le regard d’autres abus, bien plus graves. Elle permet d’occulter
aussi le débat sur la nécessité d’une grande réforme fiscale prévoyant
notamment la taxation de tous les revenus sans distinction d’origine pour que
la règle d’imposition, dès le premier euro, soit la même pour tous et la
suppression de la plupart des déductions, abattements, exonérations, niches
fiscales pour mieux lutter contre les déficits publics abyssaux…
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