Entreprise
privée ou entreprise d’Etat, c’est l’alternative simpliste que l’on présente
souvent comme le seul choix possible en matière économique.
Mais
une troisième forme de propriété existe qui reprend les formes de l’économie
sociale (SCOP, coopératives, ...) où il ne s’agit pas de renoncer à l’échange
mais, bien au contraire, de retrouver un échange sans spoliation d’aucune
partie…
La
place de l’économie sociale et solidaire (mutuelles, coopératives,
associations), n’est pas négligeable en France : elle représente 2,2 millions
de salariés, 10% du PIB, 60% des dépôts bancaires, 41 millions de mutualistes
dans la santé et l’assurance.
Elle
met en œuvre un nouveau rapport de propriété entre les travailleurs et
l’entreprise, les outils de travail constituant un patrimoine collectif qui est
à la fois non cessible et non vendable. L’entreprise est également une personne
morale de plein exercice.
L’enjeu
central dans cette forme de propriété est la place des salariés dans
l’entreprise. Ils sont tous propriétaires de l’entreprise et ils décident,
ensemble, de l’orientation à donner à son activité. Ils ne subissent donc pas
les conséquences des décisions prises par quelques-uns dans l’entre soi d’un
bureau…
L’économie
sociale et solidaire est également actrice d’une économie plus durable, parce
qu’au service des besoins sur le territoire et non pas à la merci des cours de
la Bourse. De plus, elle porte la logique de relocalisation des activités au
plus proche des citoyens.
De bons exemples pour faire évoluer le droit des salariés dans l’entreprise
En
France et dans le monde, l’économie sociale et solidaire porte en elle la
possibilité d’un réel bouleversement des rapports de pouvoir dans l’entreprise.
La
plus grosse SCOP (Société coopérative et participative) de France est Acome
(Association coopérative d'ouvriers en matériel électrique). Entreprise
française établie dans le département de la Manche, elle développe des produits
et systèmes destinés aux communications, aux équipements électriques et au
bâtiment. Créée à Paris en 1932 suite aux difficultés de la société
Electrocable, Acome compte 50 coopérateurs à sa création, 800 dans les années
1980 et 1075 en 2006. Son siège social est à Paris, mais c'est en Normandie, à
Romagny que l'entreprise possède 5 usines qui emploient 1200 salariés, ce qui
en fait l'un des plus gros employeurs du département de la manche. Le chiffre
d'affaires en 2007 était de 350 millions d'euros, dont la moitié réalisée à
l'export.
Le cas
d’une autre entreprise, CERALEP, à Saint Vallier dans la Drôme qui fabrique des
isolateurs électriques en porcelaine est particulièrement intéressant. Tombant
dans les mains d’une entreprise américaine détenue par des fonds
d’investissement, en 2001, les salariés de l’usine refusent de se soumettre à
l’augmentation de la rentabilité exigée par le nouvel actionnaire. Celui-ci
répond en mettant artificiellement en perte le site, par une sur-facturation de
la part de la maison-mère et l’établissement est liquidé début 2004.
Mais
les travailleurs refusent d’être sacrifiés de la sorte et maintiennent la
production pour livrer les clients restants. Ils se mettent en contact avec
l’Union régionale des SCOP Rhône-Alpes qui estime l’entreprise viable avec un
fonds de roulement de 900 000 €. Le mouvement coopératif apporte 800 000 €, les
travailleurs parviennent à réunir 51 000 €, et les 49 000 € restants sont
obtenus en mobilisant la population locale. Trois mois après la liquidation,
les 51 travailleurs de l’usine reprennent officiellement le travail sous la
forme d’une SCOP, qui un an plus tard aura déjà récupéré tous ses clients !
Depuis, des embauches ont été réalisées et les salaires ont augmenté de 13%.
L’entreprise, en pleine croissance, fonctionne de manière démocratique et
transparente. Les travailleurs mentionnent une ambiance de travail plus
détendue, un accès à la formation qui permet de diversifier les tâches, et une
échelle de salaire réduite (entre 2000 et 3000 €)…
Autre
exemple, celui de la société qui fabrique les thés et tisanes
"Lipton" et "L'éléphant" qui ferme son usine installée en
France, à Gémenos, dans les Bouches-du-Rhône. L'usine était parfaitement
rentable mais les actionnaires veulent gagner plus en délocalisant en
Roumanie…Les salariés peaufinent leur plan de reprise avec l’aide d’un cabinet
d’expertise payé par le conseil régional Paca. L’idée serait de monter une
société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), qui permet d’associer salariés,
collectivités publiques et entreprises privées. Des partenaires potentiels sont
intéressés, des rencontres ont eu lieu et les conseils régional et général
viendraient en soutien pour certains investissements et la garantie de prêts.
Pour tenter d’avancer, les salariés demandent une table ronde réunissant
l’Etat, les collectivités territoriales et l’actionnaire. Sans réponse, pour
l’instant, du gouvernement…
Dernier
conflit en date, SeaFrance, filiale de la SNCF, confrontée à une chute du
marché fret sur les liaisons transmanche, a annoncé un plan de redressement,
prévoyant la suppression de 543 postes sur 1 580 (dont 1 300 navigants) et le
reclassement de 413 salariés au sein de la SNCF. Les salariés ont déposé au
tribunal de commerce de Paris un projet de SCOP pour reprendre leur compagnie de
ferries en liquidation. Ils demandent l'aide du Fonds stratégique
d'investissement (FSI), a indiqué leur avocat. A ce jour, près de 1000 parts de
50 € ont été placées mais il en faudrait beaucoup plus pour arriver à réunir
les millions d'euros nécessaires. Là aussi, celui qui manque et qui devrait
être là au regard du discours du gouvernement est bien sûr l'Etat...
Ailleurs
dans le monde, c’est l’Argentine qui est sans aucun doute le pays où le
phénomène de la récupération d’entreprise a acquis la plus grande envergure.
Pendant la décennie néolibérale des années 90, et en réponse aux fermetures
d’entreprises, des milliers de travailleurs occupent leur entreprise : usines
métallurgiques, entreprises de construction, imprimeries, fabriques textiles,
journaux, hôtels, cliniques, aucun secteur n’est épargné.
Ces
expériences se réunissent dans un « Mouvement National des Entreprises
Récupérées ». Les entreprises récupérées ont adopté la forme de coopératives de
travail, mais leur trajectoire particulière les a conduit à aller plus loin que
beaucoup de coopératives dans le processus de démocratisation. Dans la plupart
des cas, l’assemblée générale occupe une place prédominante par rapport au
conseil d’administration : la première prend les décisions essentielles, tandis
que le second expédie les tâches de fonctionnement. Cette horizontalité des
prises de décisions se retrouve parfois dans l’organisation du travail, où est
favorisée la rotation des tâches, mais également dans la répartition équitable
des revenus, souvent égalitaire. Les travailleurs témoignent ainsi de
l’épanouissement dans leur travail, qui cesse de leur échapper.
Un gouvernement de gauche devrait prendre différentes mesures pour encourager l’économie sociale et solidaire
D’abord,
une loi-cadre en vue d’y inscrire les finalités sociales et environnementales
des entreprises et des associations qui se réfèrent à ce statut, notamment
l’obligation d’un fonctionnement démocratique des sociétés qui s’inscrivent
dans la démarche de l’économie sociale et solidaire.
Les
pouvoirs publics pourraient accorder une aide financière aux salariés qui
reprennent ou créent leurs entreprises sous forme de coopérative ou favoriser
la création de SCOP.
Pour
associer les pouvoirs publics et notamment les collectivités territoriales aux
démarches menées par ces coopératives, la création de sociétés coopératives
d’intérêt collectif (SCIC) pourrait être utilisée. Ces structures permettent de
rassembler les salariés, les usagers et les collectivités territoriales pour
réfléchir à une nouvelle forme de développement local, avec des objectifs
sociaux et écologiques exigeants.
Un
gouvernement de Gauche devrait demander également l’« opt out » au niveau
européen pour ne pas appliquer les directives qui nient le statut particulier
des associations et les soumettent à la concurrence des marchés. Il devrait
négocier avec les autres Etats l’élaboration d’un statut protecteur pour les
associations et la reconnaissance de la spécificité de l’économie sociale et
solidaire.
Enfin
les pouvoirs publics pourraient travailler en partenariat avec les sociétés qui
portent ce modèle économique. La modification du Code des marchés publics
aiderait à conclure un pourcentage important, défini, de leurs marchés publics
avec des sociétés coopératives ou des associations, pour valoriser les circuits
courts et ainsi la « commande publique responsable ». Les conseils régionaux,
qui ont pour compétence le soutien au développement économique, auraient ainsi
l’obligation d’introduire des critères, sociaux et écologiques, pour l’octroi
des aides aux entreprises.
D’autres
pistes peuvent être aussi évoquées : près de 600 000 PME et PMI françaises
seront à céder dans les 10 ans à venir pour cause de départ à la retraite.
Certains observateurs proposent un droit de préemption des salariés de ces
entreprises pour un passage en SCOP. Par ailleurs, les avantages d’une mise en
réseau des entreprises relevant de l’économie sociale et solidaire peuvent être
mis en exergue.
Aujourd’hui,
en pleine crise financière, la question d’une généralisation des formes
économiques alternatives est plus que jamais d’actualité face à la
multiplication des plans sociaux et délocalisations de toute sorte qui touchent
durement notre pays…
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