Comme le rappelle régulièrement le centre de recherche et des coûts (CERC), une forte impression de régression du pouvoir d’achat prédomine depuis de nombreuses années chez les salariés car la faible hausse du salaire net moyen est largement inférieure à la perte nette due à l’inflation.
Si François Hollande veut préserver le pouvoir d’achat des Français, au moins ceux des couches modestes et moyennes, il ne devrait pas oublier que le principe de l'indexation des salaires garantissant une évolution parallèle à celle des prix a été abandonné au début des années 80…
La suppression de l’échelle mobile des salaires en 1982, lorsque François Mitterrand a entamé le tournant de la rigueur, a porté un coup fatal au pouvoir d’achat des salariés, particulièrement dramatique pour 40% d’entre eux déjà victimes du chômage total ou partiel, du temps de travail partiel subi, d’un déménagement pour cause professionnelle, etc.
A cette époque, voulant lutter contre l’inflation, le gouvernement bloqua dans la Fonction publique les salaires qui avaient suivi jusqu’ici l’évolution des prix. Il incita ensuite les employeurs du secteur privé à agir de même, en les invitant à faire évoluer les salaires en fonction du taux d’inflation «prévu» par le gouvernement…
Jacques Delors, ministre de l’économie et des finances dans le deuxième gouvernement de Pierre Mauroy, décida de deux plans d’austérité. Le pouvoir d’achat des salariés commença à diminuer régulièrement, l’échelle mobile des salaires ayant été supprimée sans pour autant que le chômage diminue.
Les clauses d’indexation des salaires sur les prix furent ensuite retirées une à une des conventions collectives dans les années qui suivirent. Les lois Auroux réaffirmèrent leur interdiction dans le Code du Travail, article L.141-9 : « sont interdites, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le salaire minimum de croissance ou des références à ce dernier en vue de la fixation et de la révision des salaires prévus par ces conventions ou accords. »
Et aujourd’hui, dans de nombreuses branches professionnelles, suite à l’interdiction de la réévaluation automatique des salaires en fonction du SMIC, le salaire d’embauche est souvent inférieur à ce dernier ! Une prime dite «résorbable» est alors versée aux salariés concernés sans toucher aux salaires supérieurs au SMIC. Cette pratique est responsable d’un tassement continue des salaires vers le bas de l’échelle ! Autre conséquence collatérale : en 30 ans, le partage de la valeur ajoutée s'est ainsi déplacé de 11 points du travail vers le capital !
Mais les conséquences négatives pour les salaires touchent aussi les prestations ou allocations versées par divers organismes (pensions vieillesse ou d’invalidité, retraites complémentaires, allocations chômage, etc.) qui utilisent des mécanismes «d’indexation» plus ou moins originaux…
Citons un seul exemple significatif : les allocations familiales dont le montant est fixé en fonction d’un certain pourcentage de la base mensuelle de calcul des allocations familiales (BMAF). L'allocation pour 2 enfants est égale à 32% de la BMAF, pour 3 enfants à 73%, pour 4 enfants à 114%, celle de l’allocation de parent isolé égale à 150%, etc. Cette BMAF est bien revalorisée au 1er avril de chaque année mais sans tenir compte du taux réel d’inflation. Son montant de 395,04 € au 1er janvier 2011 est ainsi passé à 399 € au 1er avril 2012, soit une augmentation de 1 % seulement alors que le taux d'inflation était de 2,1% pour la seule année 2011 !
Comble de l’hypocrisie, la plupart de nos médias «bien-pensants» présentent chaque année ces différentes revalorisations inférieures au coût de la vie comme des bonnes nouvelles pour les bénéficiaires !
Cette situation est encore aggravée par un indice des prix calculé par l’INSEE, datant de 1946 et qui est loin de refléter la réalité quotidienne car la mesure de l’inflation ne concerne que les prix à la consommation. Cet Indice n’a jamais intégré par exemple l’augmentation des prix camouflée par les «arrondis» opérés nettement à la hausse après le passage à l’euro ou l’augmentation de prix d’un produit nouveau identique à l'ancien mais présenté sous une autre forme...
Et si la hausse du pouvoir d'achat des ménages est toujours officiellement légèrement positive, c’est parce qu’elle concerne le revenu moyen des ménages qui n’est qu’une simple moyenne mathématique ne correspondant à aucune réalité socioprofessionnelle...
L'échelle mobile des salaires, seul moyen efficace pour préserver le pouvoir d’achat
Contrairement à ce qu’affirment certains pseudo-consultants qui professent à longueur d’année sur les plateaux télé, une réintroduction de l’échelle mobile des salaires, datant de juillet 1952 sous la présidence de Vincent Auriol (SFIO), ne nuirait pas au développement économique. Elle ne favoriserait pas non plus l’inflation car celle-ci est basée sur l’évolution réelle des prix qui s’est déjà produite au cours du ou des mois précédents. Ces "experts économiques" ont tendance à confondre les notions de réelle augmentation des salaires (supérieure au taux d’inflation) et de simple ajustement à la hausse des salaires suite au mécanisme d’indexation (égal au taux d’inflation).
L’échelle mobile favorise en outre une solidarité entre les travailleurs des secteurs forts et ceux des secteurs faibles ainsi qu’entre les travailleurs actifs et inactifs. Elle est un facteur de stabilité sociale : les négociations salariales peuvent se concentrer sur l’augmentation réelle des salaires. C’est également un facteur de stabilité économique car le maintien du pouvoir d’achat représente un facteur de consommation et donc de croissance économique.
Ce système existe dans certains pays comme la Belgique et le Luxembourg. Il peut revêtir différentes formes (ajustement automatique des salaires à chaque variation de l'indice des prix, ajustement dès que l'indice choisi dépasse un certain seuil, ajustement à périodes fixes en fonction des variations enregistrées, etc.). Il existe également mais sans caractère automatique en Allemagne ou aux Pays-Bas : les syndicats doivent alors négocier pour compenser la perte de pouvoir d’achat subie depuis les négociations précédentes à la suite de l’inflation.
En France, en ayant négligé la question essentielle du maintien du pouvoir d’achat, les gouvernements successifs depuis 1982 portent une lourde part de responsabilité dans les difficultés financières que rencontrent des millions de personnes. Parallèlement aussi, curieusement, le mouvement syndical a abandonné cette revendication qui figurait pourtant parmi ses mots d’ordre traditionnels !
Et aujourd’hui, la nouvelle majorité socialiste, l'UMP hier, tout comme le FMI ou la commission de Bruxelles sur le plan international, restent à des années-lumière d'un éventuel rétablissement de l'indexation automatique des salaires et des allocations sur les prix pour protéger le pouvoir d'achat. Nul doute que François Hollande, fils spirituel de Jacques Delors, marchera sur les traces de l'ancien président de la commission européenne…
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