Trop
de pression, trop de dettes, les suicides se multiplient chez les paysans
qui ne savent plus comment survivre dans un système qui pousse à leur
disparition au profit de l’agro-industrie.
Depuis de nombreuses années, ce mode productiviste autodestructeur a ravagé leur vie et un énième plan d’urgence ne suffira pas si on ne change pas de logiciel…
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Depuis de nombreuses années, ce mode productiviste autodestructeur a ravagé leur vie et un énième plan d’urgence ne suffira pas si on ne change pas de logiciel…
La
crise actuelle des éleveurs est le symptôme de la faillite d’un mode de
développement agricole. Un système qui est allé au bout de sa logique et
inévitablement, les paysans disparaissent massivement à chaque crise agricole,
victimes des politiques publiques. Ils étaient plus de 10 millions en 1945
et ils ne sont plus qu'un seul petit million aujourd'hui.
Alors
que ceux qui restent sont au bord du gouffre, les annonces
gouvernementales et tables rondes se succèdent. Tout le monde clame haut et
fort qu'il faut sauver l'élevage, que les grandes surfaces doivent augmenter
les prix, que l'on doit manger français, etc. On évoque tantôt l’embargo
russe, tantôt la conjoncture défavorable pour expliquer la crise mais
celle-ci est structurelle depuis des dizaines d'années.
Les
éleveurs sont victimes avant tout d'un manque criant d'anticipation et de
clairvoyance des décideurs politiques. Depuis la mise en place de la PAC à la
fin des années 50, les responsables politiques de tous bords ont développé
le produire plus, la modernisation, les économies d'échelles. Depuis,
à chaque crise, la réponse est identique : il faut grossir, augmenter
la taille de l'élevage, ce qui entraîne automatiquement une surcharge de
travail, la mécanisation pour compenser, l'emprunt pour financer…
Par
une multiplication des contraintes administratives et
environnementales, par le système du « toujours moins cher », le
développement des fermes usines, l’européisme et le mondialisme défendus
par la commission de Bruxelles et approuvé par toute la classe
politique, le dogme intangible de l’ouverture des frontières et
la politique des travailleurs détachés payés 3 € de l'heure, notamment
dans les abattoirs allemands, le monde politique accule des
agriculteurs à mettre fin à leurs jours. Les suicides dans les campagnes
sont considérés comme de simples « dommages collatéraux »...
Un
membre de l’association Solidarité
paysans en Ille-et-Vilaine raconte : « Il y a deux semaines, on a
appris, pour une famille. La dame brûlait toutes les factures. Son mari, ses
frères, personne ne se doutait de rien, tout semblait aller bien. Et puis, la
dame a vu paraître, dans un journal agricole, l’avis de liquidation de leur
ferme. Elle s’est suicidée. »
L’association
a vu un autre agriculteur très dépressif : « Son lait n’est plus collecté,
mais il ne veut pas arrêter. Il avait mis de l’argent de côté, donc pour le moment,
il reste avec ses animaux, mais il ne vend plus rien. Ca ne pourra pas durer
longtemps comme ça. Je ne sais pas comment il va faire. »
Un
autre cas, celui de Pascal, faisait pourtant figure de battant : «C’était
une force de la nature, toujours à 100 à l’heure, toujours à la pointe de tout,
prêt à aller de l’avant, à développer ses connaissances», se souvient un de ses
amis. Pilier de la coopérative d’utilisation de matériel agricole locale, il
était toujours disponible pour dépanner un voisin. Catherine, sa veuve, n’a
jamais soupçonné qu’il perdait pied. C’est après son suicide, en plongeant
dans les papiers de la ferme, qu’elle découvre dans «quelle insupportable
souffrance morale il était», dans «quel engrenage de mensonges il s’est
retrouvé piégé». L’exploitation de 142 hectares était en cessation de
paiement et Pascal interdit bancaire. Sur son téléphone mobile,
le banquier avait laissé des messages de plus en plus pressants : «Rappelez-moi
Monsieur, ça ne va pas !»
Des
histoires comme celles-là, il y en a beaucoup. Elles ne relèvent plus de
l’anecdotique. 400 à 500, c’est le nombre de suicides d’agriculteurs recensés
en France, chaque année, d’après des chiffres provenant des Caisses de la MSA
(Mutualité sociale agricole) et de l’INVS (Institut national de veille
sanitaire). Mais le chiffre réel est sans doute bien supérieur à
ces statistiques car, pour des problèmes liés aux assurances notamment,
beaucoup de décès sont déclarés dans la catégorie accident ou maladie.
Face à
ce désarroi, le gouvernement est sur le pont pour une vaste opération de
communication. François Hollande et le ministre de l’agriculture Yves Le
Foll convoquent à Paris le commissaire européen à l’agriculture mais négocient
en même temps le futur traité de libre-échange avec l'Amérique du Nord (plus
connu sous les noms de TAFTA ou TTIP), qui va détruire à jamais la
production de viande bovine en France et mettre à rude épreuve les autres
filières d'élevage.
Le
plan d'urgence proposé par le gouvernement peut être considéré au mieux comme
une rustine pour traiter un mal très profond, au pire comme un plan de
licenciement des petites et moyennes exploitations. Dans tous les cas, le
compte n'y est pas.
L'agriculture
trop intensive est dans le mur. Les éleveurs, coincés dans ce système de
développement, n'arrivent plus à s'en sortir. Alors, Il y a urgence à
agir pour arrêter de porter atteinte à la santé de ces femmes et de ces
hommes, travailleurs de la terre. Il faut changer de système et donc
de logiciel.
Il
faut faire le choix d'une agriculture d'avenir, compatible avec les enjeux
climatiques, qui valorise l'environnement plutôt que de l'exploiter et le
détruire, d'une agriculture qui crée de l'emploi, vivifie les territoires,
relocalise la valeur ajoutée accaparée par les multinationales de
l'agroalimentaire et les milieux financiers.
François
Hollande était le 27 février au salon de l’Agriculture et a déclaré qu’il
était venu là pour entendre. Entendre ? Le mot est dérisoire car
après quatre années de pouvoir, il semble découvrir seulement
aujourd’hui la grave crise agricole et les centaines de
suicides de paysans qu'elle entraîne…
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