Cette
première «réforme» des retraites faite par un gouvernement socialiste,
puisqu'en son temps Lionel Jospin s'était finalement abstenu, est toute entière
marquée du sceau de la "méthode Hollande".
Gagner
du temps, renvoyer à plus tard avec la volonté de ne parvenir à aucune rupture
systémique, pas de tsunami, même pas de simples vagues mais au final une petite
attention pour le Medef…
La
durée de cotisation sera portée à 43 ans en 2035 contre 41,5 en 2020.
L’allongement sera progressif : de 42 ans en 2023, il passera pour
une retraite à taux plein à 42 ans et un trimestre en 2026, puis
42 ans et demi en 2029, 42 ans et trois trimestres en 2032 et enfin
43 ans en 2035.
Les
cotisations patronales et salariales augmenteront de 0,15 point en 2014 puis
0,05 point en 2015, 2016 et 2017, soit 0,3 point au total.
Mais
Pierre Moscovici l’a annoncé lors de l’université d'été du Medef :
l’augmentation des cotisations patronales sera entièrement compensée en 2014
par une diminution de la cotisation "Allocations familiales", qui
sera prise en charge par l'impôt, c'est à dire par les salariés et leurs
familles. Quant aux cotisations salariales, il n’est nullement question de les
compenser et cela se traduira donc par une nouvelle baisse du pouvoir d’achat
des salariés.
De
plus, le report d’avril à octobre de l’indexation annuelle des retraites
entraînera une perte de pouvoir d’achat des retraités de 0,9%, en moyenne
annuelle !
Une réforme dans la droite ligne des réformes Balladur et Fillon
En
1993, la réforme Balladur avait déjà eu des effets particulièrement négatifs :
- augmentation du nombre d’années de cotisation nécessaires à l’obtention d’une retraite à taux plein (40 ans de cotisation, soit 160 trimestres au lieu de 37,5 ans et 150 trimestres auparavant).
- Le salaire annuel moyen (SAM), qui était calculé sur les 10 meilleures années, est calculé depuis cette date sur les 25 meilleures, ce qui s’est traduit par une baisse de près de 20% du montant moyen des retraites du régime général !
- L’indexation annuelle des pensions, calculée à partir de l’indice d’augmentation du salaire moyen, est basée aujourd'hui sur l’indice officiel des prix, datant de 1946 et ne reflétant pas, loin s’en faut, la réalité de l’évolution des prix. Cela entraîne chaque année une seconde dévalorisation des pensions, déjà amputées de la CSG et de la CRDS.
En
2003, la réforme Fillon avait encore aggravé la situation :
- La durée d’assurance pour obtenir une pension à taux plein de 50% à 60 ans a été allongée à 41 ans en 2012.
- Une décote a été instituée avec une réduction progressive de 5% par année manquante en cas de liquidation avant 65 ans sans réunir les conditions du taux plein.
En
2012, un décret a bien ramené la retraite à 60 ans pour les personnes dites à «
carrière longue » ayant commencé à travailler à 18 ou 19 ans mais cette
dernière mesure touchera finalement peu de monde, 100 000 personnes
environ.
Cerise
sur le gâteau, l’accord du 13 mars 2013 concernant les retraites
complémentaires ARRCO et AGIRC, signé par la CFDT, FO et la CFTC, prévoit
d’indexer dorénavant celles-ci, chaque année, d’un point de moins que le taux
d’inflation. Un accord qui entérine, noir sur blanc, une nouvelle perte de
pouvoir d’achat pour les retraités !
Aujourd'hui
donc, avec cette dernière réforme, c’est la première fois que les mesures
prises sous un gouvernement de gauche entraîneront une baisse du niveau des
pensions. En entérinant l'allongement de la durée de cotisation prévue par la
réforme Fillon et en la prolongeant à 43 ans d'ici 2035, Jean-Marc Ayrault va
pénaliser durement les jeunes quand ils atteindront l'âge de la retraite.
L’hypocrisie du maintien de l’âge légal de départ à 62 ans
L’allongement
de la durée de cotisation à 43 ans est incompatible de fait avec le maintien de
l’âge légal à 62 ans. En effet, au cours des dernières années avant la
retraite, de nombreux salariés sont au chômage, en préretraite ou en invalidité
et n’arrivent même pas, dans leur grande majorité, à atteindre les 37,5 annuités
de carrière réelle comme c’était le cas avant la réforme Balladur de
1993.
Cette
situation sera catastrophique lorsque la durée de cotisation nécessaire, pour
obtenir une pension à taux plein sera de 43 annuités. Car tout salarié soucieux
d’obtenir la meilleure retraite possible essaiera toujours de partir avec une
retraite calculée au taux plein (50% du salaire moyen des 25 dernières années).
S’il n’a pas les 43 annuités exigées, il sera contraint de différer son départ
au-delà de 62 ans, si toutefois sa santé lui permet, sous peine de voir sa
retraite subir une décote importante.
Alors
que le taux d’emploi des jeunes ne dépasse pas 45%, alors que la moyenne d’âge
d’entrée dans la vie active s’établit à 23,5 ans, on leur demande de devoir
cotiser 43 ans pour une retraite pleine et entière. Le calcul est vite fait.
Les nouvelles générations ne partiront pas en retraite avant 67 ans, et encore
sous réserve qu’elles n’aient pas eu d’interruption de carrière, ce qui est
loin d'être un progrès social ! C’est au fond la même chose que de repousser
l’âge légal...
Quant
aux seniors dont un sur deux dans le secteur privé n'est plus en activité au
moment de la retraite, le rétablissement de l'Allocation Equivalent Retraite
est de plus en plus d'actualité. Et cet allongement de la durée obligatoire de
cotisation aura aussi pour conséquence de gonfler la charge d’indemnisation des
chômeurs âgés et d’accroître considérablement le déficit de l’assurance
chômage.
L’arnaque du compte prévention de la pénibilité
Hormis
les mesures concernant le financement, un compte personnel de prévention de la
pénibilité financé par les entreprises sera mis en place. Mais ce compte ne
permettra de bénéficier au maximum que de deux années de bonus, soit pour
les salariés concernés 41 années de cotisations au lieu de 43 en 2035.
Pratiquement la même situation qu’aujourd’hui avant cette réforme !
Les
défenseurs de Jean-Marc Ayrault ont avancé le chiffre officiel de 100 000
salariés concernés (sur 24 millions de salariés, cela fait 0,4 %...)
La
question c’est que tous les métiers sont pénibles. La pénibilité n’est pas
seulement physique, elle est aussi mentale. Stress, risques psychosociaux,
management brutal, burn out, suicides au travail, ce ne sont plus les
« coups de grisou » qui tuent, mais les « AVC ».
Il
existe en France 150 000 accidents cardiaques par an et 100 000 accidents
vasculaires. Le professeur André Grimaldi (actuellement engagé dans une
campagne pour défendre la « Sécu » contre les complémentaires santé)
affirme qu’entre 1/3 et la moitié de ces AVC sont liés au travail. Combien de
« points pénibilité » donnera-t-on à ces risques cardiaques et
vasculaires accrus par la pression au travail ?
Et les
salariés stressés, épuisés voire licenciés dès qu’ils donnent un signe de
lassitude, que subiront-ils ? Selon le Ministère du travail, 5 millions de
salariés subissent des « postures pénibles ». Plus de 5 millions
portent des charges lourdes. 5 millions ont des horaires atypiques qui usent la
santé et la vie familiale. Et pour les 5 millions qui travaillent de
nuit ? Le travail de nuit, nuit ! 10 ans de travail de nuit à
contre-courant c’est 15 ans de vie dépensée… Va-t-on donner des
« points » au gardien de nuit ou à l’infirmière de nuit ?
Il est possible de faire autrement en modifiant l’assiette des cotisations
Contrairement
à ce qu'a affirmé le Premier Ministre, il y avait d'autres solutions pour
financer l'équilibre des régimes, notamment la mise à contribution des
revenus financiers et la modulation des cotisations des entreprises en fonction
de leur politique d'emploi et de salaires. Une nouvelle fois, Jean-Marc Ayrault
a écarté cette piste sans même l'évoquer.
Le
besoin de financement de toutes les caisses de retraites prévu pour 2020
s’élèvera à environ 20 milliards d’euros (dont 7 milliards pour le seul régime
général), soit une somme de l’ordre d’un point de PIB. Un ordre de grandeur à
rapprocher de la détérioration de la part de la masse salariale de 5 points
dans le PIB depuis trois décennies, que l’on retrouve essentiellement sous
forme de dividendes supplémentaires versés aux actionnaires, soit 100 milliards
d’euros par an, cinq fois le déficit attendu en 2020...
On
pourrait donc aller dans une toute autre direction en soumettant à cotisations
l’ensemble des revenus des personnes physiques
tels que déclarés à l'administration fiscale d’autant plus qu’un tel changement
serait à la fois plus juste et plus rémunérateur (un point de prélèvement assis
sur le revenu fiscal rapportant sensiblement plus que le même taux appliqué sur
le seul salaire).
Déjà
adopté partiellement ou en totalité par plusieurs pays, tous les citoyens sans
exception y seraient assujettis, même de façon symbolique pour les revenus les
plus modestes ou non imposables. Et l’actuelle CSG pourrait être
fusionnée avec l’impôt progressif sur le revenu en constituant ainsi une sorte
de cotisation universelle et progressive finançant les régimes vieillesse et
les autres branches de la Sécurité sociale.
Mais
après avoir fait la proposition de fusion entre la CSG et l’IRPP pendant la
campagne présidentielle, François Hollande l’a renvoyé aux calendes grecques.
Cela constitue une grave erreur car la seule possibilité de proposer une
alternative crédible et durable au système actuel était d'instaurer, dès 2013,
une cotisation universelle progressive.
Le
problème de l’étroitesse de l’assiette salariale se pose également pour les
entreprises et les cotisations dites patronales. En effet, les entreprises à
fort taux de main d’œuvre, ayant une forte masse salariale mais une faible
valeur ajoutée, se trouvent pénalisées par rapport à celles ayant une faible
masse salariale et une haute valeur ajoutée.
Le
remplacement, même partiel, des cotisations patronales par une contribution sur
la valeur ajoutée serait la mesure la plus appropriée. Un tel changement
d’assiette serait une véritable révolution. Il reviendrait pour la première
fois à inclure les profits d’exploitation des entreprises dans l’assiette de
financement de la Sécurité sociale, notamment les entreprises ayant «ajusté à
la baisse» leur masse salariale à l’occasion de restructurations ou délocalisations.
Cette
proposition fut explorée à plusieurs reprises aussi bien par Alain Juppé que
par Lionel Jospin, anciens premiers ministres mais elle est restée lettre
morte. Seules la confédération générale des petites et moyennes entreprises
(CGPME) et l’Union patronale artisanale (UPA) y sont d’ailleurs
particulièrement favorables, à la différence du Medef…
Si le
système de financement actuel basé principalement sur le recouvrement de
cotisations sur salaires a relativement bien fonctionné pendant les «trente
glorieuses», il a atteint aujourd’hui ses limites.
Comme
Edouard Balladur et François Fillon hier, François Hollande et Jean-Marc
Ayrault aujourd'hui n’ont rien fait véritablement pour sortir de la situation
de déficit chronique dans laquelle se trouvent le régime général, le régime
agricole ou les autres régimes spéciaux. Résultat : ce sera encore
sur les salariés les plus modestes, les retraités, les revenus du travail que
pèsera le fardeau de la solidarité nationale…
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