21 novembre 2013

Le modèle allemand : un conte à dormir debout…

Pays le plus peuplé de l'UE
Selon les journalistes des grands médias, les économistes et européistes bien-pensants, l’Allemagne est championne d’Europe toutes catégories : l’économie se porte bien, le chômage y est très bas, sa politique énergétique est parfaite, etc.

Pourtant, si l’on en croit d’autres observateurs qui ne paradent pas sur les grandes chaînes de télévision, il s’agit d’une belle manipulation médiatique car tout n’est pas si rose outre-Rhin…


C’est sur l’antenne de France Culture, en septembre dernier, dans l’émission « les enjeux internationaux » que l’on pouvait écouter les réflexions pertinentes de Hans Stark, professeur à la Sorbonne et secrétaire général du CERFA (Comité d’Etude des Relations Franco-Allemandes). Expliquant que la chancelière, Angéla Merkel, estimait que son bilan suffisait à la faire réélire les doigts dans le nez, Hans Stark s’est appliqué à brosser un tableau plus objectif que celui que l’on dresse habituellement.

A part la CDU-CSU,  tous les autres partis d’Allemagne partagent les mêmes préoccupations : bas niveau à venir des retraites, montée des prix de l’énergie ainsi que des loyers, absence d’un salaire minimum. Rappelant que s’il est convenu de dire « l’Allemagne va bien », tous les allemands ne vont pas bien pour autant.

Près de 12 millions de citoyens, soit 15% de la population, sont pauvres car ils travaillent dans un cadre très fragile, à coup de petits métiers et voient leur niveau de vie baisser dangereusement, d’autant plus que leurs salaires s’amenuisent au fil des années. 4 millions de personnes gagnent moins de 7 euros bruts de l’heure. Les 10% d'Allemands les plus fortunés se partagent 53% de la richesse nationale, tandis que les 50% les plus pauvres ne possèdent que 1% de la richesse du pays…

Les lois « Hartz » * ont changé en effet fondamentalement l’organisation du travail et les conditions d’indemnisation du chômage, encourageant des formes d’emplois atypiques. Elles ont  été mises en place progressivement, sous la forme de quatre lois, mais la plus importante et la plus impopulaire est la loi Hartz IV.

Cette dernière loi oblige les chômeurs à accepter n’importe quel travail, même le plus précaire et le plus mal payé. Il n’est pas inutile de rappeler que c’est à l’ex chancelier social-démocrate, Gerhard Schröder, que les allemands doivent ces lois antisociales, ce qui explique peut-être le désamour des électeurs envers ce parti.

La mesure la plus importante est la réduction des indemnités versées aux chômeurs de longue durée qui refusent d'accepter des emplois en dessous de leur qualification. Les indemnités de chômage ne sont plus versées pendant 32 mois mais pendant seulement 12 mois (18 mois pour les plus de 55 ans) 

De plus, ces chômeurs peuvent être embauchés à des salaires inférieurs (1 €/heure) à la convention collective du secteur. D'autres mesures sont critiquées, telle que la possibilité de réduire les allocations d'un chômeur dont les ascendants ou descendants ont quelques économies.

Ce qui était surtout visé, c’était de réduire drastiquement le nombre de chômeurs, opération manifestement réussie, mais à quel prix ? Un emploi sur trois n’est désormais ni à plein temps, ni à durée indéterminée, et à Berlin par exemple, un jeune sur trois tente de survivre en-dessous du seuil de pauvreté.

Si le taux de chômage a effectivement baissé (6,8 %, soit 2,897 millions de personnes), il y a néanmoins une véritable précarisation à cause de la thérapie de choc privilégiant l’entreprise aux dépens de travailleur, avec la flexibilité comme arme.

Selon le livre noir du travail intérimaire, publié en mars 2012, plus de 1 million de salariés sont des intérimaires. Tous ces emplois précaires plafonnés à 450 euros mensuels sont en augmentation exponentielle, ayant quasiment doublé depuis 20 ans si l’on en croit les chiffres de l’office allemand des statistiques. L’Allemagne est ainsi aujourd’hui le pays de l’Union Européenne où la proportion des bas salaires est la plus élevée.

Comme le dit l’un de ces précaires : « comme des milliers d’Allemands je fais partie des travailleurs à 1,50 € l’heure (…) je suis malade du diabète, je m’accroche, mais il y a des jours, c’est trop dur et je me dis que parfois, il vaudrait mieux crever que de vivre ça ». Un autre citoyen, du prénom de Klaus a déclaré : « si une nouvelle crise arrivait, tous les intérimaires se retrouveront à la rue » ajoutant : « ce nouveau marché aux esclaves devrait être interdit car le travail intérimaire va enterrer tout ce pourquoi des générations de travailleurs se sont battus ».

Au-delà des difficultés que rencontrent ces millions de salariés, il faut regarder aussi de plus près celles qui concernent les retraités. Ils étaient au moins 400 000 en 2012 à devoir se contenter de 688 € mensuels, après avoir travaillé 35 ans pour 2500 € bruts par mois. Ceux qui ont cotisé pendant 40 ans se retrouvent quasiment dans la même situation.

Du coup, pour boucler leurs fins de mois, ils sont obligés de prendre des « mini jobs », privant les actifs du peu de travail qu’il reste dans le pays. Ils étaient déjà, en 2000, près de 800 000 retraités de plus de 65 ans à avoir dû accepter un « mini job » et ils sont encore plus nombreux aujourd’hui.

Pour bénéficier du minimum vieillesse, les conditions sont assez draconiennes puisqu’elles ne peuvent concerner ceux qui sont propriétaires ou qui disposent d’une épargne. Sans aller jusqu’à comparer cette situation avec celle qu’ont connus les allemands lors de la République de Weimar, laquelle avait permis l’accession au pouvoir d’Hitler, on ne peut pourtant pas éviter d’y trouver quelques ressemblances…

Quand François Hollande vante le modèle allemand…


Pendant que Jean-Marc Ayrault excluait à Paris tout « tournant » vers l’austérité, François Hollande faisait en Allemagne, en avril dernier, l'éloge des réformes du marché du travail allemand lors des célébrations à Leipzig des 150 ans du parti social-démocrate (SPD), en présence de la chancelière Angela Merkel :

«Le progrès, c'est aussi de faire dans les moments difficiles des choix courageux pour préserver l'emploi, pour anticiper les mutations industrielles et c'est ce qu’a fait Gerhard Schröder ici en Allemagne et qui permet à votre pays d'être en avance sur d'autres», a fait valoir le président français. «Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, elles peuvent faire surgir des controverses, mais rien ne se construit, rien de solide ne se bâtit en ignorant le réel», a-t-il ajouté, louant le rôle de l'amitié franco-allemande dans la construction européenne.

Partisan, mais sans le dire, de la politique libérale de son ami Gerhard Schröder, François Hollande a commencé à la mettre largement en place en France, notamment sur deux points :

En matière d’emploi, l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier, signé par le patronat et les organisations syndicales CFDT, CFE-CGC et CFTC, représente un recul social majeur. Cet accord notamment facilite les licenciements, permet aux entreprises de baisser les salaires et d’augmenter le temps de travail, réduit le délai de recours aux Prud’hommes pour les salariés licenciés, etc.

En matière de retraite, la durée de cotisation sera portée à 43 ans en 2035 contre 41,5 en 2020. L’allongement sera progressif : de 42 ans en 2023, il passera pour une retraite à taux plein à 42 ans et un trimestre en 2026, puis 42 ans et demi en 2029, 42 ans et trois trimestres en 2032 et enfin 43 ans en 2035. Les cotisations salariales augmenteront de 0,15 point en 2014 puis 0,05 point en 2015, 2016 et 2017, soit 0,3 point au total. 

Entre les millions de travailleurs réduits en quasi esclavage et les retraités dans la misère, on voit donc que le soi-disant « modèle allemand » est largement discrédité. Ce modèle s’inscrit dans le droit fil des préconisations, appliquées partout en Europe, de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) : démantèlement du droit du travail,  chantage à l’emploi pour baisser les salaires et les droits sociaux au nom de la compétitivité…



* L'inspirateur de ces réformes, Peter Hartz, était le directeur du personnel de Volkswagen où il négocia des accords sur la flexibilité des horaires. Il a démissionné le 10 juillet 2005 à la suite d'une affaire de corruption et un scandale de pot-de-vin avec des membres du comité d'entreprise. En 2007, il a été condamné par la justice à deux ans de prison avec sursis et à une lourde amende... 



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