Alexis
Tsipras a-t-il trompé le peuple grec ? Pourquoi a-t-il fait un
référendum qui n’a servi finalement à rien ? Est-il cohérent de
dire que l'accord cadre, signé par lui-même le 13 juillet
dernier à Bruxelles, est mauvais et n’aura aucun effet ?
En fait,
Alexis Tsipras a cru naïvement qu’il était possible de changer l’Europe de
l’intérieur en s’appuyant sur le résultat du référendum pour faire
pression sur la communauté européenne et
l'Eurogroupe. Mais cette stratégie est largement
crédule car elle ne prend pas en compte le poids écrasant des institutions
européennes ou la règle de l’unanimité pour modifier tel ou tel traité. La
volonté et la combativité ne suffissent pas dès lors que l’on est devant un mur
infranchissable...
En
France aussi, la gauche de la gauche, PCF et PG, fait la même
erreur tragique. Contre toute logique, Jean-Luc Mélenchon et Pierre
Laurent répètent à longueur d'interviews télévisés, que la
France est un grand pays et qu’en tapant fort du poing sur la table à
Bruxelles, Francfort ou Berlin, il est possible de changer les choses
en Europe !
Aujourd'hui,
il est évident que la Grèce n’a pas sa place dans l’euro et ne l’a d’ailleurs
jamais eue. La monnaie unique, surévaluée dès l'origine par
rapport aux monnaies des pays du Sud et sous-évaluée par rapport
au deutschemark, a fait le bonheur principalement de
l'Allemagne. De plus, l'utilisation massive de travailleurs
détachés qui sont payés bien au-dessous des standards français (salaires
horaires à 5 euros notamment dans les abattoirs allemands et absence de
protection sociale) favorisent aussi les records d'exportations
allemandes...
Plusieurs
prix Nobel d’économie dont les Américains Paul Krugman et Joseph Stiglitz ou
d’autres économistes de renom comme Frédéric Lordon ou Jacques
Sapir ont démontré qu'une monnaie unique est un non-sens
économique pour des pays aux économies aussi différentes que celles de la zone
euro mais ce débat semble tabou en France et en Europe.
En
fait, Alexis Tsipras aurait dû, dès son arrivée au pouvoir il y a 6 mois, avoir
un plan de sortie de l’euro sérieusement étudié au
préalable mais il a exclu d'office cette hypothèse,
refusant même de soumettre cette question à un référendum. Et
maintenant, après le vote par le parlement grec d’une série de mesures
inspirées par les directives d'Angela Merkel et la fronde de près d'un
tiers des députés de son propre parti, Alexis Tsipras annonce sa
démission, des élections législatives anticipées et un congrès
extraordinaire de Syriza en septembre prochain.
Mais d'ores
et déjà Syriza a fait long feu. La frange la plus à gauche a
annoncé la création d’un nouveau parti indépendant, baptisé « Unité
populaire », et la constitution d’un groupe parlementaire formé de
vingt-cinq anciens députés de Syriza.
Costas
Lapavitsas (co-fondateur de Syriza, membre la plateforme de gauche, député au
Parlement grec et professeur d’économie) a prononcé un discours à
Athènes, dans lequel il analyse et critique sévèrement l'action d'Alexis
Tsipras...
Une capitulation désastreuse
Le
gouvernement Syriza vient de signer un nouvel accord de sauvetage. C’est un
très mauvais accord, pour des raisons évidentes que je vais énumérer.
Tout
d’abord, cet accord est récessif. Il va plonger l’économie grecque dans la
récession. Parce que les seules augmentations d’impôts s’élèvent à 2% du PIB.
Elles concernent surtout la TVA, impôt indirect prélevé sur des produits
principalement consommés par les travailleurs. Mais elles concernent aussi les
entreprises et vont d’abord frapper les petites et moyennes entreprises, qui
demeurent la colonne vertébrale de l’économie grecque. L’agriculture est sans
doute le secteur le plus durement touché par cette augmentation : l’impôt
sur le revenu versé par les agriculteurs va doubler, et ils seront soumis à de
nouvelles obligations. Ces mesures sont incontestablement récessives. Elles
arrivent à un moment où l’économie grecque chancelle au bord du précipice. Il
ne fait aucun doute qu’elles vont la faire basculer dans la récession.
Deuxièmement,
l’accord impose des mesures clairement inégalitaires. Elles vont exacerber les
inégalités dans le pays. Ne laissez personne vous dire le contraire : le
gros des recettes fiscales viendra des impôts indirects, dont on sait qu’ils
sont facteur d’inégalité. Les inégalités vont s’accroître parce que les mesures
imposent de prendre 800 millions par an dans les retraites. Elles feront peser
une charge supplémentaire sur les retraités, qui comptent déjà en règle
générale parmi les couches les plus pauvres de la population. Et bien sûr, les
inégalités vont aussi s’accroître parce que le chômage va augmenter cette année
et l’année prochaine.
Cet
accord est mauvais parce qu’il ne remédiera en rien au problème de la dette du
pays. Il ne prévoit pas de restructuration de la dette. Il va remplacer une
catégorie particulière de dette par une autre. Il pourrait entraîner une
amélioration marginale – marginale – sur le plan des taux d’intérêt et de
l’étalement de la dette. Et celle-ci va sans aucun doute augmenter de 20 à 25
milliards pour recapitaliser les banques. Selon le FMI, le ratio dette sur PIB
devrait passer à 200% l’an prochain. C’est très probablement ce qui va arriver.
Quatrièmement,
l’accord ne prévoit absolument rien pour le développement du pays. Le
« paquet » de 35 milliards d’euros n’existe tout simplement pas. Ces
sommes ont déjà été allouées à la Grèce dans les divers fonds. Nous ne savons
pas quand ni comment le pays percevra de l’argent frais. Rien, donc, en matière
de développement.
Enfin,
cet accord est clairement de type néocolonial. Le gouvernement de gauche a
signé un accord néocolonial. Il l’est pour plusieurs raisons. J’en évoquerai
trois : tout d’abord, l’accord prévoit l’établissement d’un fonds de
privatisation de 50 milliards d’euros, sous contrôle étranger, et qui aura pour
mission de vendre des biens publics. Les 25 premiers milliards seront destinés
aux banques. S’il reste quelque chose – et il ne restera rien car on
n’atteindra jamais 50 milliards –, les sommes serviront au remboursement de la
dette et, peut-être, à l’investissement. Par conséquent, ce fonds vendra tout
ce qu’il est possible de vendre pour recapitaliser les banques. Nous venons
d’accepter de vendre nos bijoux de famille pour recapitaliser des banques grecques
en faillite.
Nous
avons aussi accepté de mener des réformes de l’administration publique sous la
houlette de l’UE. Nous avons accepté de nous soumettre à un contrôle qui non
seulement sera très sévère mais qui durera bien plus longtemps que les 3 ans
que durera l’accord.
À mes
yeux, cet accord représente une capitulation désastreuse. Ce n’est pas
Brest-Litovsk. Ceux d’entre vous qui le croient se trompent. Il ne s’agit pas
de gagner du temps pour asseoir le pouvoir bolchevique à Moscou et à Leningrad.
Il ne s’agit pas de gagner du temps, car il n’y a pas de temps à gagner. Le
temps, en l’occurrence, joue en faveur de l’ennemi. Ce n’est pas une manœuvre
tactique.
Cet
accord revient à mettre le pays sur une voie qui n’a qu’une seule issue. Une
issue qui ne sert pas les intérêts du peuple. Quant à savoir qui est le
véritable vainqueur de cet accord, c’est l’évidence même. Le vainqueur est
devant vous. C’est l’oligarchie, qui s’exprime dans les médias de masse. Voilà
pourquoi les médias exultent et célèbrent cette victoire. La réalité est
parfois exactement ce qu’elle paraît être. Il est inutile de gratter la
surface. Si vous lisez les grands journaux et que vous écoutez les médias, vous
savez qui a gagné.
Le produit d’une erreur stratégique
Alors pourquoi ?
Pourquoi cette capitulation ? Pourquoi en est-on arrivé là après le grand
enthousiasme d’il y a six mois, après le fort soutien que nous ont apporté les
mobilisations de la base dans ce pays et en Europe ? Pourquoi ? Pour
moi, la réponse est claire. Elle tient à une mauvaise stratégie, stratégie qui
fut certes assez bonne pour gagner les élections, mais qui s’est révélée
désastreuse une fois Syriza arrivé au pouvoir. Cette mauvaise stratégie a fait
long feu. Quelle est-elle ? Elle est très simple, et elle a été
explicitement formulée à maintes reprises. Nous réaliserons un changement
radical en Grèce, un changement radical en Europe, et nous le ferons de
l’intérieur de la zone euro. Voilà quelle était la stratégie. Eh bien ce n’est
pas possible. Un point, c’est tout. Les derniers mois ont démontré que ce
n’était tout simplement pas possible.
Ce
n’est pas une question d’idéologie, néo-libérale ou autre. Ce n’est pas une
affaire de rééquilibrage des rapports de force politiques. Combien de fois ai-je
entendu parler de rééquilibrage ? Et voilà que ce débat revient sur la
table, que l’on ressort cet argument : « Attendons que le rapport de
force politique change en Europe, si Podemos est élu, les choses seront
différentes. » Vous pourrez attendre longtemps. Très longtemps. Car ce
n’est pas ainsi que la situation changera.
Pourquoi ?
Parce que l’union monétaire, dont la Grèce fait partie, n’est pas de nature
idéologique. Enfin elle l’est, mais il ne s’agit pas seulement d’idéologie. Ni
de rééquilibrage du rapport de force. C’est un mécanisme institutionnel. Plus
tôt les Grecs le comprendront, mieux ce sera pour nous tous. On a affaire à un
mécanisme institutionnel, à une union monétaire, à un ensemble hiérarchique qui
agit dans l’intérêt des grandes entreprises et d’un petit nombre de pays
membres. Voilà la nature de l’Union économique et monétaire.
Historiquement,
cette union monétaire a échoué. En Grèce, son échec est patent. Elle a ruiné le
pays. Et plus la Grèce s’accroche à sa place au sein de l’union, plus elle
détruit son peuple et sa société. C’est un fait que l’histoire des unions
monétaires a établi depuis longtemps. Le problème est qu’à chaque fois, les
gens refusent de voir la réalité en face.
La question de l’argent
Permettez-moi
de faire une digression sur la question de l’argent – après tout, je m’adresse
ici à un public d’universitaires et cela fait trente ans que j’étudie l’argent.
L’argent est bien sûr l’équivalent universel. La marchandise des marchandises.
Je suis assez traditionaliste à cet égard.
Sous
sa forme la plus simple et la plus pure, c’est une chose. La plupart des gens
considèrent que l’or est de l’argent. Dans certains cas, c’est encore vrai.
Quand il est une chose, il fonctionne de façon aveugle et automatique, comme le
font toutes les choses. Et il est l’objet de la réification. Les rapports
sociaux vont s’incarner dans cette chose. De façon aveugle et mécanique, la
société se soumet à cette chose. Nous le savons depuis longtemps. Keynes
parlait de l’esclavage du métal jaune.
Bien
sûr, l’argent moderne n’est pas une chose de ce type. Il reste chose, mais pas
une chose ayant la forme d’une marchandise produite. Il est contrôlé. Il reste
de l’argent, mais il est contrôlé. Contrôlé par des institutions, des comités, des
mécanismes, toute une hiérarchie de relations. Cette hiérarchie et ce cadre
produisent de la réification. Une réification qui diffère de celle de l’or. Ce
que réifient ces institutions, c’est la pratique. L’idéologie et les intérêts
de classes se réifient dans la pratique, dans l’institution elle-même.
C’est
ce que la gauche, en Europe et en Grèce, s’est révélée incapable de
comprendre : les mécanismes de l’Union européenne et monétaire sont une
pratique de classe réifiée. Un point, c’est tout. Vous ne pouvez pas les
transformer parce que vous avez gagné une élection en Grèce. C’est impossible.
Vous ne pourrez pas les changer parce que demain, Podemos sera au pouvoir en
Espagne. Ce n’est pas possible. Donc de deux choses l’une : soit vous
détruisez cet édifice, soit vous l’acceptez tel qu’il est. Nous en avons
désormais la preuve irréfutable.
Un programme radical suppose un plan de sortie de l’euro
Mais
la vraie question est la suivante : que fait-on maintenant ? Je vais
vous le dire, et sur ce point, ma propre pratique a valeur de preuve. La seule
position cohérente au parlement ces derniers jours – cohérente avec deux
choses : le mandat électoral reçu par Syriza le 25 janvier, et le
référendum où le peuple a très clairement dit non aux plans de sauvetage –, la
seule position cohérente avec ces expressions de la volonté populaire, c’était
de dire non. Pas oui.
Ce
n’est pas une affaire de conscience morale. Je respecte la conscience de
chacun, je comprends la difficulté morale éprouvée par chaque député, chaque
membre de Syriza, chaque citoyen grec. Mais ce n’est pas une question morale.
Je ne suggère absolument pas que le « non » est moralement supérieur
au « oui ». Je tiens à le dire très clairement. Il ne s’agit pas ici
de morale, mais de jugement politique.
C’est
la politique qui compte ici, et la juste orientation politique à prendre,
c’était de dire non. C’est la seule option qui permet de rester cohérent avec
la volonté populaire, avec les promesses que nous avons faites au peuple, et
avec les mesures que nous serons susceptibles de prendre à l’avenir.
Si
cette orientation est maintenue, le « oui » nous plongera
vraisemblablement dans d’immenses difficultés. D’immenses difficultés pour les
raisons que je vous ai données et qui tiennent au contenu de l’accord. Il n’est
pas possible d’accepter cet accord et de transformer la Grèce. Ce ne sera pas
possible car l’accord contient des mécanismes de contrôle très durs. Ces gens à
l’étranger ne sont pas idiots. Ils savent exactement de quoi il retourne. Et
ils imposeront des conditions, des régulations, des mécanismes de contrôle qui
empêcheront Syriza de prendre des mesures allant dans le sens de ce à quoi
beaucoup aspirent.
La
preuve du pudding, c’est qu’on le mange. Ils exigent déjà le retrait de la
majeure partie des lois que nous avons adoptées au cours des cinq derniers
mois, dans l’intérêt des travailleurs. Et nous les retirerons. Ils nous contraignent
à le faire. Et vous vous imaginez qu’à partir de maintenant, vous allez pouvoir
adopter d’autres mesures législatives radicales ? Mais sur quelle planète
vivez-vous ? C’est impossible. Et ce ne sera pas possible.
Revenir sur l’accord en s’appuyant sur le Non au référendum
Alors,
qu’allons-nous faire ? Nous devons revenir sur l’acceptation de cet
accord. Et concevoir un programme radical compatible avec nos valeurs, nos
objectifs et le discours que nous avons tenu au peuple grec depuis tout ce
temps, depuis toutes ces années. Et ce programme radical est impossible sans
une sortie de l’euro. La seule chose à quoi nous devions vraiment travailler,
c’est au développement d’un plan de sortie de l’euro qui nous permettra de
mettre en œuvre notre programme. C’est si évident que je suis stupéfait qu’on
ne l’ait toujours pas compris après cinq mois d’échec des négociations.
Avons-nous
les forces requises ? Oui. Oui parce que le référendum, où le
« non » a triomphé sans appel, a démontré deux choses. Il a démontré,
pour commencer, que l’euro est une affaire de classe. Ce n’est pas une forme
d’argent impersonnelle. Comme je vous l’ai dit, il cristallise et contient des
rapports de classe. Et les gens l’ont instinctivement compris : les riches
ont voté « oui », les pauvres ont voté « non » au
référendum. Un point, c’est tout.
Deuxième
chose démontrée par le référendum, et cela représente un énorme
changement : pour la première fois depuis cinq ans, la jeunesse grecque
s’est exprimée. Nous étions nombreux à attendre qu’elle le fasse. Et enfin,
elle l’a fait. Et la jeunesse, cette jeunesse si attachée à l’Europe, si
éduquée, sans doute si éloignée de tous ces dinosaures d’extrême gauche qui
croient encore à Marx et consorts – cette jeunesse grecque qui bénéficie des
programmes Erasmus et qui voyage partout, cette jeunesse a dit non, à 80%.
Voilà la base d’une orientation radicale, et d’une réorientation pour Syriza
aujourd’hui. Si nous disons oui, si nous maintenons le oui, nous perdrons les
jeunes. J’en ai la certitude absolue.
Comment organiser une sortie de l’euro ?
Alors
comment initier cette nouvelle orientation ? Est-ce une chose
impossible ? Ne vous imaginez pas qu’il n’existe pas de plan pour sortir
de cette union monétaire désastreuse et mettre en œuvre une stratégie radicale.
Il existe un plan. Seulement, on ne l’a jamais utilisé. On ne l’a jamais
développé, jamais étudié de manière approfondie. Pour le mettre en œuvre, il
faut le développer, et il faut, par dessus tout, une volonté politique.
Ce
plan, sous forme de feuille de route, contiendra quelques points très clairs.
-
Premièrement, défaut sur la dette nationale. Le défaut est l’arme des pauvres.
La Grèce doit faire défaut. Il n’y a aucune autre porte de sortie. Le pays est
écrasé par sa dette. Un défaut serait donc un premier pas vers un profond
effacement de la dette.
-
Deuxièmement, nationalisation des banques. Nationalisation efficace des
banques. Je veux dire par là que l’on nommera un commissaire public et un
groupe de fonctionnaires et de technocrates qui savent comment s’y prendre. On
leur demandera de diriger les banques et de renvoyer chez eux les membres des
équipes dirigeantes actuelles. Voilà ce qu’il faut faire. Sans avoir la moindre
hésitation. Et nous changerons en conséquence la structure juridique de ces
établissements. La chose est très facile à faire. Les banques continueront à
fonctionner sous un régime de contrôle des capitaux. On aura alors fait la
moitié du chemin pour sortir de cette catastrophique union monétaire. Mais il
faudra mettre en place un contrôle adéquat des banques et des capitaux, pas ce
contrôle lamentable que nous avons vu ces deux dernières semaines. Il faudra
que cela permette aux travailleurs et aux entreprises de retrouver une activité
normale. C’est tout à fait possible. On l’a vu à plusieurs reprises.
-
Troisièmement, conversion de tous les prix, de toutes les obligations, de
l’ensemble de la masse monétaire dans la nouvelle devise. On peut convertir
tout ce qui relève du droit grec. Les déposants perdront une part de leur
pouvoir d’achat, mais pas sur la valeur nominale de leurs dépôts. Mais ils y
gagneront car le pouvoir d’achat de leur dette diminuera également. Donc la
majorité en sortira probablement gagnante.
-
Quatrièmement, organisation de l’approvisionnement des marchés protégés :
pétrole, produits pharmaceutiques, nourriture. C’est tout à fait possible en
définissant un ordre de priorités, donc il faut s’y prendre un peu à l’avance,
pas à la dernière minute. Il est évident que si vous pensez mettre tout cela en
place le lundi matin et que vous commencez à y réfléchir le dimanche, l’affaire
sera difficile. J’en conviens.
-
Enfin, déterminer comment on allégera la pression sur le taux de change. Le
taux de change va probablement plonger puis remonter. C’est généralement ce qui
se passe. Il se stabilisera à un niveau dévalué. J’envisage une dévaluation de
15 à 20% au final. Il faut donc savoir comment on maîtrisera cette situation.
Quels seront les effets d’une sortie de l’euro ?
Que se
passera-t-il donc si nous empruntons ce chemin ? D’abord, il faut s’y
préparer techniquement, et surtout, il faut y préparer le peuple. Car pareille
chose est impossible sans lui. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai : on
peut se passer du peuple, mais alors il faut envoyer les chars dans les rues.
On peut aussi faire ça. Mais ce n’est pas l’orientation de la gauche. La gauche
veut y parvenir avec la participation du peuple, car nous voulons le libérer de
cette façon, nous voulons le faire participer.
Que se
passera-t-il donc si nous empruntons ce chemin ? J’ai vu des simulations
et des modélisations économétriques de l’effet que cela pourrait avoir sur le
PIB, les prix, etc. Ce genre de chose est parfois très utile et intéressant à
lire. Mais dans ce cas, les simulations n’ont pas la moindre valeur.
Pourquoi ? Parce que, par essence, la simulation et l’économétrie reposent
sur la conservation des caractéristiques structurelles du modèle. Sinon, toute
simulation est impossible. Ici, par construction, nous transformons la
structure. C’est un changement de régime. Ou, pour le dire autrement, si
quelqu’un décide de remettre sa vigne en culture, comment en prévoir les
effets ? C’est cela qui va se passer. Il se produira un changement
structurel. Donc toutes les prévisions chiffrées ne valent pas grand-chose. Ne
croyez pas ceux qui vous disent qu’il y aura une récession de 25%, une
contraction du PIB de 50%. La vérité est qu’ils n’en savent rien. Ils sortent
ces chiffres de leur chapeau.
Le
mieux que l’on puisse faire dans ces conditions, c’est de concevoir des
anticipations raisonnées fondées sur les expériences antérieures et sur la
structure de l’économie grecque. J’imagine que si nous empruntons cette voie en
y étant préparés, nous entrerons en récession. Ce sera difficile. Cela durera
probablement plusieurs mois, du moins la plongée durera plusieurs mois. Mais si
je me fonde sur l’expérience monétaire, je ne crois pas que cette situation
durera plus de six mois. En Argentine, elle a duré trois mois. Puis l’économie
est repartie.
La
contraction durera donc plusieurs mois, puis l’économie redémarrera. En
revanche, il est probable qu’il faille attendre plus longtemps pour renouer
avec des taux de croissance positifs, car la consommation, la confiance, et les
petites et moyennes entreprises subiront sans doute un choc important. Je
suppose que l’on reviendra à des taux de croissance positifs au bout de 12 à 18
mois.
Une
fois le pays sorti de cette période d’ajustement, je pense que l’économie
reviendra à des taux de croissance rapides et soutenus. Pour deux raisons.
D’abord, la reconquête du marché intérieur. Le changement de devise permettra
au secteur productif de reconquérir le marché intérieur, de recréer des
opportunités et des activités, toutes choses que l’on a vu à chaque fois que se
sont produits des événements monétaires de cette ampleur. Et un gouvernement de
gauche favorisera la reprise, pour qu’elle soit plus rapide et plus solide. En
partie parce que les exportations vont très probablement repartir ; en
partie parce que l’on mettra en place un programme soutenu d’investissement public
qui favorisera aussi l’investissement privé et produira de la croissance
pendant plusieurs années. Voilà mes prévisions, je n’ai pas le temps de les
développer ici.
La voie de la sagesse…
Je
voudrais ajouter deux choses. Il ne s’agit pas d’une sortie de l’Europe.
Personne ne défend cette idée. L’euro, l’Union européenne et monétaire, ne se
confond pas avec l’Europe – cette valeur désincarnée, qui nous tourmente depuis
si longtemps. Nous parlons ici de sortie de l’union monétaire. La Grèce restera
membre de l’Europe et des structures européennes tant que le peuple grec le
souhaitera. Cette stratégie vise au contraire à libérer la Grèce du piège que
constitue l’union monétaire, à lui permettre de renouer avec une croissance
soutenue et avec la justice sociale, à renverser le rapport de force au profit
des travailleurs du pays. Je le regrette, mais il n’y a pas d’autre stratégie.
S’imaginer le contraire, c’est poursuivre des chimères.
J’ignore
si la Grèce optera pour cette stratégie. Récemment, je suis tombé sur une
phrase très intéressante, attribuée à un premier ministre israélien. Il disait
que les nations prennent la voie de la sagesse, mais seulement après avoir
essayé toutes les autres. Dans le cas de la Grèce, je crains que ce ne soit ce
qui nous attend. La voie de la sagesse, c’est celle de la sortie de l’euro et
du changement social. J’espère que Syriza le comprendra et dira non. Qu’il ne
signera pas cet accord. Qu’il reviendra à ses principes radicaux et à ses
valeurs radicales. Qu’il fera une nouvelle proposition à la société grecque et
s’engagera dans la voie de la sagesse.
(Costas
Lapavitsas)
Merci
à notre ami Nicolas Vieillescazes du site Contretemps pour
la traduction en français de ce discours
Photo
Creative Commons
Lire la suite du blog :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire