22 janvier 2019

Grand débat national et lettre aux Français : Emmanuel Macron a oublié de poser les questions essentielles en matière fiscale…

La farce du grand débat national
Depuis plusieurs décennies, les inégalités sociales menacent la cohésion de la société en créant un fossé de plus en plus grand entre les Français.

L'écart des revenus progresse sans cesse entre les plus riches et les plus pauvres mais loin d'être une fatalité, ces inégalités peuvent être combattues en faisant notamment une réforme profonde de la fiscalité, réforme toujours renvoyée à plus tard par tous les gouvernements successifs de gauche ou de droite.

Et si, dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron a bien dévoilé les thèmes qui nourriront le grand débat national à travers trente-quatre questions, il s'est bien gardé de poser les questions essentielles en matière fiscale…  


En s‘intéressant au régime fiscal qui est appliqué aux personnes physiques dans le cadre de l'impôt sur le revenu (IR), on peut savoir aisément quelles sont les personnes qui sont privilégiées par le système fiscal actuel et celles qui le sont beaucoup moins. 

Le système fiscal français est complexe et peu transparent, truffé de niches fiscales et de règles dérogatoires. Et surtout il est profondément injuste. Plus précisément, il a un caractère régressif. Cela signifie que, tous prélèvements confondus, les taux d’imposition sont plus élevés pour les ménages les plus modestes et s’abaissent pour les plus riches.

A qui profite le manque de progressivité de l'impôt sur le revenu ?

L'IR souffre d'un manque cruel de progressivité avec seulement 5 tranches d’imposition : 0% (moins de 9 964 €), 14% (9 964 à 27 519 €), 30% (27 519 à 73 779 €), 41% (73 779 à 156 244 €), 45% (156 244 € et plus). Le taux marginal est bien passé de 41% à 45 % sous le quinquennat de François Hollande mais sans toucher au reste, cela n’a rien changé à un système fiscal qui demeure dégressif pour les plus hauts revenus et n’est plus calculé en fonction des « facultés » de chacun.

De nombreux dispositifs contrarient cette progressivité : ce sont globalement tous les dispositifs dérogatoires comme ceux qui permettent une déduction du revenu imposable, une réduction d’impôt, un crédit d’impôt ou encore ceux qui relèvent d’une imposition différenciée comme notamment le prélèvement forfaitaire unique qui impose les revenus financiers comme les dividendes et les plus-values financières à un taux proportionnel.

La simple diminution de ces dispositifs dérogatoires et le rétablissement des quatorze tranches d'imposition, supprimées par Laurent Fabius, ministre des finances en 2000, permettraient de rétablir une réelle progressivité de l'IR et de dégager des recettes nettement supérieures à celles rapportées actuellement chaque année. 

Qui est favorisé par le maintien du quotient familial ?

L’IR est calculé en fonction du quotient familial (QF) qui est un mécanisme qui prend en compte la taille de la famille mais qui a pour défaut de subventionner davantage les familles riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt étant proportionnelle au revenu dans la limite d'un plafond. Ce plafonnement a été baissé de 2 336 € à 2 000 € par demi-part puis à 1 500 € sous le quinquennat de François Hollande mais le système reste toujours aussi injuste. 

Que la France abandonne le QF, qui n’est plus appliqué en Europe que par le Luxembourg et la Suisse et qu’elle adopte une déduction d'impôt uniforme pour chaque enfant comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.

Selon une étude de la direction générale du Trésor, avec un crédit d’impôt identique par enfant pour tous les ménages, 4,3 millions seraient perdants pour un montant moyen de 930 € par an et 4,8 millions seraient gagnants pour un montant moyen de 830 € par an. Compte tenu de la concentration des gains actuels du quotient familial sur les 11 % des ménages les plus aisés, les trois quarts des pertes (soit 3 milliards d’euros sur 4) seraient supportées par cette partie de la population. L’effet sur la répartition des revenus serait sensible et les familles modestes, pas ou peu imposées, verraient leur niveau de vie augmenter sensiblement.

Qui est favorisé par le maintien du quotient conjugal ?

L’IR est modulé aussi en fonction du quotient conjugal (QC) qui consiste à diviser la somme des revenus d'un couple par deux avant de lui appliquer le barème progressif. La conséquence de ce système est double : il réduit fortement l'impôt des couples aisés dont l'un des membres - le plus souvent la femme - ne travaille pas ou très peu, avec une réduction d'impôt d'autant plus élevée que le revenu principal est important. Pour un même revenu, ces couples sont ainsi avantagés au détriment des célibataires, des personnes séparées, des veufs et veuves ou encore des familles monoparentales qui doivent pourtant faire face à des dépenses de vie courante plus élevées qu'un couple. 

Le coût de ce dernier avantage fiscal accordé aux couples aisés oscille entre 5,5 milliards € d'après le Trésor à 24 milliards € selon la Cour des comptes ! Cette dernière somme est énorme, d’autant plus que l'avantage retiré du QC n'est pas plafonné, contrairement au QF. Pour corriger ce système, la meilleure solution serait sa suppression pure et simple, les capacités contributives étant dès lors appréciées en fonction des revenus réels des couples. 

Qui s’enrichit grâce aux niches fiscales ?

En 2018, 457 niches fiscales représentaient, d'après le Trésor, un montant dépassant pour la première fois les 100 milliards d'euros (100,4 milliards d'euros), en hausse de 7 milliards par rapport à 2017. Si quelques niches répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement utiles, la plupart d'entre elles sont complètement inutiles et permettent surtout à une minorité de personnes de réduire fortement leur imposition tout en se constituant un patrimoine important. 

Ces niches fiscales se sont accumulées au fil du temps, à tel point qu’un plafonnement intégrant plusieurs d’entre elles a été instauré en 2009. Les premiers plafonds étaient élevés et permettaient une large défiscalisation. Ces plafonds ont été ensuite abaissés à 10 000 euros pour limiter l’optimisation fiscale permise par le cumul de plusieurs niches et d’autres dispositions dérogatoires. Mais ce plafonnement ne concerne pas les anciennes niches. Les opérations de défiscalisations antérieures au plafond (ou engagées lors des plafonnements antérieurs, plus élevés et permissifs) échappent toujours à la législation actuelle. En clair, les contribuables qui bénéficiaient des plafonds antérieurs ont conservé leurs " acquis fiscaux " !

Emmanuel Macron, qui est hostile à une réduction drastique des niches fiscales, n'imagine pas un seul instant qu’avec une récupération même partielle de ces recettes perdues, on réglerait une bonne fois pour toute les intérêts annuels de la dette publique qui se montent à 50 milliards €… 

Qui profite de la fraude et de l'optimisation fiscale ? 

La fraude fiscale, par son ampleur et ses caractéristiques (le dernier rapport du principal syndicat des Finances publiques, Solidaires-Finances, indique que celle-ci aurait grimpé à 100 milliards € annuels, et ce sans comptabiliser les fraudes aux prélèvements sociaux) réduit fortement les rentrées fiscales et accentue les inégalités, sans parler de l'optimisation fiscale qui fait le bonheur des avocats d'affaires (20 milliards € de manque à gagner fiscal dus aux jongleries d'optimisation). Ce sont essentiellement les grosses entreprises et les riches particuliers qui en bénéficient car ils peuvent faire de gros investissements déductibles de l’impôt ou user de l’existence des paradis fiscaux. 

L’administration fiscale a perdu plus de 25 000 emplois depuis le début des années 2000 sur l'ensemble de ses missions, dont une grande partie est concentrée sur des services qui forment le premier étage du contrôle fiscal, c'est-à-dire le service de gestion de l'impôt, le service de contrôle sur pièces et le service de programmation des contrôles fiscaux. Ainsi non seulement la fraude fiscale perdure mais son montant annuel est supérieur à ce que rapporte l'impôt sur le revenu ! 

Un signal fort devrait être donné par la création de plusieurs milliers de postes dans les administrations chargés de lutter contre les fraudes mais cela n'arrivera pas car Emmanuel Macron va continuer de réduire les budgets des administrations publiques pour respecter la barre des 3% du déficit public imposée par la commission de Bruxelles.

Qui profite des paradis fiscaux en France et en Europe ?  

L’Europe compte en son sein de nombreux paradis fiscaux sans que les partis européistes béats de droite ou de gauche (LREM, Modem, UDI, Radicaux, Verts, LR, PS), s’en offusquent le moins du monde : Andorre, Campione, Chypre, Gibraltar, Guernesey, Ile de Man, Irlande, Jersey, Liechtenstein, Luxembourg, Madère, Malte, Monaco, Sercq, Suisse.

Et la France particulièrement ne s’honore pas à « fermer les yeux » sur certains mouvements de capitaux notamment dans deux micros états, dénoncés par l’ONU, l’Andorre et Monaco qui ont la particularité de se trouver pratiquement sur le territoire français et de compter pour l’un deux, à sa tête, un co-prince en la personne d'Emmanuel Macron !

Dans son livre (Enquête au cœur de l'évasion fiscale), le journaliste Antoine Peillon a croisé différentes sources pour estimer à 590 milliards € l'ensemble des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux, dont 220 milliards € appartenant aux Français les plus riches (le reste étant le fait d'entreprises). Environ la moitié de ce total serait dissimulée en Suisse, la dernière décennie voyant fuir environ 2,5 milliards € d'avoirs par an. 

Rappelons enfin que le 27 juin 2014, les dirigeants européens avaient choisi l'ancien Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, un des champions du secret bancaire en Europe, pour être le nouveau président de la Commission européenne ! Or, le Luxembourg est un paradis fiscal au sein même de l’Europe. Jean-Claude Juncker a été personnellement mis en cause dans l'affaire Luxleaks qui a révélé de manière détaillée l'organisation de l'exil fiscal de plus de 1 000 entreprises avec l'approbation de l'administration luxembourgeoise des impôts…

Qui est pénalisé par le taux proportionnel de la CSG et de la CRDS ? 

Créée en 1991 et désormais omniprésente dans le paysage fiscal, la CSG (contribution sociale généralisée, taux de 9,2% sur les salaires et revenus d'activité) est devenue un impôt tentaculaire auquel rien n’échappe. Comble de l'aberration du système, la CSG n'est pas déductible de l'impôt sur le revenu (sauf pour une petite part non déductible), c'est à dire que l'on paie de l'impôt sur de l'impôt !

La CSG actuelle mais aussi la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale, taux de 0,5%) rapportent plus que l’IR mais elles s’appliquent avec un taux proportionnel, identique pour tous. Or, un taux progressif est celui qui répond le mieux à l’esprit de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (un impôt en fonction des « facultés » de chacun). 

Fusionner les contributions CSG et CRDS avec l'IR, pour en faire un large impôt progressif acquitté par tous, serait donc une mesure positive car outre les bienfaits de la progressivité, la nouvelle assiette de la CSG et CRDS reposerait sur le revenu fiscal des personnes physiques au lieu et place principalement des salaires. Et un point de prélèvement assis sur tous les revenus tels que déclarés à l'administration fiscale rapporte sensiblement plus que le même taux appliqué sur les seuls salaires. 

Qui est pénalisé par le recours abusif aux impôts indirects ?

Emmanuel Macron a notamment abusé en 2018 de la vieille technique d’augmentation des impôts indirects et des taxes, utilisée depuis de nombreuses années pour compenser la faiblesse des rentrées fiscales issues de l'impôt sur le revenu (IR) ou de l'impôt sur les sociétés (IS) : taxes sur les assurances, l'audiovisuel, le carburant (plus de 60% du prix du carburant provient des taxes), les certificats d'immatriculation et le contrôle technique des véhicules, le gaz (augmentation de 44% de la taxe Intérieure de consommation sur le gaz naturel), l'électricité (les impôts et taxes atteignent 54% sur les factures d'électricité), l'immobilier, les jeux, les mutuelles, le soda, les spectacles, le tabac (paquet à 10 € en 2020), les alcools, les transports, le prix des timbres (0,80 € à 0,88 € pour le timbre vert et 0,95 € à 1,05 € pour le timbre rouge au 1er janvier 2019), etc.

Ces impôts indirects sont d’autant plus injustes qu’ils touchent sans distinction tous les foyers, y compris ceux, qui à cause de la faiblesse de leurs revenus, ne sont pas assujettis à l'IR (plus de 50% des foyers). Ils deviennent ainsi de moins en moins lourds au fur et à mesure que le contribuable est plus aisé.  

Le plus important d'entre eux, la TVA (53,9% des recettes budgétaires) rapporte plus de 2 fois l’IR (25,2%). Si l’on y ajoute la TICPE (4,7%) et les autres contributions indirectes (6,9%), ce sont plus de 65% des recettes fiscales qui proviennent d’impôts indirects touchant uniquement les consommateurs qui sont ainsi taxés par rapport à leur consommation et non par rapport à leur revenu. 

Aujourd'hui donc, c'est en grande partie l'ampleur des changements dans le domaine fiscal qui conditionnera la possibilité de rétablir une certaine justice sociale. Mais après la suppression de I'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les familles les plus riches, la mise en place d’une taxe allégée sur les revenus financiers, la suppression de l'exit taxe qui était destinée à dissuader les Français d'installer leur foyer fiscal à l'étranger, Emmanuel Macron a zappé, dans sa lettre aux Français, les questions relatives aux injustices graves du système fiscal français et confirmé ainsi un peu plus son image de président des riches.

Dans le cadre de ce grand débat national, il n'est pas inutile de rappeler qu'en son temps, Pierre Mendès France réaffirmait, notamment au moment de la victoire de la gauche en 1981, le principe selon lequel si les réformes nécessaires au pays ne sont pas engagées dans les six premiers mois qui suivent l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement, elles ne se font jamais. A propos du dossier essentiel de la fiscalité, PMF ajoutait qu'il convenait aussi de réduire la fiscalité indirecte car elle risquait d'entraîner une paupérisation grandissante des salariés. Cette prévision s’est avérée malheureusement juste avec une pauvreté de masse qui touche aujourd’hui plus de 9 millions de personnes et un budget de l’Etat alimenté majoritairement par les impôts indirects. 

Et aujourd’hui, le gouvernement d'Emmanuel Macron donne un spectacle assez affligeant en voulant discuter en catastrophe de nombreux sujets sans avoir au préalable étudier sérieusement les dossiers ! On peut donc raisonnablement penser qu’au bout de 20 mois de pouvoir macronien, la grande réforme fiscale dont la France a besoin n'est pas prête de voir le jour, grand débat national ou pas...


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