De
manière quelque peu précipitée, le nouveau Premier ministre a répété, le 29
avril à l’assemblée nationale, ce qu’il avait dit dans son précédent discours
d’investiture sans donner de précision supplémentaire sur le contenu du plan
d’économies de 50 milliards d’euros à faire sur trois ans. Une précipitation
due au refus de la Commission européenne d’accorder de nouveaux délais à la
France pour le retour aux 3% de déficit budgétaire.
Et dans son programme de stabilité budgétaire, voté par 265 voix, 232 contre et 67 abstentions (dont 41 députés socialistes), Manuel Valls a pris bien soin d’occulter la nécessité d’une réforme essentielle, celle de la fiscalité dans son ensemble pour rétablir une certaine justice fiscale et sociale…
Le plan d’économies annoncé par Manuel Valls, avec l’aval de François Hollande,
touche essentiellement trois secteurs :
- Pour l’État, 18 milliards € d’économies avec notamment une prolongation de trois ans du gel des salaires des fonctionnaires (ce qui fera huit ans de suite !) avec une fonte des effectifs hormis dans les ministères jugés prioritaires (Éducation nationale, justice, police) qui compromettra fortement l’exercice ou l’existence de missions de service public et conduira, une fois de plus, à une privatisation de certaines missions.
- Pour les collectivités territoriales : 11 milliards € qui vont conduire, pour assurer les missions de leur ressort, à une forte augmentation des impôts locaux, déjà très élevés.
- Pour l’assurance-maladie : 10 milliards € qui vont bien entendu accroître de nouveau le nombre de déremboursements de médicaments, forfaits ou franchises médicales restant à la charge des assurés sociaux…
Enfin
le gel de toutes les prestations sociales (retraites, allocations familiales,
etc.) hors les minima sociaux, gel dont on ne dira jamais assez qu’il est
synonyme de baisse de pouvoir d’achat…sans oublier la TVA, impôt injuste
par excellence, déjà augmentée au 1er janvier dernier.
Dans
le même temps, et c’est lié, 30 milliards d’euros d’aides supplémentaires aux
entreprises et 8 milliards d’avantages fiscaux, soit 38 milliards !
Quant
aux petits contribuables, juste 500 millions d’euros annoncés (1% de 50
milliards) et quelques mesures de maintien de l’indexation sur les prix,
notamment pour les retraites inférieures à 1200 €, comme si cela constituait
une révolution alors la règle de l'indexation des salaires et des retraites sur
les prix devrait être une règle immuable. Bref, une cerise sur le gâteau de
l’austérité !
Rien
donc sur une réforme fiscale d’ensemble pour mettre fin à toutes les injustices
du système fiscal français, redonner du pouvoir d’achat aux classes
populaires et moyennes ou conditionner la sortie de la contrainte de la dette.
Des économies de plusieurs dizaines de milliards d'euros sont possibles
Réduire
drastiquement les niches fiscales
Selon
la commission des finances de l’Assemblée Nationale, les niches fiscales
étaient officiellement évaluées à 72,7 milliards € en 2010, soit 3,5% du PIB.
Mais d’après un rapport de la cour des comptes, réalisé sous le magistère de
Philippe Séguin, on a appris que le gouvernement de François Fillon avait
amoindri leur importance grâce à un tour de passe-passe. A mesure que certaines
niches se pérennisaient, le ministère de l’économie avait arrêté de les traiter
comme telles, bien que leur nature n’ait pas évolué au cours du temps.
Celles-ci représenteraient en réalité aujourd'hui près de 150 milliards € ! Une
somme colossale, puisque trois fois supérieure au produit de l'IR payé par les
particuliers !
Si certaines
d’entre elles répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement
utiles, d'autres, évaluées par I'Inspection Générale des Finances à 70
milliards €, sont complétement inutiles et permettent surtout à une minorité de
personnes de réduire fortement leur imposition tout en se constituant un
patrimoine important.
Certes,
quelques niches ont été rabotées par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, à
10.000 € au lieu de 18 000 €, mais beaucoup d’entre elles sont totalement
inefficaces et doivent être purement et simplement supprimées. Pire, l’ancien
Premier ministre a réussi l'exploit d'accorder à deux niches fiscales (Sofica
et loi Girardin pour les DOM) des plafonds supérieurs à ceux fixés
antérieurement par la droite !
Aujourd’hui,
est-ce que François Hollande et Manuel Valls imaginent un seul instant qu’avec
la récupération en partie de ces recettes perdues, on réglerait une bonne fois
pour toute les intérêts annuels de la dette publique qui se montent à 50
milliards € ?
Lutter
efficacement contre la fraude fiscale
La
fraude fiscale, par son ampleur et ses caractéristiques (au minimum entre 60 et
80 milliards € par an, selon le Syndicat national unifié des impôts), réduit
aussi fortement les rentrées fiscales et accentue les inégalités, sans parler
de l'optimisation fiscale (50 à 60 milliards €) qui fait le bonheur des avocats
d'affaires... Ce sont essentiellement les grosses entreprises et les riches
particuliers qui en bénéficient car ils peuvent faire de gros investissements
déductibles de l’Impôt ou user de l’existence des paradis fiscaux.
L’administration
fiscale a perdu 25 000 emplois depuis 2002 sur l'ensemble de ses missions, dont
une grande partie est concentrée sur des services qui forment le premier étage
du contrôle fiscal, c'est-à-dire le service de gestion de l'impôt, le service
de contrôle sur pièces et le service de programmation des contrôles fiscaux.
Ces pertes d'emploi ont fragilisé encore un peu plus la détection de la fraude
et le contrôle fiscal dans son ensemble.
Un
signal fort aurait dû être donné par la création d’au moins 2000 postes dans
les administrations chargés de lutter contre les fraudes et par l’établissement
de la liste « française » des pays considérés comme non coopératifs
ou comme paradis fiscaux et judiciaires en accompagnant cette liste des
sanctions infligées aux entreprises qui utilisent ces territoires.
Combattre
les paradis fiscaux en France et en Europe
L’Europe
compte en son sein de nombreux paradis fiscaux sans que les européistes béats
de droite ou de gauche, UDI, UMP et PS s’en offusquent le moins du monde (
Andorre, Campione, Chypre, Gibraltar, Guernesey, Ile de Man, Irlande, Jersey,
Liechtenstein, Luxembourg, Madère, Malte, Monaco, Sercq, Suisse).
Et la
France particulièrement ne s’honore pas à «fermer les yeux» sur certains
mouvements de capitaux notamment dans deux micros états, dénoncés par l’ONU,
l’Andorre et Monaco qui ont la particularité de se trouver pratiquement sur le
territoire français et de compter pour l’un deux, à sa tête, un co-prince en la
personne de François Hollande !
Dans
son livre, le journaliste Antoine Peillon * vient de croiser récemment
différentes sources pour estimer à 590 milliards € l'ensemble des avoirs
français dissimulés dans les paradis fiscaux, dont 220 milliards € appartenant
aux Français les plus riches (le reste étant le fait d'entreprises). Environ la
moitié de ce total (108 milliards €) serait dissimulée en Suisse, la dernière
décennie voyant fuir environ 2,5 milliards d'avoirs par an.
Réformer profondément l’impôt sur le revenu
Rétablir
la progressivité de l'IR
Dès
lors que les niches fiscales ont été multipliées, qu’un système de prélèvements
forfaitaires libératoires a été mis en place et que le nombre de tranches comme
l’éventail des taux d’imposition ont été réduits et resserrés vers le bas,
notamment par Laurent Fabius, ministre des finances en 2000, l’IR n’est plus
calculé en fonction des « facultés » de chacun et rapporte de moins
en moins à l'Etat, contrairement au discours ambiant de la droite et de la
gauche sur ce sujet, etc…
L’ancien
gouvernement de Jean-Marc Ayrault a certes porté le taux marginal de 41% à
45 % pour les revenus supérieurs à 150 000 €, mais sans toucher au reste,
cela ne change quasiment rien et le système fiscal restera toujours dégressif
pour les plus hauts revenus ! De plus, ce taux de 45% rapporte seulement 0,7
milliard € de recettes supplémentaires.
Le
simple rétablissement de quatorze tranches d’imposition telles qu’elles
existaient au début des années 1980, au lieu des cinq tranches actuelles
(5,50%, 14%, 30%, 41%, 45%) permettrait de rétablir une réelle progressivité et
de dégager des recettes nettement supérieures aux 58 milliards d'euros qu'a rapporté
l'IR en 2012 !
Remplacer
le quotient familial par un crédit d'impôt uniforme pour tous
Le
montant de l’IR est modulé en fonction du quotient familial (QF), un mécanisme
qui prend en compte la taille de la famille mais subventionne davantage les familles
riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt étant proportionnelle au
revenu.
Le
plafonnement du QF a été baissé de 2000 € à 1500 € par demi-part pour les
familles imposables en haut de l’échelle mais le système reste toujours aussi
injuste compte tenu de la concentration des gains actuels sur les ménages les
mieux lotis.
Le
remplacement du QF par un crédit d'impôt, identique pour tous, verrait le
niveau de vie des familles modestes, pas ou peu imposées, augmenter
sensiblement. A budget constant en effet, selon une étude de la Direction
Générale du Trésor, 4,3 millions de ménages seraient perdants pour un montant
moyen de 930 € par an et 4,8 millions seraient gagnants pour un montant moyen
de 830 € par an.
Que la
France abandonne le QF, qui n’est plus appliqué en Europe que par deux pays
(Luxembourg et Suisse) et qu’elle adopte un système de crédit d’impôt comme le
font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, les
Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et l’Allemagne, ne
serait donc pas déraisonnable.
Supprimer
le quotient conjugal
Le
quotient conjugal consiste à diviser la somme des revenus d'un couple par deux
avant de lui appliquer le barème progressif. Exemple : un ménage où un
conjoint gagne 54 000 € par an et l’autre 6000 €, l’impôt n’est
pas calculé sur 60 000 € mais sur 30 000 € (revenus moyens
du couple) puis le résultat est multiplié par deux pour arriver à l’impôt à
payer.
Ce
système est en fait imprégné d'un schéma familial daté, pour ne pas dire
séculaire, où le chef de famille apporte des revenus au ménage et la femme
s'épanouit dans les tâches domestiques.
La
conséquence est double. L'impôt des couples aisés, dont l'un des membres - le
plus souvent la femme - ne travaille pas ou peu, est fortement réduit et ce
d'autant plus que le revenu principal est important. Les couples aisés sont
ainsi avantagés au détriment des célibataires, des personnes séparées, des
veufs ou encore des familles monoparentales.
Le
coût de cet avantage fiscal accordé aux couples aisés oscille entre 5,5 milliards
€, d'après le Trésor, et 24 milliards €, selon la Cour des comptes ! Et
contrairement au quotient familial, l'avantage retiré du quotient conjugal
n'est pas plafonné !
Fusionner
les contributions CSG et CRDS avec l'IR
Les
contributions actuelles CSG et CRDS rapportent plus que l’IR mais elles
s’appliquent avec un taux proportionnel, identique pour tous. Or, un taux
progressif est celui qui répond le mieux à l’esprit de l’article 13 de la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (un impôt en fonction des «
facultés » de chacun).
Fusionner
les contributions CSG et CRDS avec l'IR, pour en faire un large impôt progressif
acquitté par tous, serait donc une mesure positive car outre les bienfaits de
la progressivité, la nouvelle assiette de la CSG et CRDS reposerait sur le
revenu fiscal des personnes physiques au lieu et place principalement des
salaires. Et un point de prélèvement assis sur tous les revenus tels que
déclarés à l'administration fiscale rapporte sensiblement plus que le même taux
appliqué sur les seuls salaires.
Les
dépenses de santé sont un bien public (au même titre que l'éducation ou la
sécurité) et justifieraient donc leur prise en charge, au moins partiellement,
par le budget de l'Etat.
Refonder la fiscalité locale
Les
impôts locaux représentent une part de plus en plus importante du total des
impôts : 12 milliards € pour la seule taxe d’habitation (particuliers) et
15 milliards € pour la taxe foncière sur le bâti et le non-bâti (particuliers
et entreprises).
Avec
la décentralisation et les transferts nombreux de compétences de l’Etat vers
les collectivités locales, l’augmentation des impôts locaux se fait tous les
jours un peu plus forte et il n’est pas rare aujourd’hui pour un salarié de
« sortir » un mois de salaire pour payer la taxe d’habitation et/ou
la taxe foncière !
Les bases
des taxes sur la valeur locative des logements sont de plus totalement
archaïques car elles datent de 1961 (taxe foncière) et de 1970 (taxe
d’habitation). De plus, le montant à payer pour les contribuables ne dépend
pratiquement pas du revenu fiscal déclaré sauf pour les personnes qui ont des
difficultés sociales graves et qui bénéficient d’exonérations partielles ou
totales. Ainsi, comme le souligne la cour des comptes, " les ménages
modestes ou moyens subissent proportionnellement un prélèvement plus lourd que
les ménages les plus aisés ".
La
fiscalité locale n'assure pas non plus l'équité entre les collectivités sur
l'ensemble du territoire. Les disparités du "potentiel fiscal par
habitant" vont du simple au double entre les régions (67 € en Corse, 111 €
en Haute-Normandie), du simple au quadruple entre les départements (296 € dans
la Creuse, 1.069 € à Paris) et de 1 à 1.000 entre les communes.
L’intégration
de ces deux taxes dans l’impôt sur le revenu avec un barème progressif puis
leur reversement par l’Etat aux diverses collectivités locales devrait
constituer un chantier prioritaire d’une vraie réforme fiscale.
C'est en
grande partie l'ampleur des changements dans le domaine fiscal qui permettra de
dégager des marges de manœuvres budgétaires permettant au gouvernement d'agir.
Plusieurs dizaines de milliards d'euros peuvent être récupérés facilement
chaque année par l'Etat afin d'éviter l’accentuation de l’austérité économique
et sociale mais il manque la volonté et le courage politique de s'attaquer à un
système fiscal inique. C'est semble-t-il bien plus facile d'appliquer le vieux
principe « mieux vaut prendre aux pauvres, ils sont plus nombreux que les
riches »…
* Ces
600 milliards qui manquent à la France. Enquête au coeur de l'évasion fiscale,
par Antoine Peillon, Le Seuil, 2012, 187 p., 15 euros.
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