Bruno Lemaire Ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance 139 Rue de Bercy 75012 Paris
Monsieur
le Ministre,
Comme
chaque année, j'ai rempli ma déclaration de revenus. Je paye l'impôt sur le
revenu et suis satisfait de contribuer à financer la solidarité et les services
publics de mon pays comme la santé, l'éducation, la protection sociale, la
justice...
Je
sais qu'un certain nombre de contribuables ne sont pas soumis à cet impôt en
raison de la faiblesse de leur revenu. Cependant ils payent largement leur part
via les impôts indirects et les taxes comme la TVA ou la taxe sur le carburant
(TICPE) dont les recettes sont plus de 2 fois supérieures à celles de l'impôt
sur le revenu !
Ces
taxes représentent une part importante du revenu des personnes aux ressources
modestes alors qu'elles ne pèsent que très peu sur celui des plus riches. Alors
que votre gouvernement prétend qu'il existe un ras-le-bol fiscal en France et
refuse tout nouvel impôt, je pense qu'il y a surtout un sentiment d'injustice
fiscale lié au fait que ceux qui peuvent le plus contribuer à l'impôt ne payent
pas leur juste part.
A
titre personnel, je trouve inacceptable que des milliardaires comme Bernard
Arnault, François Pinault ou Françoise Bettencourt Meyers aient vu leurs
fortunes exploser pendant la crise sanitaire en tirant bénéfice des milliards
d'aides publiques injectés dans l'économie.
Pourtant, des solutions existent pour rétablir une vraie justice fiscale :
- Augmenter la progressivité de l’impôt
sur le revenu (IR)
L’Impôt
sur le revenu (IR) souffre d'un manque cruel de progressivité avec seulement 5
tranches d’imposition. Le taux marginal supérieur est bien passé de 41% à
45 % sous le quinquennat de François Hollande mais cela n’a rien
changé à un système qui demeure dégressif pour les plus hauts revenus
et n’est plus calculé en fonction des « facultés » de chacun. On
reste très loin d'un taux marginal élevé tel qu'on l'a connu par exemple
aux Etats-Unis entre 1932 et 1980 qui était de 81% en moyenne !
De
plus, les nombreux dispositifs dérogatoires existants aggravent encore ce
manque de progressivité comme ceux qui permettent une déduction du revenu
imposable, un crédit d’impôt ou encore ceux qui relèvent d’une imposition
différenciée comme le prélèvement forfaitaire unique qui impose les revenus
financiers comme les dividendes et les plus-values financières à un taux
proportionnel.
La
simple diminution de ces dispositifs dérogatoires, un taux marginal au
moins égal à 50% et le rétablissement des quatorze tranches d'imposition,
supprimées par Laurent Fabius, ministre des finances en 2000,
permettraient de rétablir une réelle progressivité de l'IR et de dégager des
recettes nettement supérieures à celles rapportées aujourd'hui.
- Supprimer les niches fiscales inutiles,
injustes ou anti-écologiques
Plus
de 450 niches fiscales représentent, d'après le Trésor, un montant dépassant
les 100 milliards € alors que dans le même temps l'IR rapporte moins
de 90 milliards €. Une situation fiscale et comptable unique au monde !
Si
quelques niches répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement
utiles, la plupart d'entre elles sont complètement inutiles et permettent
surtout à une minorité de personnes de réduire fortement leur imposition tout
en se constituant un patrimoine important.
Ces
niches se sont tellement accumulées au fil du temps qu’un plafonnement
intégrant plusieurs d’entre elles a été instauré en 2009. Mais ce plafonnement
ne concerne pas les anciennes niches qui échappent toujours à la législation
actuelle. En clair, les contribuables qui bénéficiaient des plafonds antérieurs
ont conservé leurs " acquis fiscaux " !
Vous
n’imaginez pas un instant qu’avec une récupération même partielle de ces
recettes perdues, on réglerait pour une bonne part les intérêts annuels de la
dette publique…
- Lutter réellement contre la fraude et
l'optimisation fiscale
La
fraude fiscale, par son ampleur et ses caractéristiques, réduit
considérablement les rentrées fiscales et accentue les inégalités. Le dernier
rapport du principal syndicat des Finances publiques (Solidaires-Finances),
indique que celle-ci aurait grimpé à 100 milliards € annuels, et
ce sans comptabiliser les fraudes aux prélèvements sociaux.
Quant
à l’optimisation fiscale, elle fait le bonheur des avocats d'affaires (20
milliards € de manque à gagner fiscal dus aux jongleries d'optimisation).
Ce sont essentiellement les grosses entreprises et les riches particuliers qui
en bénéficient car ils peuvent faire de gros investissements déductibles de
l’impôt ou user de l’existence des paradis fiscaux.
L’Europe
compte en effet en son sein de nombreux paradis fiscaux : Andorre, Campione,
Chypre, Gibraltar, Guernesey, Ile de Man, Irlande, Jersey, Liechtenstein,
Luxembourg, Madère, Malte, Monaco, Sercq, Suisse.
Et la
France particulièrement ne s’honore pas à « fermer les yeux » sur certains
mouvements de capitaux notamment dans deux micros états, dénoncés par l’ONU,
l’Andorre et Monaco qui ont la particularité de se trouver pratiquement sur le
territoire français et de compter pour l’un deux à sa tête, un co-prince en la
personne d'Emmanuel Macron !
Dans
son livre (Enquête au cœur de l'évasion fiscale), le journaliste Antoine
Peillon a croisé différentes sources pour estimer à 590 milliards
€ l'ensemble des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux, dont
220 milliards € appartenant aux Français les plus riches (le reste étant le
fait d'entreprises). Environ la moitié de ce total serait dissimulée en Suisse,
la dernière décennie voyant fuir environ 2,5 milliards € d'avoirs par an.
Comme
l’administration fiscale a perdu plus de 25 000 emplois depuis le début des
années 2000 sur l'ensemble de ses missions, notamment le service de contrôle
sur pièces et de programmation des contrôles fiscaux, non seulement la fraude
perdure mais son montant annuel est supérieur à ce que rapporte l'impôt sur le
revenu !
Un
signal fort devrait être donné par la création de plusieurs milliers de
postes dans les administrations chargés de lutter contre les fraudes.
- Changer les modalités de calcul du
quotient familial
L’IR
est calculé en fonction du quotient familial (QF) qui est un mécanisme qui
prend en compte la taille de la famille mais qui a pour défaut de
subventionner davantage les familles riches que les familles pauvres,
la réduction d'impôt étant proportionnelle au revenu dans la limite
d'un plafond. Ce plafonnement a été baissé de 2 336 € à 2 000 € par demi-part puis
à 1 500 € mais le système reste toujours aussi injuste.
Que la
France abandonne le QF, qui n’est plus appliqué en Europe que par le
Luxembourg et la Suisse et qu’elle adopte une déduction d'impôt uniforme
pour chaque enfant comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne,
la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République
tchèque et l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.
- Supprimer le quotient conjugal
L’IR
est modulé aussi en fonction du quotient conjugal (QC) qui consiste à diviser
la somme des revenus d'un couple par deux avant de lui appliquer le barème
progressif. La conséquence de ce système est double : il réduit fortement
l'impôt des couples aisés dont l'un des membres - le plus souvent la femme - ne
travaille pas ou très peu, avec une réduction d'impôt d'autant plus élevée que
le revenu principal est important. Pour un même revenu, ces couples sont
ainsi avantagés au détriment des célibataires, des personnes séparées, des
veufs et veuves ou encore des familles monoparentales qui doivent pourtant
faire face à des dépenses de vie courante plus élevées qu'un couple.
Le
coût de ce dernier avantage fiscal accordé chaque année aux couples aisés
oscille entre 5,5 milliards € d'après le Trésor à 24 milliards
€ selon la Cour des comptes ! Cette somme est énorme, d’autant plus
que l'avantage retiré du QC n'est pas plafonné, contrairement au QF. Pour
corriger ce système, la meilleure solution serait sa suppression pure et
simple, les capacités contributives étant dès lors appréciées en fonction
des revenus réels des couples.
- Intégrer la CSG et la CRDS à l'impôt sur
le revenu
Créée
en 1991 et désormais omniprésente dans le paysage fiscal, la CSG (contribution
sociale généralisée) sur les salaires et revenus d'activité, est devenue un
impôt tentaculaire auquel rien n’échappe. Comble de l'aberration du
système, la CSG n'est pas déductible de l'impôt sur le revenu (sauf pour
une petite part), c'est à dire que l'on paie de l'impôt sur de l'impôt !
Quant
à la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette
sociale), créée en 1996 pour pallier les problèmes de dette de la Sécurité
sociale, elle s'applique aussi avec un taux identique pour tous.
La CSG
et la CRDS actuelles rapportent plus que les recettes totales de l’IR mais
elles s’appliquent avec un taux proportionnel. Or, un taux progressif est celui
qui est le plus juste et qui répond le mieux à l’esprit de l’article 13 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (un impôt en fonction
des « facultés » de chacun).
Fusionner
les contributions CSG et CRDS avec l'IR, pour en faire un large impôt
progressif acquitté par tous, serait donc une mesure très importante et plus
juste car outre les bienfaits de la progressivité, la nouvelle assiette de la
CSG et CRDS reposerait sur le revenu fiscal des personnes physiques au lieu et
place principalement des salaires. Et un point de prélèvement assis sur tous
les revenus tels que déclarés à l'administration fiscale rapporte sensiblement
plus que le même taux appliqué sur les seuls salaires.
- Instaurer un prélèvement exceptionnel sur le patrimoine des ultra-riches,
- Rétablir et rénover l’ISF, en l’asseyant
sur l’ensemble des actifs d’un contribuable (immobiliers, mobiliers et
financiers) et en instaurant un barème progressif,
- Rétablir également la progressivité de
l’imposition des revenus du capital,
- Taxer l'ensemble des transactions
financières,
- Supprimer la taxe allégée mis en place
sur les revenus financiers,
- Rétablir l'exit taxe qui était destinée
à dissuader les Français d'installer leur foyer fiscal à l'étranger,
- Etc.
En adoptant ces mesures, vous auriez Monsieur le Ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, l'opportunité de redonner confiance dans un système fiscal plus juste, d'œuvrer pour des jours meilleurs et de nous prémunir face aux crises à venir, qu'elles soient sanitaires, écologiques ou financières...
Albert Ricchi, blogmestre
Photo Creative Commons
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