Des mesures aussitôt critiquées par la majorité présidentielle, le gouvernement et les pseudo-consultants des grands médias. Mais dans une tribune publiée par plusieurs dizaines d’économistes, parmi lesquels Thomas Piketty, Jacques Généreux, Aurélie Trouvé, Julia Cagé ou Bernard Friot, défendent à l’inverse le contenu du programme économique de la Nupes…
Voici
leur texte :
« Pour
la première fois au XXIè siècle, la gauche en France est rassemblée pour mettre
en œuvre une rupture avec le néolibéralisme. Tournant le dos aux politiques qui
accroissent les inégalités, fragilisent les services publics et abiment les
écosystèmes, la Nupes porte aux législatives un projet de transformation
sociale et écologique. Son but est de faire advenir au cours de la prochaine mandature
une société plus égalitaire et
solidaire, respectueuse des impératifs écologiques.
En
tant qu’économistes nous savons que ce programme est ambitieux.
Préserver le pouvoir d’achat, garantir l’accès à des soins et à un système
éducatif de qualité, investir massivement dans la transition écologique ou
garder la boussole du progrès social avec la retraite à 60 ans, c’est aller à
rebours du courant au fil duquel notre société dérive. Le statu quo n’est pas
une option. Face à la précarité endémique, à la guerre et à la transition
écologique, prétendre qu’il n’y a pas d’alternative aux politiques économiques
actuelles est mensonger et dangereux.
Un pouvoir qui navigue à vue
Balloté
par les événements, le pouvoir macronien navigue à vue. Il y a certes un regain
d’interventionnisme, à l’image du « quoi qu’il en coûte » et, dans le
discours, avec la récupération du terme de planification écologique. Mais la
doctrine reste la politique de l’offre : le marché est le seul opérateur
pour organiser les échanges, ce qui donne aux entreprises et aux détenteurs de
capitaux le plein pouvoir de définir notre mode de développement. Le résultat
est une catastrophe écologique, un envol des revenus des plus riches du fait de
baisses d’impôts massives en leur faveur et une économie privée qui aspire de
plus en plus de subventions publiques : celles-ci ont été multipliées par
deux après la crise de 2008 et de nouveau par deux à la suite de la pandémie.
Peu
efficace et injuste, cette stratégie conduit in fine à la dégradation de la
situation du pays, tant sur le plan des indicateurs sociaux et écologiques que
sur celui du développement économique. Les contre-performances de notre pays en
matière de mortalité infantile, de niveau de mathématiques des élèves,
d’inaction climatique ou de déficit extérieur font ici système. Il s’agit d’une
crise générale du gouvernement qui exige une bifurcation.
Gouverner par les besoins
En
abordant les questions économiques sous l’angle de la satisfaction des besoins,
le programme de la Nupes propose une autre voie. Son principe fondamental
consiste à relier l’immédiateté de l’urgence sociale au temps long d’un mode de
développement désirable et respectueux des impératifs écologiques.
Apporter
une réponse immédiate à la crise sociale en est donc la condition préalable.
L’inflation grignote le pouvoir d’achat et l’activité en berne va aggraver une
situation déjà alarmante. Si une majorité macronienne est reconduite, les
prochains mois seront très difficiles pour la majeure partie de la population.
A
l’inverse, une victoire de la Nupes apporterait immédiatement des
avancées : blocage des prix des produits de première nécessité, hausse du
Smic à 1500 euros nets, négociation des salaires au niveau des branches,
revalorisation des retraites et des minimas sociaux, mise en place d’une
allocation d’autonomie pour les jeunes ainsi qu’un programme de garantie
d’emploi permettront de soulager les difficultés les plus urgentes et de
restaurer la confiance en l’avenir pour le plus grand nombre.
La
politique des revenus ne peut cependant être l’alpha et l’oméga de la
reconstruction socioéconomique. Celle-ci passe par une remobilisation de la
puissance publique et la construction d’un projet productif à long terme,
compatible avec le respect de la biosphère. Cela implique un effort de
financement des équipements et de revalorisation des conditions de travail,
notamment dans les domaines de l’éducation, du soin et de la recherche où les
retards accumulés démoralisent les personnels. Les relations sociales dans
l’entreprise doivent être considérablement démocratisées, ce qui passe
notamment par une meilleure représentation des salariés dans les instances de
décision des entreprises, un renforcement du rôle des syndicats et la
limitation des écarts de salaires.
Un
redéploiement des services essentiels (éducation, transports, santé, poste,
justice) permettra la redynamisation économique des territoires sacrifiés sur
l’autel de la réduction des coûts. La proposition d’instaurer une planification
écologique démocratique et contraignante vise quant à elle une projection à
long terme de nos sociétés compatible avec une décroissance des pollutions et
de l’utilisation des ressources naturelles.
Le programme est solide
Les
investissements concernant la reconstruction des services publics et la
transition écologique nécessitent des financements. L’option choisie est
d’abord celle de la justice sociale au service de l’efficacité. Une fiscalité
plus progressive sur les revenus et les patrimoines, le rétablissement de l’ISF
et la suppression de la flat tax ainsi que la lutte contre la fraude
permettront de dégager des ressources supplémentaires importantes et de limiter
le recours à l’endettement. Si l’effort prévu est substantiel pour les plus
favorisés, en particulier pour les riches héritiers, les impôts seront
constants ou en baisse pour 90 % de la population.
En
matière de dette publique, la conjoncture est exceptionnellement favorable car
l’accroissement de l’épargne et le développement des produits financiers
s’accompagnent d’une demande accrue d’actifs sûrs. Or, n’en déplaise aux
cassandres conservatrices, la dette française bénéficie de ce statut très
privilégié : d’une part, nos conditions d’emprunt sont parmi les
meilleures du monde, d’autre part, l’essentiel de la dette Française a été
contractée à des taux très faibles et avec des maturités lointaines. Un niveau
modéré d’inflation est favorable aux finances publiques, une telle dynamique
est donc souhaitable à condition que les revenus du travail et les transferts
sociaux soient protégés. Enfin, nous prévoyons un recours accru au pôle public
bancaire afin d’orienter la création monétaire et l’épargne des Français vers
les besoins collectifs et se prémunir contre les effets déstabilisateurs des
marchés financiers.
Alors
que les marges de certains groupes français atteignent des records historiques,
la progression des salaires sera financée par un rééquilibrage du partage de la
valeur entre salaires et profits. Dans le même temps, le dynamisme de la
demande populaire, la transition écologique et le soutien aux relocalisations
et à l’innovation stimuleront l’investissement.
Cette
élection est le moment de redécouvrir les vertus économiques de l’ambition
collective et de la solidarité. Fruit d’un travail collégial expert et citoyen,
le programme défendu par la Nupes est le socle d’un rassemblement inédit. La
victoire de ce projet à la fois social, écologique et démocratique les 12 et 19
juin prochain permettrait enfin de mobiliser l’économie pour prendre soin de la
planète et de nos conditions de vie. »
Les 30 premiers signataires de la tribune
:
Bruno
Amable, Eric Berr, Mireille Bruyère, Julia Cagé, Lucas Chancel, Jézabel
Couppey-Soubeyrand, Anne Debregeas, Anne-Laure Delatte, Cédric Durand, Etienne Espagne,
Anne Eydoux, Bernard Friot, Jacques Généreux, Camille Herlin Giret, Elise
Huillery, Sabina Issehnane, Esther Jeffers, Eloi Laurent, Benjamin Lemoine, Dominique
Méda, Stefano Palombarini, Thomas Piketty, Dominique Plihon, Emmanuel Saez, Laurence
Scialom, Isabelle This Saint-Jean, Aurélie Trouvé, Mathilde Viennot, Michael
Zemmour, Gabriel Zucman
> La liste complète des économistes ICI
Photo Creative Commons
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire