18 juin 2008

L'interminable combat de l'eau potable

Une eau est dite potable si elle présente certaines caractéristiquesA l’échelle mondiale, la pénurie et la dégradation de la qualité de l’eau affectent plus de deux milliards d’êtres humains et provoquent plus de 30 000 morts chaque jour.

Si la France n’est pas touchée heureusement par ce désastre, le quasi-monopole exercé par quelques opérateurs privés depuis près d’un demi-siècle sur un service public essentiel est de plus en plus contesté en raison de dérives multiples.  

Au problème de la surfacturation pratiquée la plupart du temps s’ajoute celui des gaspillages faramineux de l’eau dont la principale raison réside dans le manque d’entretien des réseaux, un manque d’entretien qui serait responsable de 50% de pertes d’eau dans certaines régions…


C’est en 1828 que les collectivités se sont vues attribuer la compétence d’assurer l’alimentation en eau. Auparavant, la France était gérée au niveau des districts, c’est à dire des cantons, avec des conseils de districts qui avaient tous les pouvoirs en matière de gestion de l’eau.

En 1848, Louis Philippe, voulant imposer une gestion industrielle, a scindé la France en 38 000 communes de plein exercice, que leur taille comme leur absence de maîtrise budgétaire allaient rendre vulnérable à nombre d’appétits.

Par un décret du 14 décembre 1853, la Générale des eaux fut portée sur les fonds baptismaux. Grâce à ses actionnaires, barons d’empire et autres banquiers, la Générale va obtenir très vite des concessions à Lyon, Nantes, Paris (1860), une partie de la banlieue parisienne (1869).

En 1880, La Lyonnaise est créée et va copier le modèle mis en place par la Générale.

Après la guerre 14-18, plusieurs autres entreprises vont connaître des faillites retentissantes suite à une inflation très forte car les contrats passés par ces entreprises ne comportaient pas de clauses de révision des prix. Dès lors nombre d’entreprises furent pour l’essentiel reprises par des collectivités.

Dans les années 30, la Générale et la Lyonnaise échapperont à la grande vague de nationalisations issue du programme du conseil national de la résistance, qui verra Marcel Paul, nationaliser l’électricité.

En 1954, on compte 9608 régies simples et 181 régies autonomes, pour 817 services concédés ou affermés, essentiellement dans les grandes villes, ce qui représente déjà 30% de la population desservie.

Dans les années 60, c’est l’époque de la reconstruction et de la grande saga gaullienne. Comme EDF va très vite devenir le plus important gestionnaire des ressources d’eau françaises, la nécessité de se doter d’une législation spécifique entraînera la promulgation de la première grande loi sur l’eau de 1964.

Aujourd’hui, la délégation du service public de l’eau (DSP) et de l’assainissement confiée à des entreprises privées a placé la France dans une situation singulière alors que moins de 10% seulement des services d’eau, dans le monde, sont confiées à des opérateurs privés. 

Savoir comparer ce qui est comparable 


Comparer le prix du m3 d’eau potable d’une collectivité à une autre est un véritable casse-tête car le prix est essentiellement fonction de la configuration géographique dans laquelle se situe la collectivité à desservir.

Dans le cas de la ville de Grenoble par exemple, l’agglomération est implantée dans une vallée et l’habitat y est resserré. La ville dispose en amont de sources importantes produisant une eau de grande qualité. Les frais consécutifs au traitement, au stockage et à l’acheminement de l’eau sont donc assez faibles pour chaque habitant.

Il en va différemment d’un service qui récupère l’eau brute en rivière pour la faire parvenir, par un système de pompes électriques multiples et de réservoirs à un ensemble de villages éloignés les uns des autres ou situés en altitude. Toujours rapporté au nombre d’habitants, les kilomètres de réseaux et d’équipements indispensables sont alors très coûteux.

Ce qui explique que le prix d’un m3 d’eau diffère fortement d’une collectivité à l’autre, même gérée de la même façon et il est très intéressant de connaître également, la répartition des divers montants qui constituent le prix final.

Tous les éléments détaillés concernant le coût du traitement, du renouvellement du réseau, des frais de personnel, de la facturation et du bénéfice encaissé par la société privée, lorsqu’il y a affermage, permettent alors de comparer utilement les différents systèmes de gestion. Si l’on examine attentivement les moyennes nationales de ces divers coûts, c’est l’eau en régie qui est la moins chère, environ 25% de moins que le coût de l’eau en affermage.

Un autre élément important mais méconnu est celui des pertes d’eau sur les différents réseaux. Selon la vétusté du réseau, les pannes et les casses sont plus ou moins fréquentes et chaque année, les collectivités doivent procéder en général au nettoyage complet des réservoirs ou rincer abondamment les conduites lors des travaux de remplacement des réseaux. 

Le combat exemplaire du collectif de l’eau du Vaucluse 


Tout a commencé sous la municipalité Jean-Pierre Roux (UMP) de 1983 à 1989 avec la privatisation du service de l’eau. Jusque-là gérée en régie municipale, l’exploitation du service de l’eau rapportait 7 millions de francs chaque année, sans faire de vagues particulières.  

Depuis cette époque et au fil de quatre mandats municipaux successifs de droite ou de gauche, l’Union fédérale des consommateurs de Vaucluse n’a cessé de contester les factures d’eau, leur augmentation, modulation, application devant les tribunaux avec l’espoir de voir un jour revenir le service de l’eau en régie municipale.

En 1994, la société avignonnaise des eaux (aujourd’hui Véolia) modifie ses tarifs et certains habitants s’insurgent alors contre l’augmentation des tarifs. Ils estiment qu’ils sont «surfacturés» et décident de ne plus payer leur abonnement en réglant simplement le montant de leur consommation. L’UFC fait plusieurs recours et le tribunal administratif annule par trois fois la décision municipale sur l’augmentation des tarifs. Selon le collectif de l’eau, plusieurs motifs différents sont responsables des surfacturations dont les sommes demandées aux usagers pour le renouvellement du réseau.

Et cela dure jusqu’en 2002, année où les tarifs sont revus à la baisse. «Justement, s’ils ont révisé leurs tarifs, c’est bien qu’ils étaient trop élevés de 1994 à 2002» déclare Marcelle Landeau, représentante du collectif de l’eau du Vaucluse et du Grand Avignon-UFC.

En 2004, un salarié de Véolia, poursuivi par son entreprise pour diffamation devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, a mis en cause des pratiques qu'il qualifiait de « mafieuses » dans le cadre de la distribution de l'eau aux collectivités locales. Jean-Luc Touly, salarié de Véolia et coauteur du livre « L'eau de Vivendi, les vérités inavouables», affirmait que son entreprise aurait détourné les provisions versées par les collectivités locales pour la rénovation et l'entretien des réseaux de distribution d'eau…

Aujourd’hui, le tribunal d’instance d’Avignon doit rendre un dernier jugement sur le cas de 19 abonnés qui avaient fait la grève des charges fixes, autrement dit de leur abonnement entre 1996 et 2002. Véolia leur demande de rembourser les sommes qu’ils ont refusé de payer (en moyenne 420 €). 19 personnes pour l’exemple dans la mesure où jusqu’à 1200 usagers avaient suivi le mot d’ordre à l’époque…

Le combat continue aussi car la Communauté du Grand Avignon (COGA), composée de 12 communes, a hérité de la gestion de l’eau avec comme difficulté principale une belle diversité des genres, car ces douze communes rassemblées n’ont pas toutes le même délégataire de service public, autrement dit la même société fermière chargée de distribuer l’eau. L’une d’entre elles, Jonquerettes, gère même directement son eau courante sans aucun intermédiaire. Un nouveau défi pour le collectif de l’eau en Vaucluse, en particulier après la réélection aux dernières élections municipales à Avignon de Mme Marie-Josée Roig (UMP) qui reste une partisane acharnée de la privatisation de l’eau.

Associées aux thèmes de la libéralisation et de la «marchandisation» d’un bien vital, les entreprises privées qui gèrent la distribution de l’eau, pour la plupart des firmes transnationales, nous ont fait rentrer dans une ère de l’inquiétude et du soupçon, voire de corruption du personnel politique lors de l’attribution de marchés en France comme à l’étranger.

En 1985 notamment, Jacques Chirac, alors maire de Paris avait gardé en régie municipale la production de l’eau mais avait attribué la distribution aux deux principales sociétés privées spécialisées. A l’approche du renouvellement de ces contrats en 2009, Pierre Delanoë, avec raison, compte municipaliser également la distribution, ce qui fera bénéficier tous les usagers de gains importants de productivité liés à la réunion de la production et la distribution de l’eau au sein d’une même régie.

Mais l’eau, c’est la vie et la vie, c’est un droit. Une raison supplémentaire qui devrait permettre un jour de nationaliser l’eau potable, une nationalisation au moins à 51%, seul moyen pour faire cesser ces scandales et rétablir enfin l’égalité des citoyens en mettant fin à l’existence de milliers de prix différents…




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11 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cet article parfaitement documenté sur un élément qui va
devenir de plus en plus essentiel dans les années à venir.

Exemple parfait qui montre à quel point la privatisation du vivant expose les citoyens aux abus de toutes sortes, à quel point la privatisation des services publics se fait toujours au détriment des consommateurs.

Exigeons la renationalisation des services de l'eau, qui est un bien
public.

Anonyme a dit…

Bonjour et merci pour votre article.

Dans le petit village de 1600 âmes environ ou je demeure , je veux
témoigner aussi des pratiques mafieuses autour du circuit de l'eau, d'ailleurs on y trouve une majorité incroyable d'élus qui sont quelquefois dans plusieurs "circuits"...

Il y a trois ans environ j'avais assigné le SIVOM local en justice pour des prix exorbitants pratiqués pour l'assainissement de l'eau .

Faisant suite à ma plainte une association d'utilisateurs s'est créée et à aussi déposée une plainte pour le même motif + qualité de l'eau très
médiocre .

L'Enquète aura démontré qu'en fait le SIVOM local nous faisait payer
depuis des années la construction d'une centrale d'assainissement qui était en cours, nous avons donc payé des frais d'assainissement depuis plusieurs années alors que ce service n'était pas rendu et que la société qui nous envoyait les factures n'existait pas non plus et pour cause !

Et bien verdict de la justice quelques mois après .

Nous étions tous condamnés à payer 15€ , le juge ayant estimé que
nous avions deux mois après l'acquittement de la facture pour réclamer .

La France une république bananière ????

Anonyme a dit…

Salut Albert,

Un de tes meilleurs articles sur ce blog et AgoraVox.

Je vois que ça chauffe toujours autant du côté de la cité des Papes et du Pont d'Avignon. Merci aussi à Marcelle Landeau pour son travail militant au service des consommateurs d'Avignon et du grand Avignon.

Un gros zéro pointé au maire d'Avignon qui n'a toujours rien compris aux agissements de Véolia.

Intéressante la proposition de Delanoë de vouloir municipaliser complètement l'eau potable à Paris en 2009.J'espère qu'il tiendra sa promesse.

Quant à la nationalisation de l'eau en France,je ne vois pas la gauche avoir le courage de le faire, même si elle gagne les élections présidentielles en 2012. Pourquoi le ferait-elle alors qu'elle ne l'a pas fait par le passé?

Salutations républicaines

Anonyme a dit…

Merci pour cet article concernant un sujet vital

On peut élargir le problème à l'échelle de la planète . La question de l'eau est aussi un problème politique.

L'accès à l'eau potable est aussi un problème en Europe. La gestion soutenable des ressources en eau en Europe pose surtout la question d'une réforme radicale de la Politique agricole commune PAC), et l'abandon de politiques d'aménagement du territoire et de modèles de développement, comme le tourisme de masse, qui contredisent radicalement toute politique de gestion intégrée des ressources.

Faute d'engager des réformes drastiques, des régions
entières pourraient donc connaître une situation proche de celle de
certains pays du Tiers-monde...

Anonyme a dit…

Article intéressant.

Mais je tiens à signaler que l'eau n'est pas une marchandise.

La facture d'eau correspond à l'acheminement de l'eau potable jusqu'au robinet du consommateur, à son épuration une fois qu'elle a été souillée et aux taxes récupérées pour subventionner collectivités, industries,
agriculteurs (Agence de l'eau).

Si les rendements du réseau d'eau potable sont faibles (je préfère
comparer les indices de pertes linéaires correspondants plus à la réalité du réseau), c'est aussi car les collectivités affermées ne renouvellent pas suffisamment leurs réseau fuyards. Les sociétés telles que Véolia ou Lyonnaise ne peuvent les contraindre d'effectuer des travaux, notamment en zone rurale ou ceux ci sont très étendus et les coûts sont importants.

Alors oui il y a des dérives, mais que ce soit dans de grands groupes ou dans les collectivités, c'est avant tout une question de professionnalisme.

Ce sont des personnes qui aiment leur métier et qu'ils soient dans la fonction publique ou dans une société privée.

Les sociétés fermières ne sont pas des associations bénévoles et doivent faire des bénéfices mais elles ont aussi des avantages, tels que de proposes aux collectivités et industriels des études du fonctionnement de leurs infrastructures, for de leur expérience de terrain et de leur
multicompétence.

Pour conclure, pour chaque collectivité une réflexion de sa gestion doit être menée. Il me semble absurde de vouloir à tout prix de gérer de la même manière des collectivités rurales, urbaines, en plaine, en montagne,touristiques, viticoles... alors qu'il existe plusieurs système de gestion possibles

Anonyme a dit…

De l'eau dans le gaz

Il faut noter qu'il y a 2 grandes sociétés de distribution : Veolia, Suez,et une moyenne : Saur.

Ne voilà-t-il pas que Suez est justement la société à qui Sarkozy vient de donner GdF ?

Et ceci inclut le réseau de
distribution, que l'on venait juste d'obliger les communes à céder à GdF,et que Suez devra louer à ses concurrents.

Cette histoire ne fait que commencer...

Anonyme a dit…

L'ONU estime que l'eau sera à l'origine des prochaines guerres mondiales.

Quand nous nous plaignons de la privatisation de l'eau, n'oublions pas tous ceux pour qui l'eau représente la vie et non pas une diminution du pouvoir d'achat. Il y a eu de multiples tentatives de privatiser les services d'eau
dans les pays africains et en développement, la Tanzanie étant le dernier exemple s'étant soldé par un échec cuisant pour le gouvernement anglais.

Pour revenir au commentaire de Forest Ent, il serait tellement réconfortant de penser que seules les multinationales veulent privatiser ces services.

Lisez les politiques de coopération des pays européens, de la banque mondiale, du FMI.

L'eau est devenue une marchandise dans la mesure où les ressources sont finies. Comment en sommes-nous arrivés là ???

Anonyme a dit…

Cet article effleure un sujet qui sera au coeur du débat public de plus en plus.

Est-ce que le meilleur moyen de partager une ressource rare et
indispensable est de confier sa gestion à des intérêts privés ?...

Comment peut-on préserver la qualité de la ressource quand il y a tant d'argent à se faire sur la "dépollution" et qu'elle est techniquement faisable ?

On peut imaginer sans trop se faire mal une entreprise externalisant ses coûts en polluant la ressource et une autre (appartenant au même groupe) demandant au consommateur
d'eau de la dépolluer.

Qui va dépiauter les factures après coup ?

A qui appartient l'eau d'une région ou d'un sous-sol quand on peut faire en amont des prélèvements massifs pour irriguer des cultures bien trop gourmandes ou du remplissage

de bouteilles plastiques vendues loin du lieu d'origine de l'eau ?

Récemment le départ d'un tanker d'eau de la région de Marseille pour alimenter Barcelone en proie à une sécheresse dramatique a suscité des discussions.

Je rappelle aussi que de l'ordre de 20% de notre consommation d'eau est
destiné à transformer en déchets "urine et caca" quand leur destination normale est de fournir
de l'énergie (biogaz) et des engrais (compost de haute qualité) pour boucler le cycle des éléments.

Quand chacun se sert (on continue le maïs à fond la caisse par ex) et que le principe "pollué-payeur" est la règle on peut s'attendre au pire.

Chez nous il faudra payer, ailleurs souffrir voire mourir.

Merci pour le coup de projecteur sur un sujet souvent oublié...

Anonyme a dit…

Je pose la question pour ceux qui tenteraient de justifier les prix
exhorbitants de l'eau assaini, le fait que l'eau devienne une resource rare justifie t-il que tout le monde paye cette eau à des prix qui n'ont rien à
voir avec la réalité ?

Exemple les nappes phréatiques de la région ou j'habite sont faciles d'accès,elles ont un niveau normal , le terrain géologique ne présente pas non plus de difficultés particulières comment se fait-il que ma facture d'eau a consommation égale soit plus élevée que celle d'un habitant de l'Hérault ? ou du var ou l'on sait que ces conditions ne sont pas identiques ?

Si vous fouillez un peu dans les collectivités des "circuits de l'eau" comment se fait-il qu'il y ait un rapport exagéré de politiciens de tout bord ? cherchez a qui ça profite ...

Si nous n'y prenons garde cette denrée qui sera bientôt aussi rare que l'or noir sera totalement entre les mains des privés, ce qui veut dire un peu à l'instar de nos autoroutes qui avaient étés financés avec nos impôts, que nous paierons une seconde fois pour l'utilisation alors que tout le
monde sait que ces autoroutes ont étés largement amorties.

Pour finir autre anormalité comment se fait-il que les agriculteurs les
plus grands consommateurs et les plus grands pollueurs avec leurs
pesticides ne paient l'eau qu'à un quart du prix payé par le citoyen lambda?

Anonyme a dit…

Oui, la banane devient le dessert préféré de nos politiciens !

Je reste encore aujourd'hui choqué par l'affaire de la privatisation en 1989 de la distribution des eaux de la ville de Grenoble, offerte par le maire de l'époque (Carignon) à la Lyonnaise qui épongea les dettes (10 millions de francs) des jounaux du maire : le corrompu en tôle, (normal) mais le corrupteur (Le PDG de la Lyonnaise) n'a pas du tout été inquiété et a pu poursuivre une brillante carrière...

Ha ! Sans la banane que deviendrions-nous ?

Et merci à l'auteur pour son article bien pédagogique.

Anonyme a dit…

L'eau comme l'énergie est un bien commun il appartient à tous. Les sociétés doivent donc être détenues par l’Etat et non pas bradée comme GDF. Alain