Le
rapport Spinetta du 15 février dernier sur la libéralisation du transport ferroviaire
en France a suscité de nombreuses réactions mais il ne contient en fait rien de nouveau.
C’est toujours la même volonté de transférer des services publics au secteur privé, la dénationalisation du rail étant un projet préparé à Bruxelles depuis plus
de 25 ans et soutenu par Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité…
Le
gouvernement a lancé une réforme à grande vitesse de la SNCF et tout ce que
redoutaient les syndicats de cheminots est en train de se mettre en place. Après
les annonces du premier ministre, le gouvernement reprend
le même procédé que celui testé en 2017 pour la loi Travail : un saucissonnage des
réunions entre les différentes parties prenantes où personne n’aura les mêmes
informations. Il s’agit de donner l’illusion d’une négociation mais les choses
sont actées depuis très longtemps.
Un peu d’histoire
Le 29
juillet 1991, l'Union européenne adopte la directive 91/440/CEE « relative au
développement de chemins de fer communautaires ». Son objectif est d'amener les
États à libéraliser le rail, avec une « européanisation » du réseau ferré pour
aller vers une concurrence internationale.
Mais
le transport ferroviaire ne se libéralise pas comme n'importe quelle activité
commerciale. Pour faire circuler des trains, il faut un réseau de rails,
d'alimentation énergétique, de gares... Si chaque entreprise privée souhaitant
développer une activité de transport ferroviaire devait construire son propre
réseau, jamais personne n'aurait revendiqué l'ouverture à la concurrence car
jamais la rentabilité n'aurait été au rendez-vous.
Voilà
pourquoi la directive de 1991, dans son article premier, impose « la séparation
de la gestion de l'infrastructure ferroviaire et de l'exploitation des services
de transport ». Il s'agit d'isoler les activités non profitables (le réseau),
qui resteront dans le domaine public et de privatiser peu à peu la partie
rentable. En s'acquittant simplement d'un péage, plusieurs compagnies pourront
rivaliser tout en utilisant les mêmes infrastructures.
Depuis
cette année 1991, les « livres blancs » et les « paquets ferroviaires » (des
mesures simultanées réparties dans plusieurs directives ou règlements) se
succèdent à la Commission européenne et les États s'adaptent à un rythme plus
ou moins soutenu.
En
février 1997, le gouvernement français créait Réseau ferré de France (RFF), un
établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), filiale de la
SNCF, mais séparée d'elle juridiquement et comptablement.
Depuis
cette année là, les investissements sur le réseau français sont scandaleusement réduits
et limités aux grandes lignes, les coûts salariaux sont compressés, la priorité
stratégique est donnée aux déplacements professionnels pour les allers-retours
dans la journée, entraînant la SNCF dans une concurrence stupide avec
l'aviation à faible coût... C'est en 1997 également que la compétence du
transport ferroviaire de proximité est transférée aux régions. Depuis, elles
doivent assumer la gestion des lignes les plus difficiles à rentabiliser.
Fin
2014, RFF changeait de nom en devenant SNCF Réseau. Cette entité est sommée de permettre la concurrence « libre »
d'entreprises de transport publiques ou privées. Une concurrence d'abord mise
en œuvre, à partir de 2006, dans le secteur du transport de marchandises, dont
40 % échappe aujourd'hui au service public.
En
2016, dans un nouveau « paquet ferroviaire », l'Union européenne a fixé des
échéances précises aux États membres. La libéralisation du transport des
passagers doit être effective en 2020 pour les lignes nationales et en 2026
pour les lignes régionales. Les États et les collectivités locales
généraliseront les appels d'offres, auxquels pourront répondre le service
public et le secteur privé.
Le rapport Spinetta
C'est dans ce contexte
qu'intervient le rapport Spinetta de février 2018. En toute logique, il
préconise " d'optimiser " le fonctionnement de la SNCF en réduisant encore les
dépenses, à commencer par la masse salariale. En particulier, les coûts de
gestion du réseau doivent baisser de façon à réduire les péages pour les
entreprises privées qui voudraient concurrencer la SNCF. Au nom de l'efficacité
économique, le rapport prône la fermeture des lignes les plus déficitaires ou leur
financement par les seules collectivités locales. Il propose enfin le transfert
d'agents de la SNCF vers le privé en cas de perte du « marché » par le service
public, tout en prenant soin de préserver certaines particularités du statut
des cheminots, notamment le régime spécial de retraite.
Quant au changement de statut pour les nouveaux
cheminots embauchés, il permettrait à peine d’économiser entre
100 et 150 millions d’euros à un horizon de dix ans, ne résolvant en rien l’avenir
de la SNCF. Mais l’objectif de l’Élysée est ailleurs : faire croire que le plus important dans la réforme est justement le changement de statut des cheminots !
Et aujourd'hui,
la réforme du rail pose une question majeure à laquelle il faut répondre
clairement. Le droit administratif
français intègre toutes les composantes du droit européen et le fait
respecter en cas de contentieux. Cela signifie que si la France n'appliquait
pas le droit communautaire sur les chemins de fer, n'importe quelle firme
privée qui s'estimerait lésée par le manque de concurrence pourrait attaquer
l’État. La jurisprudence est parfaitement claire : l'entreprise privée
gagnerait à tous les coups et la France serait obligée de
libéraliser les activités ferroviaires.
Pour
éviter la destruction du service public ferroviaire comme tous les autres services
publics convoités par le privé, il faudra dénoncer les traités, les directives
et les règlements européens de libéralisation. Il faudra un acte juridique de rupture
qui redonne à la France un peu plus de souveraineté nationale. Cela peut être
la sortie de l'Union européenne ou bien, à minima, une modification
constitutionnelle qui nous permette de ne pas appliquer un texte européen sans
être contredits par le juge administratif.
Avec
le rapport Spinetta et la réforme du statut des cheminots devenue prioritaire, c'est aussi la campagne des élections
européennes qui est lancée par Emmanuel Macron qui veut gagner une bataille
politique, en ralliant à lui l’opinion publique…
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