22 septembre 2008

A quand un Sénat démocratique ?

Jardin du luxembourg
L’élection du dernier tiers du Sénat, le 21 septembre, avant l'élection par moitié à partir de 2011, remet sous le feu des projecteurs cette deuxième chambre du parlement dont le général de Gaulle disait, après avoir tenté vainement de la réformer : «Le Sénat a un privilège exorbitant et imparable, celui de tout bloquer». 

Réuni dernièrement à Versailles, le congrès a bien voté, grâce aux voix de Jack Lang et de la plupart des 18 Radicaux de gauche, le projet de réforme de la constitution proposé par Nicolas Sarkozy mais on retiendra surtout des maigres modifications adoptées celle permettant au président de la République d’avoir une tribune supplémentaire en venant s'exprimer devant le Parlement.

Rien n’est prévu pour changer le singulier scrutin des élections sénatoriales qui fait du Sénat français la chambre parlementaire la plus archaïque du monde occidental. Son mode d'élection est la cause d’un grave déficit de légitimité démocratique et de l’avènement d’une chambre structurellement à droite depuis 1858…



La plupart des états dans le Monde connaissent ou ont connu l’existence d’une seconde chambre parlementaire, le plus souvent liée à leur histoire nationale. 

Généralement, cette deuxième chambre était créée à l’origine pour préserver les intérêts de catégories sociales devenues minoritaires dans la société. Elle s’est maintenue, au cas par cas selon les pays et son existence a été justifiée, par ses initiateurs, par de nouvelles fonctionnalités constitutionnelles ou politiques, souvent très discutables.

Le Sénat français n'a pas fait exception à cette règle historique. Dans les lois constitutionnelles de 1875, le Sénat avec ses 300 membres formait la chambre haute et partageait le pouvoir législatif avec la chambre des députés. La constitution de 1946 lui substitua le Conseil de la République, dont le rôle politique et législatif était réduit. Celle de 1958 a rétabli un Sénat dont les membres sont élus au suffrage universel indirect par un collège de grands électeurs, contrairement à l’assemblée nationale élue au suffrage direct.

Défini à l’article 24 de la constitution, il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. En cela, la 5ème République perpétue une longue tradition constitutionnelle française initiée il y a deux siècles, à la suite de la révolution française.

Mais après un quart de siècle d’une décentralisation qui aurait pu être sa chance, il est devenu la chambre la plus archaïque du monde parlementaire, tout en disposant de prérogatives importantes dans l’élaboration de la loi aux côtés de l’assemblée nationale.

Les textes doivent être votés dans des termes identiques par les deux chambres. Si aucun accord n’est trouvé, le gouvernement peut convoquer une Commission Mixte Paritaire (CMP) en charge de trouver un compromis. Si le travail de la CMP n’aboutit pas à un texte de consensus ou si le texte n’est pas voté par l’une des chambres, le gouvernement est alors le seul à pouvoir débloquer le processus législatif en demandant à l’assemblée nationale de statuer en dernier ressort.

Le président du Sénat dispose en outre de pouvoirs politiques importants : il assure la présidence de la République en cas de vacance du pouvoir ou d’empêchement constaté et nomme un tiers des membres du Conseil Constitutionnel.

 Un mode d’élection problématique


Le Sénat est renouvelable par moitié (à partir de 2011), après avoir été renouvelable par tiers tous les trois ans, à partir de 1958. Les sénateurs, au nombre de 326, sont élus pour six ans au niveau départemental et au suffrage universel indirect par un collège composé de 150 000 grands électeurs : députés, conseillers généraux, conseillers régionaux et délégués des conseils municipaux.

L’ensemble de ces grands électeurs ne représente en fait que 0,25 % de la population ! Le poids écrasant des délégués des conseils municipaux (95% du collège), accentué par le fait que 98% des communes françaises comptent moins de 9 000 habitants, contribue à faire du sénat une chambre vouée à la défense quasi exclusive des intérêts ruraux au détriment de l’intérêt général.

Les inégalités de représentation du sénat sont en effet aujourd’hui manifestes. Selon l’actuel mode de désignation des délégués, une commune de 100 000 habitants dispose de 125 délégués, soit 1 pour 800 habitants, alors qu’une commune de 10 000 habitants dispose de 33 délégués, soit 1 pour 303 habitants. En revanche, une commune de 1 000 habitants, disposant de 3 délégués, sera proportionnellement moins bien représentée, avec un délégué pour 333 habitants.

Globalement, ce système défavorise les communes importantes alors qu’il privilégie fortement certaines communes de taille moyenne, entre 3 500 et 5 000 habitants et entre 9000 et 15 000 habitants. On observe qu’à l’inverse, celles de 8 000 habitants sont défavorisées sans qu’aucune raison logique ne puisse le justifier.

Une réforme indispensable et urgente


Pendant la première alternance, de 1981 à 1986, seule 42% des lois ont été adoptées d’un commun accord entre les deux chambres, contre 95% lors des législatures précédentes. Dans 40% des cas, le blocage exercé par le sénat a été tel que le gouvernement s’est vu dans l’obligation de demander à l’assemblée nationale de statuer en dernier ressort.

Historiquement, le Sénat n’a eu de cesse de s’opposer aux réformes modernisatrices, comme le PACS, la parité ou encore l’indépendance de la justice. 

Si certains souhaitent la suppression pure et simple de la deuxième chambre au nom de la République, ou comme le Général De Gaulle en 1969, en faire une sorte de super Conseil Economique et Social composé de représentants de tous les intérêts de la société, une réforme du mode d’élection constituerait déjà une avancée considérable.

L’introduction du suffrage universel direct avec application d’une proportionnelle intégrale rendrait possible une parfaite représentation des Français dans la diversité de leurs opinions politiques, même les plus extrêmes, au plus grand profit du débat parlementaire et donc du contrôle démocratique du gouvernement.

L’échelon régional constituerait sans doute le cadre idéal pour élire les sénateurs. Il s’agirait alors d’une chambre de type fédéral sur le modèle du Bundesrat ou du Sénat américain. Le cadre départemental actuel, trop étroit, ne permettrait pas en effet, à la proportionnelle intégrale, la représentation de toutes les sensibilités politiques.

D’après l’enquête annuelle de recensement 2004 de l’INSEE, la population des régions et départements de France métropolitaine et Dom s’élève à 62 130 000 habitants. Sur la base d’un sénateur par tanche entière de 200 000 habitants, le nouveau Sénat de la République pourrait être composé exactement de 300 sénateurs, répartis de la façon suivante par région :

Alsace : 9 sénateurs ; Aquitaine : 15 ; Auvergne : 6 ; Bourgogne : 8 ; Bretagne : 15 ; Centre : 12 ; Champagne-Ardennes : 6 ; Corse : 1 ; Franche-Comté : 5 ; Ile-de-France : 56 ; Languedoc-Roussillon : 12 ; Limousin : 3 ; Lorraine : 11 ; Midi-Pyrénées : 13 ; Nord-Pas-de-Calais : 20 ; Basse-Normandie : 7 ; Haute-Normandie : 9 ; Pays de la Loire : 16 ; Picardie : 9 ; Poitou-Charentes : 8 ; Provence-Alpes-Côte d’azur : 23 ; Rhône-Alpes : 23 ; Guadeloupe : 2 ; Guyane : 1 ; Martinique : 1 ; La Réunion : 3

Mais les parlementaires de la majorité comme de l’opposition restent allergiques à toute modernisation visant à dépasser, dans ce domaine comme dans tant d’autres, le cadre départemental, devenu obsolète au vu des changements démographiques qui se sont produits depuis Napoléon Bonaparte et du trop grand nombre d’échelons administratifs, avec six niveaux de pouvoirs publics (Europe, pays, région, départements, communauté de communes, communes), qui constituent une véritable aberration administrative.

De plus, l’UMP est hostile à toute réforme qui mettrait en péril la domination séculaire de la droite.

Et le PS, dans son programme «Réussir ensemble le changement», prévoit uniquement l’extension du mode de scrutin proportionnel départemental à partir de 3 sièges de sénateurs, la modification du collège sénatorial et la suppression du droit de veto en matière constitutionnelle.

Un triste constat car Il serait temps aujourd’hui de changer réellement nos institutions et d’aller vers une 6ème République au lieu de bricoler constamment la 5ème.

A n’en pas douter, la route vers un Sénat démocratique sera longue et difficile…



Photo Créative Commons



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5 commentaires:

Anonyme a dit…

Il faut supprimer cet avatar du suffrage censitaire qui sert à garantir l’immunité aux parlementaire et à donner une sinécure aux recalés du suffrage universel.

Plusieurs centaines de millions d'euros d’économies faciles à réaliser au lieu de dérembourser les médicaments pour les pauvres, d’instituer des franchises médicales ou de mendier des tunes pour la recherche médicale !

Anonyme a dit…

Malgré tous les handicaps décrits dans cet article, je pense que le bicamérisme est une bonne chose dans une démocratie qui se respecte.

Toutefois des aménagements sont nécessaires quant au mode électoral et au poids respectif des uns et des autres.

signé : un grand électeur (qui a déjà participe au vote de sénateurs parisiens...)

Anonyme a dit…

A quand pas de sénat du tout !

Anonyme a dit…

Le sénat est la chambre anti - sociale de nos grands pères.

François Miterrand au pouvoir ne l’a pas aboli.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il n’était pas de gauche...

Anonyme a dit…

Les sénateurs mènent-ils grand train?

Outre une confortable indemnité mensuelle de près de 7.000 euros, ils disposent d’une généreuse enveloppe pour couvrir leurs frais de mandat et bénéficient de nombreux avantages pour leurs déplacements et leur logement.

La rémunération mensuelle des sénateurs se découpe en trois parties : une indemnité parlementaire de base de 5.427,33 euros, soit autant que les députés.

A quoi s’ajoute une indemnité de résidence de 162,82 euros et une indemnité de fonction de 1.397,54 euros. Seules les deux premières sont soumises à l’impôt. Au total, cela représente 6.987,69 euros.

Pour éviter que les sénateurs détenteurs d’un autre mandat ne voient leur rémunération s’envoler, un garde-fou est prévu : en cas de cumul, l’indemnité totale ne peut excéder 8.141 euros.

Outre leur rémunération personnelle, les sénateurs perçoivent une consistante enveloppe mensuelle de 6.141,33 euros brut pour couvrir leurs frais de mandat (rémunération des assistants, équipement du bureau, etc.).

En fin de carrière, ils perçoivent une pension de retraite qui s’élève en moyenne à 3.294,71 euros brut par mois.

C’est sans compter les nombreux avantages en nature. Pour ses déplacements, chaque sénateur a droit à 40 aller-retour en avion par an entre Paris et sa circonscription en métropole et six en métropole hors de sa circonscription. Il possède une carte de circulation valable sur l’ensemble du réseau SNCF.

Chaque élu dispose d’un bureau avec ordinateur, de quatre lignes téléphoniques et de deux fax si besoin. Son courrier parlementaire est affranchi gratuitement, sous réserve d’un plafond annuel. Des prêts au logement, d’un taux moyen de 2% pour 75.000 euros, peuvent lui être accordés sur 18 ans maximum.

Enfin, à côté de l’hémicycle, les couloirs du Sénat abritent plusieurs commerces de proximité dignes d’une petite ville : un bureau de Poste, un restaurant, un bureau de tabac et même un salon de coiffure où les élus, cette fois, sont tenus de sortir leur porte-monnaie...