Peste porcine, fièvre catarrhale ovine, grippe aviaire, les animaux sont de plus en plus frappés par des virus infectieux. Quels genres de virus ? Des petits, des gros, des moyens, des résistants et des moins résistants. Certaines maladies anciennes émergent à nouveau sous une forme radicalement nouvelle et des maladies inconnues jusqu’alors se diffusent d’une façon fulgurante. Les chèvres connaissent des épisodes sans précédent de la fièvre Q, les poulets affrontent des sous-types hautement pathogènes de la grippe aviaire, les moutons contractent la maladie « de la langue bleue », etc.
Il y a
deux ans, en Chine, le virus de la peste porcine s'est diffuser dans de
nombreuses fermes à l’est du pays. Forte fièvre, perte d’appétit, hémorragie, en vingt-quatre mois, il a réduit de moitié le nombre de porcs en Chine.
Sévissant déjà en Europe centrale, le virus a été détecté en Belgique en
2018. La France et ses autres voisins européens craignent désormais son arrivée.
Cette pandémie de peste porcine n’est pas une exception. Selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) - l’équivalent de l’OMS pour la santé animale -, le nombre d’épidémies dans l’élevage a presque triplé dans les quinze dernières années. Les conséquences pour le bétail sont réelles. Ils le sont aussi pour l’homme : certaines maladies animales se transmettent à l’humain, on les appelle zoonoses.
Comment
comprendre cet emballement infectieux ? Les épisodes successifs des maladies partagent des circonstances
communes et pour les retrouver, il faut s’intéresser à une période historique
précise, celle de la naissance d’un certain mode de
production : l’élevage industriel.
De vastes enclos ont été transformé en fermes-usines produisant en série des animaux aux systèmes immunitaires fragiles :
- En 2003, des infectiologues prouvaient qu’une infection touche plus durement une population d’animaux standardisés, avec un code génétique unique.
- En 2007, une étude scientifique établissait une relation entre les doses d’antibiotiques que reçoivent, pour survivre, les animaux de l’industrie et les épidémies.
- En 2008, des experts mondiaux en maladies zoonotiques émergentes se rassemblaient pour discuter du possible lien de causalité entre ces quantités d’animaux d’élevage affaiblis et les explosions pandémiques.
L'élevage industriel touche aussi d'autres animaux comme les visons pour la vente de fourrures. Et le Danemark vient juste d'annoncer qu’'il va abattre la totalité de la quinzaine de millions de visons élevés sur son territoire à cause d'une mutation du Covid-19 déjà transmise à 12 personnes, qui menace l'efficacité d'un futur vaccin pour l'homme, selon la Première ministre Mette Frederiksen. Avec le Danemark, cinq autres pays, dont les Etats-Unis, ont jusqu'à présent fait état de cas de Covid-19 dans des élevages, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
La « biosécurité », une fuite en avant industrielle
Sur une planète qui ne connaît plus l’isolement, face à ces
flambées épidémiques transfrontalières, il existe une réponse commune à tous les
pays : la « biosécurité ». Ce terme vient de la stratégie militaire :
après l’épisode des lettres à l’anthrax aux États-Unis (les enveloppes
contenaient des bactéries contaminantes), la recherche consacrée à
la théorie contre les armes chimiques s’est intensifiée. Cette théorie a été
appliquée à l’agriculture, à partir d’un constat simple : les fermes sont
devenues dangereuses.
« La
biosécurité désigne les mesures qui doivent être prises pour minimiser le
risque d’introduction de virus » dans les unités de production
agricole, annonçait l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
l’agriculture (FAO) dès la fin des années 1990. Pour l’appliquer, les
fermes doivent mettre en place un isolement des animaux derrières des lignes Maginot
biologiques. Clôtures, bâtiments, sas sanitaire, l’objectif est de confiner les
animaux en permanence. Le contrôle d’un virus, qui peut paraître technique,
engage en réalité un ensemble de choix économiques et politiques.
Une
seule vision émerge. « Les unités de production de grande taille
peuvent être physiquement isolées et peuvent mettre en place des barrières de
protection efficace », poursuivait la FAO. Les grandes fermes
industrielles sont présentées comme la solution. L’élevage est vu comme un ensemble
à placer en sûreté, hors de la nature. Les animaux doivent rester intacts, non
intégrés à leur milieu mais intégrés aux chaînes d’approvisionnement de
l’agro-industrie, dans une bulle créée par l’homme. Tout ce qui n’est pas
industriel est perçu comme une menace.
Évidemment, cette façon de voir est dérangeante. Les élevages industriels - avec leurs cages bondées et la
promiscuité ambiante - sont propices aux maladies infectieuses, donc cette
théorie pourrait s’avérer catastrophique et les épidémies s’accélérer. Après la
croyance en un développement universel et sans limite sur toute la planète,
nous assistons actuellement à l’émergence d’un nouveau mythe occidental :
celui d’une biosécurité qui nous protégerait des zoonoses instituées par
l’élevage industriel. Il opère aujourd’hui dans la plus grande discrétion avec l'objectif de nous protéger.
Avec son régime de confinement pour tous les animaux, ses normes de taille, ses exigences agro-exportatrices, la biosécurité est devenue obligatoire à partir de 2016 mais au nom de la sécurité, on n’a jamais autant élargi le règne de la marchandise et du danger sanitaire...
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