Cette nouvelle organisation, la Confédération Syndicale Internationale (CSI) réunit 306 syndicats représentant plus de 165 millions d'adhérents dans 156 pays du monde.
Passé un peu inaperçu, c’est un évènement historique pour le syndicalisme, qui se dote enfin d'une structure à la dimension des enjeux de la mondialisation économique.
C’est une bonne nouvelle pour tous ceux qui veulent construire un autre monde, où les droits des salariés, les normes sociales et environnementales ne seront plus des vains mots et des déclarations d'intentions suivies d’aucun effet.
Cette nouvelle CSI est née de la fusion de la Confédération Mondiale du Travail (CMT) et de la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) qui avaient tenu auparavant leur congrès de dissolution officielle.
La CMT, de tendance chrétienne, fondée en 1920, réunissait 144 syndicats et la CISL, réformiste et laïque, fondée en 1949, comptait 241 organisations affiliées.
Cette nouvelle structure unitaire reçoit en outre le renfort d’une dizaine de syndicats indépendants, dont certains, comme la CGT française, ont longtemps appartenu au troisième courant, communiste, du syndicalisme international. Ce courant, jadis porté par l’Union soviétique, est toujours représenté par la Fédération syndicale mondiale (FSM) qui compte surtout des centrales en situation de monopole dans leurs pays respectifs, comme à Cuba ou en Corée du Nord. Tout rapprochement est donc écarté, selon le britannique Guy Ryder, ex-numéro un de la CISL, pour qui la FSM «ne partage pas notre conception du syndicalisme indépendant et démocratique».
Les quatre centrales françaises CGT, CFDT, FO et CFTC seront donc membres de la CSI, une première en France, ces organisations n'ayant jamais été réunies sous la houlette d'une même confédération.
Le siège de la CSI sera basé à Bruxelles, comme les confédérations dont elle est issue. Guy Ryder, âgé de 50 ans, syndicaliste professionnel issu du Trade Union Congress britannique, prend la tête de la nouvelle centrale. Il est considéré comme un pragmatique et a longtemps fait figure de compagnon de route de Tony Blair avant de prendre ses distances avec lui, depuis quelques années, notamment à la suite de l'invasion en Irak.
La CSI espère peser davantage face à la libéralisation des échanges internationaux explique Guy Ryder : «le rassemblement que nous créons nous permettra d’être mieux entendus. Vis-à-vis des institutions multilatérales comme le FMI, l’OMC ou la Banque mondiale, nous serons plus efficaces si nous parvenons à aider nos syndicats nationaux à peser sur les gouvernements. Nous devons infléchir la politique de ces organisations pour modifier le cours de la mondialisation».
Premier objectif : lutter pour la défense et le respect des droits syndicaux, en mettant à l’index les pays qui répriment les pratiques revendicatives.
Le problème est particulièrement criant dans plusieurs pays d’Amérique latine et centrale (Nicaragua, Guatemala, Colombie) où des syndicalistes sont régulièrement assassinés et dans certains pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie (Chine, Corée du Nord, pays du golfe) où les syndicats indépendants du pouvoir ne sont pas tolérés et où la liste des ennemis des libertés syndicales se confond souvent avec celle des ennemis de la liberté de presse.
Un autre problème est celui du tassement des adhésions syndicales. Concurrencés par des ONG très actives, notamment celles affiliées au courant altermondialiste, les syndicats doivent faire face dans les pays développés à un net repli des adhésions syndicales. Le cas de la France avec moins de 10 % de salariés syndiqués est particulièrement significatif à cet égard.
Second objectif : faire contrepoids aux organisations multilatérales internationales comme le FMI, l’OMC ou la Banque Mondiale ainsi que les multinationales qui ont développé un savoir-faire grandissant pour accommoder ou contourner les législations sociales.
Les syndicats, reconnaissait il y a peu le Bureau International du Travail (BIT), peinent à infléchir la "convergence vers le bas" des salaires et des normes sociales qu'impose la mondialisation dans certains pays, notamment en Europe de l'Est. En effet, de nouvelles méthodes de dialogue social se propagent où les directions des entreprises n’hésitent plus à s'adresser directement aux salariés par le biais par exemple de consultations internes.
La CSI va tenter d’inscrire les droits des salariés dans les accords commerciaux internationaux. Elle annonce aussi son intention de travailler étroitement avec les Global Unions, ces super-syndicats de branches professionnelles à l’échelon international, qui ont su faire plier certaines multinationales et notamment celles qui opèrent dans le secteur du transport maritime.
Dernier objectif : le rapprochement avec la société civile et les ONG altermondialistes. La CSI sera ainsi présente au prochain Forum social mondial, à Nairobi. Cette nouvelle structure unitaire veut également diversifier ses terrains de lutte. Elle devrait notamment lancer des campagnes sur l’environnement, le développement durable mais aussi les droits de l’homme.
Les défis qui attendent cette nouvelle confédération internationale sont
nombreux mais le rassemblement de tous les travailleurs du monde constitue une
première réponse et un espoir dans un monde abandonné aux appétits des
ultra-conservateurs et néo-libéraux.
Structure et fonctionnement de la CSI
Au sein de la nouvelle organisation, le Congrès est l'autorité suprême pour l'élaboration du programme et de la politique de la confédération. Il se réunira en session ordinaire au moins une fois tous les quatre ans.
La CSI dispose par ailleurs d'un conseil général, qui tiendra une session annuelle minimum. Chargé de diriger les activités de la confédération et de mettre en application les décisions et les recommandations du congrès, le conseil établit le budget, et adopte le rapport financier annuel de la CSI. Il est composé de 70 membres, selon une répartition régionale définie (Afrique, Amériques, Asie-Pacifique, Europe), six membres nommés par un «comité des femmes» établi par le conseil, deux membres nommés par un «comité de la jeunesse» constitué par le conseil.
Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, et François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, siégeront au conseil général comme membres titulaires. Jean-Claude Mailly et Jacques Voisin, secrétaires généraux respectifs de la FO et de la CFTC, seront membres suppléants.
Le conseil général élit un bureau exécutif composé de 27 membres. François Chérèque y sera membre titulaire. Bernard Thibault lui succédera en 2008, à mi-parcours de ce mandat de quatre ans. La nouvelle confédération devrait disposer d'un budget de 11 millions d'€.
Quelques dates clés du Syndicalisme :
1791, 14 juin : Loi Le Chapelier interdisant les jurandes et les coalitions, entravant ainsi le principe même du syndicat comme association ouvrière
1803, 12 avril : Loi sur la réglementation du travail dans les manufactures et les ateliers; elle renouvelle également l’interdiction des coalitions ouvrières.
1864 : Création de l’Association internationale des travailleurs (Ire Internationale) elle sert de forum d’échanges entre les mouvements syndicaux et elle participe beaucoup pour le consentement progressif à la légalisation de ce type d’institutions.
1884 : Le Ministre de l’intérieur Waldeck-Rousseau fait voter une loi autorisant la création de syndicats professionnels
1895 : Naissance de la Confédération Générale du Travail (CGT) lors du congrès à Limoges
1906 : La Charte d’Amiens pose le principe d’une indépendance du syndicat par rapport aux partis politiques
1920 : Naissance à La Haye (Pays Bas) de la Confédération Internationale des Syndicats Chrétien (CISC), la CFTC française y tient une place importante.
1945, 6 au 17 février : Réunion d’un congrès mondial à Londres puis naissance à Paris de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) à l’initiative des syndicats américains, britanniques et soviétique.
1946 : Le droit syndical est reconnu par le préambule de la Constitution française
1949 : Avec le début de la guerre froide, les syndicats américains, britanniques et en France FO quittent la FSM pour créer la CISL (Confédération Internationale des Syndicats Libres)
1964 : Congrès de la CFTC qui se déconfessionnalise. Naissance à la CFDT mais une minorité décide de maintenir la CFTC
1968, 25 au 27 mai : Signature des accords de Grenelle entre les représentants du gouvernement Pompidou, des syndicats et des organisations patronales (augmentation de 25 % du SMIG et de 10 % en moyenne des salaires réels, baisse du temps de travail à 44 h par semaine). Ils prévoient aussi la création de la section syndicale d’entreprise.
1968, 27 décembre : Loi sur la section syndicale d’entreprise
1969 : La CISC se déconfessionnalise et devient la CMT (Confédération Mondiale des Travailleurs)
1979 : La CFDT, membre de la CMT quitte cette fédération
1982 : Lois «Auroux » relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, au développement des institutions représentatives du personnel, à la négociation collective, au règlement des conflits collectifs du travail, à l’obligation de négocier tant au niveau de la branche et de l’entreprise dans certains domaines et selon une périodicité définie par la loi, au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
1989 : Les anciens syndicats communistes quittent la FSM et se répartissent entre la CISL et la CMT
1994 : La CGT décide de quitter la FSM et reste sans affiliation
2004 : La CISL approuve l’idée de la création d’une grande confédération, lors de son congrès de Miyazaki
2005 : La CMT fait la même chose que la CISL l’année précédente, lors de son congrès de Houffalize (Belgique)
2006, 31 octobre : la CISL et la CMT se dissolvent et créent la CSI à Vienne. La Chine est observatrice et quelques fédérations ne seront pas membres par impossibilité de payer leur cotisation.
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12 commentaires:
La création de la CSI est une aubaine pour notre monde.
Il n'y a plus qu'à espérer que cette nouvelle confédération trouve un retentissement massif sur la scène internationale.
Un fois de plus, les médias sont restés concentrés sur le bébé qui a disparu dans une cité HLM et sur les propos de Sarkozy en déplacement à Marseille.
J'avoue que cette information m'est passée complètement inaperçue.
Cela a-t-il vraiment beaucoup d'importance quand on sait que le syndicalisme est moribond, avec des adhésions en baisse constante.
Je me demande aussi ce que cela signifie quand les nouveaux enjeux économiques sont initiés par la Chine qui fait peu de cas de la démocratie salariale.
Par contre, l’Inde est toujours la patrie d'un syndicalisme corporatiste très actif. L'Amérique du Sud prend aussi peu à peu son indépendance énergétique en suivant cette voie.
La richesse d'un pays sont ses travailleurs et sa terre (Salut José et bonne chance pour la Présidentielle…).
A vous lire encore avec plaisir sur ce blog.
Le taux de syndicalisation en France est d'environ 8 % et dans le reste de l'Europe plus de 55 %, sinon plus.
Les Français sont constipés malgré leur brillant esprit.
Quand comprendront-ils que le syndicat est la seule arme qu'il leur reste ?
Je tiens à vous féliciter pour vos articles, votre compréhension du monde actuel et des vrais enjeux pour l’avenir.
Je ne comprends pas comment tous ces hommes et femmes politiques font pour faire des propositions aussi fades et être « populaires » alors qu’il y a tant de réformes intelligentes à faire qu’ils ne proposent jamais…
Ce que je trouve intéressant, c'est que tous les syndicats français fassent partie de cette confédération syndicale, quelle que soit leur opinion sur la mondialisation et leur rapport à la réforme.
Comme si la force du nombre passait devant la doctrine, la quantité devant la qualité.
De cette façon peut s'établir un véritable rapport de forces. De la même manière que la Confédération des syndicats européens peut faire valoir ses points de vue face à la Commission européenne.
Cependant, deux freins demeurent :
1) le premier est interne : que peut-on construire lorsque l'on est uni par le seul refus du monde tel qu'il va ? Une réprobation commune ne fait pas un programme. C'est là d'ailleurs toute la difficulté des mouvements alter mondialistes à construire des positions fortes et audibles ;
2) le second est externe : à qui va s'adresser ce syndicat ? A la différence de la Commission européenne, qui produit des normes et qui, donc, est intéressée à écouter la Confédération des Syndicats européens, il n'existe pas à proprement parler d'instance internationale qui soit productrice de normes. Certes, il y a l'OMC, mais elle est en panne. Quant aux autres instances, elles n'ont que le pouvoir que veulent bien leur déléguer leurs membres les plus puissants.
En dépit de ces obstacles, qu'elle devra essayer de surmonter, cette naissance est, il est vrai, un motif d'espérance en la construction d'un monde meilleur.
Merci a Antoine et à Elodie de se connecter sur mon blog Michel LESBROS, pour leur réponse sur les syndiqués.
Amicalement.
Avec la mondialisation galopante, il faut impérativement un contre pouvoir et une régulation de ce nouvel ordre mondial.
Nous verrons ce que l'avenir réservera à cette organisation.
Depuis de nombreuses années, toute l'économie mondiale dépend de l'actionnariat.
Telle grande société appartient à tel grand groupe financier qui est lui-même détenu par des actionnaires ayant des participations dans d'autres grands groupes, etc.
Cela revient à dire que seulement quelques personnes détiennent les clefs de cette économie et je suis surpris que ce soit si tardivement que cette union syndicale se fasse.
La CSI est peut être la première pierre qui va nous aider à construire la démocratie mondiale future.
Elle vient de naître, elle doit maintenant grandir et atteindre sa maturité.
Le chemin sera vraisemblablement long, tant les intérêts des uns seront opposés aux intérêts des autres.
Les organisations syndicales des pays riches seront-elles prêtes à accepter certains compromis pour permettre aux pays les plus pauvres d'obtenir des conditions de travail plus dignes ?
Les organisations françaises pourraient jouer un rôle important si elles arrivent à dépasser le combat politique d'arrière garde qu'elles mènent l'une contre l'autre.
Les pays à culture social-démocrate plus habitués à la négociation et au compromis joueront sans doute dans l’avenir un rôle essentiel.
Salut Fabrice,
Je ne suis pas sûr que les pays du Nord à vocation social-démocrate agiront pour lutter contre la concurrence déloyale de travailleurs surexploités car plusieurs de ces firmes multinationales «nordiques», si elles sont relativement contrôlées dans leur pays d’origine, sont peu surveillées et responsables d’abus importants dans les pays du Sud.
Victor du Sud
Je ne pense pas que l'évènement soit passé aussi inaperçu mais seules les actions diront si tout cela est bien utile.
La force d'un syndicat, c'est sa capacité à mobiliser et pas uniquement son nombre d'adhérents. Qu'en sera-t-il de cette organisation ?
Pendant ce temps,un autre événement est passé lui inaperçu, c’est le sommet sino-africain.
Les Chinois s'assurent de futurs débouchés et la maîtrise des matières premières sans aucun état d'âme politique.
Cet évènement semble être annonciateur d'un énième nouvel ordre mondial avec son cortège de conflits à venir.
Que peut apporter le syndicalisme, et à qui ?
Le syndicalisme est utile pour ceux qui y voient un moyen de communiquer et de diriger les autres.
Est-ce que cette union syndicale sera utile, et pour qui ?
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