La
nouvelle réforme des retraites est présentée par le ministre du Travail Xavier
Bertrand et la plupart des médias comme une réforme indispensable, une mesure
de «bon sens», au même titre que les autres réformes engagées par le président
de la République.
Mais
si les membres du gouvernement ont toujours le mot «réforme» à la bouche, le
contenu précis de chaque mesure est plus rarement abordé. Et aujourd’hui,
Xavier Bertrand, tel un bon élève obéissant à son maître d’école Nicolas
Sarkozy, ne fait que proposer ce qui était déjà prévu par la réforme Fillon de
2003 : porter le nombre d'annuités pour une retraite à taux plein à 41 ans,
voire 42 ans à l’horizon 2020.
Une
mesure partielle et comptable, destinée avant tout à contenir le déficit de la
branche vieillesse du régime général autour de 5 milliards d'euros à la fin de
la législature mais qui ne règle en rien les problèmes de financement…
Face
au vieillissement de la population, les enjeux sont aujourd’hui majeurs en
terme de retraite mais aussi d'assurance maladie, de dépendance et de famille.
Le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans passera en effet de 13,5
millions à 22,5 millions à l’horizon 2050, soit une augmentation de près de
80%, selon les projections de l’INSEE.
Si le
gouvernement de François Fillon propose une nouvelle réforme des retraites (la
troisième, concoctée par l’UMP depuis 1993, pour le seul Régime Général…), la
cohérence voudrait qu’on aborde clairement le problème du mode de financement
du régime Général mais aussi celui des autres régimes (agricole, artisans,
commerçants, fonctionnaires, régimes spéciaux, etc.) et d’une manière générale
de l’ensemble des risques de la Protection sociale.
Car,
contrairement à une idée répandue, les besoins en financement nouveau pour
faire face au vieillissement de la population ne sont pas aussi importants qu’on
ne le croit et restent assez faciles à trouver. Le Conseil d’Orientation des
retraites (COR) a même calculé que le coût du maintien à 40 ans de la durée
d’assurance serait de 4,1 milliards en 2020. Quant aux salariés du seul secteur
privé, le retour à la durée moyenne réelle de 37,5 annuités de cotisation ne
représenterait que 0,3 point du PIB annuel en 2040 !
Allonger la durée de cotisations, c’est de fait baisser les pensions
Avant
1993, la retraite initialement perçue (régime de base + régime complémentaire)
représentait environ 78 % du dernier salaire. Cela correspondait, en fonction
de la structure différente des dépenses selon les âges, à la parité de niveau
de vie entre salariés en activité et retraités.
A
l’été 1993, la réforme «Balladur» qui était passée complètement inaperçue des
organisations syndicales, a modifié profondément le mode de calcul de la
retraite :
- Le salaire annuel moyen (SAM), calculé initialement sur les 10 meilleures années de salaire, est déterminé maintenant sur les 25 meilleures, le passage des 10 meilleures années aux 25 meilleures s’étant déroulé progressivement de 1993 à 2008.
- L’indexation automatique des pensions qui était calculée à partir de l’indice d’augmentation du salaire moyen, est basée maintenant sur l’indice des prix datant de 1946 et ne reflétant pas la réalité de l’évolution des prix. Cela entraîne chaque année une dévalorisation du montant des pensions, déjà amputées par ailleurs de la CSG et de la CRDS.
Cela
entraîne aussi une érosion des reports au compte de l’assuré social avant même
la liquidation de la pension. Ainsi, pour un salarié de la génération 1948 (calcul
du SAM sur les 25 meilleures années), ayant eu une carrière complète au plafond
de la sécurité sociale, et qui liquide ses droits en 2008, la retraite annuelle
brute est de 14 312, soit 43 % du plafond de 2008 au lieu des 50 %. Selon la
CNAV, faire évoluer l'indice de revalorisation des salaires au même rythme que
le plafond permettrait d’atteindre à terme un niveau de retraite de 50 % du
plafond pour les assurés ayant 25 meilleures années de salaire à ce niveau.
Puis
la loi «Fillon» du 21 août 2003, avalisée par trois organisations syndicales
faisant preuve pour le moins d’une grande naïveté politique (CFDT, CFTC et
CFE-CGC), a aggravé encore la situation :
- Allongement progressif à 41 ans en 2012 (si nécessaire 42 ans en 2020) de la durée d’assurance pour obtenir une pension à taux plein de 50% avant 65 ans
- Réduction progressive à 5% par année manquante d’ici à 2013 de la décote en cas de liquidation avant 65 ans sans réunir les conditions du taux plein.
En
théorie, le montant des retraites est censé ne pas diminuer si les salariés
peuvent travailler jusqu'à la date où ils auront le nombre de trimestres
nécessaires au versement d'une retraite à taux plein. Mais en pratique, la
réalité sociale est bien différente car la durée moyenne d'une carrière d'un
salarié du secteur privé n'excède pas 37 années.
Au
cours des dernières années avant la retraite, de nombreux salariés sont en
effet au chômage, en préretraite ou en en invalidité et n’arrivent pas dans
leur grande majorité à atteindre 40 annuités de carrière réelle, soit 160
trimestres. Cette situation sera pire si la durée de cotisation nécessaire,
pour obtenir une pension à taux plein, dépasse les 40 années de versement. Au
lieu d'être maintenu et protégé, le niveau des pensions baissera alors dans des
proportions considérables entre 2010 et 2040.
Avec
ces trois réformes 1993, 2003, 2008, toutes à l’instigation de l’UMP et celle
des régimes complémentaires ARRCO et AGIRC de 1995 et 1996, le COR a prévu une
baisse de 14 points du taux de remplacement du salaire net par la retraite
nette entre 2000 et 2030, soit une diminution de 78 % à 64 % (43% pour le
régime de base et 21% pour le régime complémentaire en moyenne).
Modifier l’assiette des cotisations et instituer un financement complémentaire pérenne
D’une
manière générale, afin d’assurer le financement de la branche vieillesse du
Régime Général, il conviendrait d’élargir l’assiette des cotisations et de
cesser d’augmenter ou d’empiler des cotisations (maladie, vieillesse,
allocations familiales, accidents du travail, etc.) ou des contributions comme
la CSG (contribution sociale généralisée) ou la CRDS (contribution au
remboursement de la dette sociale)…
Car si
le financement par le biais de cotisations sur salaires a relativement bien
fonctionné pendant les «trente glorieuses», il semble avoir atteint aujourd’hui
ses limites car la part des salaires dans la richesse produite chaque année a
baissé de 10% en 30 ans !
En ce
qui concerne les cotisations des salariés (6,5% pour le seul risque vieillesse
du régime général), il conviendrait de fixer un taux unique pour l’ensemble des
régimes de sécurité sociale et de déterminer une assiette commune (revenu fiscal
plutôt que base salaire). Certaines professions indépendantes cotisent déjà sur
le revenu réel tel qu’il est déclaré à l’administration fiscale. Et à
cotisation égale, un point de cotisation assis sur le revenu fiscal rapporte
beaucoup plus qu’un point basé sur le seul salaire.
Pour
les entreprises, le taux de cotisation vieillesse de 8,30% qui s’applique sur
les seuls salaires est également contestable. Les sociétés de main d’œuvre
notamment, ayant une forte masse salariale mais une faible valeur ajoutée, sont
pénalisées par rapport à celles ayant une faible masse salariale et une haute
valeur ajoutée. Les cotisations patronales pourraient donc être remplacées par
une sorte de super CSG entreprise basée sur la valeur ajoutée et couvrant tous
les risques de Sécurité sociale. Cette contribution existe déjà en germe dans
l'actuelle contribution sociale de solidarité sur les sociétés (C3S) mais avec
un taux très faible. Il suffirait simplement de substituer aux cotisations
patronales sur salaires une C3S dont le taux serait fortement augmenté.
Aux
cotisations patronale et salariale, devrait s’ajouter un troisième financement
défini de façon claire et non fluctuant dans le temps au gré des majorités
parlementaires. Ce financement complémentaire, qui s’apparenterait en quelque
sorte au fond de réserve des retraites (FRR), pourrait être alimenté par
l’impôt progressif républicain et l’impôt sur les sociétés plutôt que par la
fiscalité indirecte, chère à Nicolas Sarkozy (nouvelles franchises médicales au
1er janvier 2008, TVA sociale à l’étude, etc.) qui aggrave
considérablement les inégalités sociales.
Un tel
financement mixte (cotisations + solidarité nationale) existe déjà dans de
nombreux pays et même en France pour les régimes spéciaux de retraite,
notamment ceux des gaziers, cheminots, agents de la RATP, financés de façon
complémentaire par des subventions de l’Etat.
Par
ailleurs, plusieurs mesures pourraient être prises pour conforter le
financement de toutes les branches de sécurité sociale :
- L’annulation de l’exonération des grosses successions, consentie aux personnes les plus fortunées par Nicolas Sarkozy en 2007, représenterait à elle seule près de 2 milliards € d’abondement chaque année sans compter les sommes colossales qui pourraient être récupérées avec une réforme sérieuse des niches fiscales en faveur des plus favorisés !
- La fin des exonérations de charges accordées indistinctement à toutes les entreprises, celles dont la santé est florissante et qui délocalisent souvent comme celles qui ont des difficultés sérieuses (volume de 30 milliards annuels €).
- Le paiement immédiat et le versement au budget de la Sécurité sociale de la dette de l’état, liée aux exonérations de charges, concernant le régime général ou le régime agricole notamment (plus de 3 milliards € non remboursés par l’état).
- L’assujettissement des stocks-options ainsi que des indemnités de départ à la retraite ou de licenciement, qui sont des revenus liés au travail, dans les mêmes conditions que les salaires soumis à cotisations (plus de 3 milliards €)
- Le remboursement par les employeurs des pathologies en rapport avec le travail : cancers professionnels, allergies, stress, troubles musculo squelettiques et même suicides car cela constitue en fait une formidable subvention de l’Assurance maladie aux entreprises…
Un
autre système permettrait donc aisément de résorber le soi-disant déficit de la
sécurité sociale, largement provoqué par le manque de financement que les
gouvernements successifs, depuis de très nombreuses années, ont laissé perdurer
au gré des aléas de la conjoncture économique. Il permettrait également de
payer des retraites minimales décentes qui ne devraient pas être inférieures au
SMIC. Il serait même possible de revenir à une retraite calculée sur les dix
meilleures années comme cela existait avant la réforme Balladur de 1993 et de
mettre fin au scandale des cotisations instituées sur les retraites (CSG
imposable, CSG non imposable, CRDS)
Mais,
une telle réforme est avant tout un choix de société, encore faut-il en avoir
la volonté politique ! Après avoir accordé un cadeau fiscal de plusieurs
milliards d’euros aux personnes les plus aisées dans le cadre de la loi TEPA en
2007 (cadeau qui sera reconduit chaque année…) Nicolas Sarkozy et sa majorité
présidentielle UMP-Nouveau centre sont à des années lumière d’un changement
d’assiette des cotisations et d’un recours à la solidarité nationale par la
fiscalité directe.
A
défaut d’une véritable réforme, les salariés devront travailler plus longtemps,
et si ce n’est pas suffisant, les cotisations sur salaires seront augmentées,
le montant des pensions diminuant déjà de façon régulière depuis la réforme
Balladur de 1993. Anticipation sans doute des prochaines mesures
gouvernementales, de nombreux salariés ne se font plus guère d’illusion sur les
effets de cette nouvelle réforme et ont tendance à partir à la retraite dès
qu'ils le peuvent par crainte d'un durcissement à venir de la législation de la
Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) après la fin 2008…
Photo
Creative Commons : maigre pitance par Jérémy Saint-Peyre
Lire toutes les infos du blog :
8 commentaires:
Bonne analyse surtout qu’elle est apportée avec un langage parfois imagé.
La période de travail se raccourcit par les deux bouts. Le début de carrière est de plus en plus tardif dû à la longueur extensible des études.
La fin de carrière par la volonté d’en finir le plus tôt avec des gens qui commencent à coûter trop cher par l’ancienneté.
Vouloir continuer à travailler plus tôt pour apporter son obole au système social ou plus longtemps en oubliant que les employeurs veulent sortir du système "low-cost" actuel sont des chemins de l’absurdité.
Même en voulant rester sur le "bateau" du travail avec le maximum de motivation, cela reste un vœu pieu. Diminuer salaires et retraites ne résout rien.
Il faut faire tourner la machine et sans le sous, pas de vraie réforme…
Nous venons de recevoir nos " relevés de carrière " de la Cnav, et nous constatons, mon mari et moi, qu'il y a une impossibilité réelle maintenant à se mettre en retraite - à taux plein - pour qui que ce soit, avant 65 ans, à moins d'avoir commencé à travailler ... vers...14 ans !.... ce qui est impossible, le travail au sens propre étant interdit avant 16 ans, ce me semble !
Mon mari, ayant commencé à travailler à 16 ans, avec une interruption importante dans les années 85, ne pourra se mettre en retraite avant 65 ans, sauf à perdre beaucoup en décote.
Quant à moi, ayant subi, comme beaucoup de monde, des périodes de chômage entrecoupées de périodes de travail, mon sort est le même, la Cnav faisant une distinction entre " chômage indemnisé " et autre.
Nous sommes donc TOUS partis pour travailler de plus en plus tard, et
ceci, sans distinction de pénibilité ou non dans l'activité.
On revient au XIX ème siècle, les cadres et assimilés seront en forme pour profiter de leur retraite tardive, les ouvriers et autres artisans n'auront plus qu'à crever au boulot... ce qui fera moins à redistribuer....
Charmante perspective...
Très bon article de qualité...
C'est vraiment triste cette situation, et pour nos enfants encore plus...
C'est marrant, mon père a travaillé 45 ans à EDF et n'a pris sa retraite
à taux plein qu'à 65 ans !
Renseignez-vous avant de faire ce que veulent nos dirigeants : diviser
pour mieux régner...
A Finael,
Votre père est une exception mais le régime EDF est plus avantageux que celui du régime général (et en partie financée par une contribution sur la facture).
Il ne faut pas dire n'importe quoi.
Il y a un projet d'alignement du régime EDF sur celui de la fonction
publique qui doit voir le jour en 2008.
Excellent article et il y a aussi d'autres qui ont trouvé d'autres
chiffres, voir cet appel :
Nous salariés du public et du privé, demandons que soit en préalable régularisées ces importantes questions de financement, et réformé le régime
spécial des parlementaires, avant toute nouvelle réforme équitable des retraites :
Signez, divulguez et faites tourner cet appel SVP.
N'oubliez pas de valider votre signature dans le mail qui vous sera envoyé aussitôt.
Lire l'intégralité de l'appel ici : http://www.ohfr-redir.com/1434
Faudrait qu’on m’explique 2 choses ...
Comment peut on demander aux gens de travailler plus longtemps étant vieux avant l’age et mis au placard dès 50 ans (et encore je suis gentil) ?
Comment se fait il que l’on soit obligé de travailler plus que nos parents alors que les pays industrialisés n’ont jamais été aussi riches ?
Enregistrer un commentaire