Un premier mai et des manifestations syndicales unitaires, c’est bien. Mais des actions et grèves tous les deux mois (29 janvier, 19 mars, 1er mai), décidées assez laborieusement et sans revendication formelle à part une protestation contre la crise et ses conséquences, peuvent-elles influencer le cours des choses en faveur des salariés?
Ces démonstrations de force unitaires sont souvent présentées, en tant que telles, comme des succès par les dirigeants syndicaux, voire la presse en général alors qu'on parle beaucoup moins du contenu précis des revendications, ce qui reste l'ABC du syndicalisme !
Cette unité syndicale, jugée exceptionnelle en France, est pourtant de mise depuis longtemps dans d'autres pays car il n'y a souvent qu'un seul syndicat contrairement à notre pays dont la situation reste pratiquement sans équivalent au monde avec des divisions historiques, confessionnelle ou datant de la guerre froide, d'autant plus dommageables pour les salariés qu'elles persistent dans une économie mondialisée en crise grave…
Un sondage récent réalisé par la TNS Sofres montre que les salariés estiment qu’il y a «trop de syndicats» (53%) et «trop de concurrence» entre ces derniers (67%) qui pourtant se ressemblent «à tel point qu’on « ne voit pas ce qui les distingue» (60%). Cette confusion explique en grande partie la réticence des salariés à adhérer à une organisation. Et pour 79% d’entre eux, l’idéal serait d’avoir un ou deux syndicats nationaux, comme souvent ailleurs en Europe.
La situation peu brillante du syndicalisme français
Une autre étude de la Dares (Direction des études et des statistiques du ministère de l'emploi) du deuxième semestre 2007, donne aussi des précisions intéressantes sur la situation du syndicalisme en France.
Le nombre de syndiqués actifs serait de 1,7 million sur 22,5 millions de salariés, soit un taux de syndicalisation de 7,2 %, loin des 12 à 14 % revendiqués par les syndicats.
Malgré les chiffres officiels communiqués par les différentes confédérations et l'idée d'une re-syndicalisation, on constate au contraire que le taux de syndicalisation est faible et que les syndicats continuent à perdre des adhérents.
On distingue toutefois trois secteurs :
- les «bastions syndicaux» où la présence syndicale reste significative, notamment l'Éducation nationale (24 %), la RATP (18 %) ou La Poste-France Télécom (18 %)
- les branches dans lesquelles les syndicalistes sont présents dans la plupart des établissements, avec un taux de syndicalisation de 8-10 % : Chimie-verre, Transports, le Livre et l'information, l'hospitalisation publique.
- les branches où le taux de syndicalisation est faible : agro-alimentaire (7 %), banque (8,5 %), enseignement privé (7,5 %), voire nul (les auteurs parlent de « déserts syndicaux ») : confection-cuir-textile (5 %), bâtiment (5 %), industrie du bois, commerce et services (2,5 %).
En ce qui concerne le nombre des adhérents, les effectifs globaux sont sensiblement inférieurs aux chiffres officiels communiqués par les différentes confédérations :
- CGT : 523 800 (contre 720 000 officiellement)
- CFDT : 447 100 (contre 803 000)
- FO : 311 350 (contre 800 000)
- CFTC : 106 000 (contre 141 000)
- CGC : 82 000 (contre 140 000)
- UNSA : 135 000 (contre 360 000)
- SUD : 80 000 (contre 90 000)
- FSU : 120 000 contre 165 000
Le bon exemple de la Confédération Syndicale Internationale (CSI)
Depuis la création de la CSI et avec la Confédération européenne des syndicats (CES), les syndicats peuvent confronter leurs points de vue et construire un discours commun sur les questions essentielles et de portée internationale.
Les quatre centrales françaises CGT, CFDT, FO et CFTC sont membres de la CSI, une première en France, ces organisations n'ayant jamais été réunies sous la houlette d'une même confédération.
Comme le souligne Guy Ryder, secrétaire général de la CSI : «Il devient urgent de changer nos façons de travailler. Avec nos méthodes actuelles, nous avons déjà pris beaucoup de retard par rapport au capitalisme, dont nous n'arrivons à contrer ni les stratégies, ni les méfaits. S'unifier, créer une plus grosse organisation comme nous le faisons à Vienne, c'est très bien, mais si l'on garde les mêmes méthodes, cela ne suffira pas».
Car le mouvement syndical a enregistré un retard considérable et négligé la nécessité de s’unir pour faire face notamment au développement de la mondialisation. L’élaboration de revendications et surtout de propositions d'actions européennes ou mondiales serait de nature à redonner confiance aux salariés en général et de conforter leur capacité de résistance.
Elle permettrait aussi de redorer le blason d'un syndicalisme dans un monde où les décisions se prennent souvent à un autre niveau: dans les conseils d'administration des multinationales ou des organismes supranationaux, tels que le FMI, la Banque mondiale, l'OMC ou la Commission européenne.
En France, depuis la position commune sur la représentativité signée par la CFDT, la CGT, la CGPME et le MEDEF qui a fixé des seuils de représentativité fondés sur les résultats aux élections professionnelles, la représentativité de chaque organisation sera à l'avenir fondée sur des seuils d'audience électorale.
Une véritable révolution culturelle dans un paysage syndical figé depuis 1966 et une excellente occasion pour les quatre organisations françaises (CFDT, FO, CFTC et CGT) pour rapprocher le syndicalisme français autour d'objectifs précis et de mener une réflexion sérieuse sur le pluralisme syndical.
Parmi les cinq organisations actuellement déclarées représentatives, la CFE-CGC et la CFTC sont en effet les plus menacées par ce changement de règles et ont engagé officiellement des discussions en vue d'un rapprochement, qui avait déjà été envisagé dans les années 1990.
Parallèlement, la CFE-CGC a aussi engagé avec l’UNSA une démarche de réflexion «à la meilleure forme utile à mettre en place».
Mais malgré ces timides rapprochements entre trois organisations qui restent marquées par de fortes spécificités (la défense de l’encadrement uniquement pour la CFE-CGC, la référence à la chrétienté pour la CFTC ou la forte tonalité catégorielle pour l’UNSA), aucun leader national des trois autres grandes confédérations CGT, CFDT et FO ne semble vouloir contribuer à une nouvelle donne en France, chacun se complaisant dans son petit nid douillet avec voiture de fonction et chauffeur, entouré de permanents fonctionnarisés, le tout financé par des cotisations syndicales et des financements publics.
Et quand on interroge précisément François Chérèque (CFDT), Jean-Claude Mailly (Force Ouvrière) et Bernard Thibault (CGT) sur les enseignements qu'ils tirent de cette diversité syndicale, ils reconnaissent l'intérêt de développer des coopérations mais aucun ne prône que cela s'accompagne d'une simplification du paysage syndical allant jusqu'à la construction d'une organisation syndicale unique profitant aux salariés...
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5 commentaires:
@Albert Ricchi,
Beaucoup de confusions me semble-t-il, mais tentons un peu d’analyser la teneur de votre article.
Un sondage récent réalisé par la TNS Sofres montre que les salariés estiment qu’il y a « trop de syndicats » (53%) et « trop de concurrence » entre ces derniers (67%) qui pourtant se ressemblent « à tel point qu’on « ne voit pas ce qui les distingue » (60%). Cette confusion explique en grande partie la réticence des salariés à adhérer à une organisation. Et pour 79% d’entre eux, l’idéal serait d’avoir un ou deux syndicats nationaux, comme souvent ailleurs en Europe.
Et,
Le nombre de syndiqués actifs serait de 1,7 million sur 22,5 millions de salariés, soit un taux de syndicalisation de 7,2 %, loin des 12 à 14 % revendiqués par les syndicats.
Première question : Qui sont les sondés ? Uniquement des syndiqués ! Bien sûr que non. Premier principe fondateur de toute organisation syndicale : une organisation syndicale défend les intérêts de ses adhérents.
Toujours la même confusion. Que les salariés ne soient pas en ligne avec telle ou telle organisation syndicale cela peut se comprendre. Que les salariés ne soient en ligne avec aucune pose sans doute un problème qui est d’une autre ampleur que le simple pluralisme.
Vous exposez vous mêmes que la plupart des salariés ne connaissent pas de différences entre les diverses organisations, autant dire que c’est un sujet qui ne les intéresse pas excepté, je vous l’accorde, lorsqu’ils sont dans la difficulté et qu’ils cherchent un point d’appui pour préserver leurs intérêts particuliers par le biais de structures pourtant à tendance plus collective qu’individuelle.
Compte tenu de la pluralité syndicale, vous n’êtes pas sans savoir que les règles sur la représentativité ne s’appliquent pas aux syndicats patronaux ; ils disparaitraient tous. Si nous appliquions cette même règle aux structures politiques, aux partis, combien en resterait-il ?
Lorsque nous parlons de représentativité, il faut faire très attention !
D’autre part, et l’histoire du syndicalisme en France est parlante en ce domaine, la plupart des accords signés l’ont été par des organisations qui, dans le total de leur représentativité aux regard des règles d’aujourd’hui, étaient minoritaires.
Quand nous nous intéressons un tant soit peu au monde syndical, aussi bien français que mondial, l’hypothèse sur laquelle repose votre propos est battue en brêche. Ce n’est pas plus ou moins de pluralité qui pose souci, mais les méthodes, voir les législations, qui poussent à la syndicalisation (Allemagne, Grande-Bretagne, ...).
La France est un cas totalement atypique, cela je vous l’accorde. Mais la différence française ne repose pas sur le nombre d’organisations syndicales, mais sur le fait que les non syndiqués puissent profiter des mesures prises par les engagements syndicaux tout en ne s’engageant pas ; et dans le monde du travail d’aujourd’hui, il est plus sécurisant de ne pas s’engager sachant que l’engagement peut coûter alors que les gains sont assurés.
Cette législation n’a pas pour vocation de développer le syndicalisme, au pire, cela tendra à lui donner encore moins de poids ; d’ailleurs, vous soulignez très bien que les plus en difficulté sont la CFE-CGC et la CFTC qui, avec la CGT-FO, sont les porteurs d’un syndicalisme réformiste (voir pour cela la classification faite dans l’ouvrage collectif du CNRS le syndicalisme dans le monde) ; et sur le terrain syndical, les ententes CFE-CGC et CGT-FO et parfois CFTC sont courantes.
Et vous devriez savoir, si vous cotoyez des syndicalistes de terrain, pas ceux qui ont voiture de fonction et permanents à leur disposition, que même dans le camps des signataire de l’accord sur la représentativité, ça grince sérieusement des dents.
La volonté la plus marquante quant à cet accord signé est dans la recherche de politisation des organisations syndicales. Pas étonnant que les organisations politisées, pour les besoins d’appareils, et non pour l’intérêt de ses adhérents, abondent dans ce sens. Cela rejoint tout à fait l’approche britannique où les syndicats de salariés (trade unions) possèdent aussi leur bras politique ; le parti travailliste est né des organisations syndicales britanniques.
Simplification ou clarification sur le rôle des syndicats et leur place dans les votes des caisses de Sécu et de retraite...
Moins de 15% d’adhérents pour les plus puissants de ces syndicats...
Je crois que les français ne sont plus dupes du rôle de certains...
Moi-même ayant eu à me défendre contre des cadres aux ordres de multinationales, j’ai reçu plus de soutien de mon avocat que de délégués qui pensaient à maintenir leur petite place au chaud, leur main coincée dans le tiroir caisse, validant tous les votes de charrettes de la direction du moment que cela ne touchait pas un de leurs très proches...
Pour changer le syndicalisme en France il faudrait commencer par changer les représentants style mister Chérèque ou autres, mais on sait bien qu’en haut lieu on aime négocier entre « habitués » ou « élus ».... pas de place pour ceux qui bousculent l’ordre établi...
Demander aux syndicats de se remettre en question, c’est du même niveau que de demander de la transparence aux représentants du Medef !!
Mais ne vous inquiétez pas en haut lieu, entre syndicats patronaux, ouvriers et politicards, existe un vaste réseau de connaissances, qui fait qu’on joue le militant plus souvent devant les caméras que dans les bureaux feutrés ou les sièges sont très « confortables »...
Salut, très intéressant votre article, je vous rejoins sur bien des points ! A bientôt !
A des syndicats qui font une manif tous les deux mois, puis un jour de grand WE de 1er mai et maintenant un grossier foutage de gueule le 13 juin en guise de baroud d’honneur (ou plutôt de bras d’honneur) , que même Sarko et sa clique vont en mourir de rire, bref qui balladent tout le monde !
En tous cas vu les résultats des syndicats depuis 30 ans (on a fait que régresser, on devient pire qu’avant 81, personne n’a remarqué ?, il doit y avoir à minima un problème d’efficacité, non ?) ça fait un moment déjà que ma carte à moi est partie au fond de la poubelle, j’attends plus que le moment où viendront forcément des coordinations.
La stratégie adoptée par les organisations syndicales françaises depuis janvier 2009, en plein contexte de crise économique et de confrontation avec le gouvernement Fillon, ne cesse d’alimenter des commentaires critiques, marqués par l’incompréhension ou le scepticisme. Alors que l’attentisme des syndicats durant la deuxième moitié de l’année 2008 pouvait être éclairé par la guerre de positions qu’ils se livraient en vue du scrutin prud’homal du 3 décembre – consultation électorale qui, si elle n’a pas mobilisé les salariés, a par contre fortement occupé les équipes militantes, de Solidaires à la CFE-CGC –, la prudence que traduit l’organisation à plusieurs semaines d’intervalle de grandes journées nationales d’action alimente de fortes interrogations quant aux finalités poursuivies et surtout quant aux raisons présidant à de tels choix tactiques.
Le temps a paru effectivement fort long, en particulier dans les secteurs en lutte comme l’enseignement supérieur, entre l’imposante journée de grèves et de manifestations du 29 janvier et celle du 19 mars 2009. Mais que dire, alors même que les manifestations de mars se sont révélées plus massives encore que celle de janvier, que des salariés du secteur privé y ont été de nouveau présents en raison de la multiplication des plans de licenciements collectifs, de l’incapacité de l’intersyndicale à proposer des suites à la mobilisation, au lendemain de cette seconde journée d’action ? Après dix jours d’attente, le 1er mai a finalement été annoncé comme ne devant pas être « protocolaire » mais « revendicatif » et l’annonce de défilés communs à toutes les organisations comme un événement historique, donc en lui-même signifiant.
Une explication courante, au moins dans les discours produits « à chaud » dans les rangs militants, consiste à pointer la distance qui sépare la « base », soit les salariés et syndicalistes « de terrain » ayant massivement répondu aux appels du 29 janvier et du 19 mars, des appareils dirigeants qui gouvernent le « sommet » des organisations. La bureaucratisation de ces derniers les conduirait à privilégier d’autres intérêts que ceux qu’ils affichent officiellement, et ce au mépris d’un potentiel de lutte pourtant attesté par la force des démonstrations convoquées à six semaines de distance. Les directions, et en particulier celle de la confédération à l’heure actuelle la plus puissante, soit la CGT, seraient-elles en train de « trahir » alors même qu’elles disposent d’un important rapport de forces ? La question résonne d’autant plus fort qu’ailleurs, et en particulier en Guadeloupe, l’épreuve de force prolongée avec le gouvernement n’a pas été écartée et qu’elle s’est incarnée dans un mouvement social d’ampleur exceptionnelle.
Pourquoi s’enfermer dans une intersyndicale avec la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, au risque de freiner la mobilisation ?
Pourquoi ne pas battre le fer quand il est chaud en lançant un mouvement de grève reconductible et intersectoriel ?
http://contretemps.eu/interventions/face-crise-que-fait-mouvement-syndical
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