31 août 2010

Pourquoi est-il si difficile de finir ses fins de mois?

Un seul dans l'assiette
Se loger, se nourrir, s’habiller, s’acquitter de ses factures d’électricité, de gaz et d'eau en constante augmentation, payer ses transports, assurances obligatoires, impôts, forfaits Sécurité sociale de toute sorte, l’addition est de plus en plus lourde en fin de mois.

Certes, on connaît la plupart des raisons de cette situation : mondialisation et financiarisation de l’économie, concurrence effrénée à l‘intérieur même de l’Europe tirent sans cesse les salaires vers le bas.

Mais une autre cause, dont on parle peu, est la suppression au début des années 80, du dispositif indexant les salaires sur l’inflation qui protégeait jusqu’alors le pouvoir d'achat des salariés… 



Plus de huit millions de personnes vivent aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté (950 € par mois) selon la dernière étude de l'INSEE. Cela représente près d’un ménage sur huit, les familles monoparentales étant les plus touchées. Le seuil de pauvreté est défini comme représentant 60 % du revenu médian des Français (environ 1580 € en 2010).

Plus de 3 millions de salariés sont payées au SMIC (1343 € bruts, ce qui correspond en moyenne à 1055 € nets, soit à peine un peu plus que le seuil de pauvreté). Loin d’être bien lotis, 30 % des salariés à temps plein (hors intérim) touchent un salaire inférieur à 1,3 SMIC (1745 € bruts, ce qui correspond en moyenne à moins de 1370 € nets).

Le bas niveau des salaires est naturellement aggravé par l'inflation, même si celle-ci est plus faible aujourd'hui que dans les années 80. Certains prix de produits de loisirs et de confort ont baissé (téléviseurs par exemple) mais les produits de première nécessité (dont on ne peut se passer) augmentent régulièrement, ce qui grignote sans cesse le pouvoir d'achat des ménages.

Un scénario bien rodé depuis le tournant de 1982


Depuis le début des années 80, les pouvoirs publics et le patronat ont pris l’habitude de proposer, dans leurs secteurs respectifs (public et privé) un pourcentage d’augmentation des salaires toujours inférieur à l’indice des prix, les organisations syndicales proposant, quant à elles, un pourcentage plus élevé.

Dans un second temps, souvent après quelques manifestations ou grèves, l’Etat et le patronat, faisant mine de reculer, mettent en avant un pourcentage d’augmentation supérieur à celui proposé initialement mais toujours inférieur à l’inflation.

A la fin des négociations entre partenaires sociaux, des accords de salaires sont signés prévoyant une hausse des salaires certes mais très rarement supérieure au taux d’inflation. Ces accords, qualifiés de «mieux que rien» sont en général signés par les syndicats dits «réformistes» au premier rang desquels la CFDT, accompagnés par la CFTC et la CFE-CGC !

Ce scénario se reproduit ainsi, cahin-caha, depuis 1982. C’est en effet sous la présidence de François Mitterrand, que la gauche a opéré un tournant historique. Voulant lutter contre l’inflation, le blocage des salaires et des prix fut imposé de juin à novembre.

Dans la Fonction Publique, l’Etat bloqua les salaires qui avaient suivi l’évolution des prix les années précédentes. Il incita ensuite les employeurs du secteur privé à faire de même, en les invitant à faire évoluer les salaires en fonction non de la hausse réelle des prix, mais du taux d’inflation «prévu» par le gouvernement.

Les clauses d’indexation des salaires sur les prix furent une à une retirées des conventions collectives dans les années qui suivirent. Elles étaient de fait considérées comme illégales depuis une ordonnance d’Antoine Pinay en 1959, mais après mai 1968, elles réapparaissaient dans certaines conventions.

Puis les lois Auroux ont réaffirmé leur interdiction dans le Code du Travail, article L.141-9 : « sont interdites, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le salaire minimum de croissance ou des références à ce dernier en vue de la fixation et de la révision des salaires prévus par ces conventions ou accords. »

En 1983, Jacques Delors, ministre de l’économie et des finances et papa de la possible candidate socialiste à la présidentielle 2012, décida de deux plans d’austérité. Le pouvoir d’achat des salariés commença à diminuer régulièrement, l’échelle mobile des salaires ayant été supprimé sans pour autant que le chômage diminue.

Depuis, dans plusieurs branches professionnelles, suite à l’interdiction de la réévaluation automatique des salaires en fonction du SMIC et faute de négociations, le salaire d’embauche est inférieur au SMIC ! Une prime dite «résorbable» est alors versée aux salariés concernés sans toucher aux salaires supérieurs au SMIC. Cette pratique est responsable d’un tassement continue des salaires vers le bas de l’échelle.


Un indice des prix bien pratique…


L’indice des prix calculé par l’INSEE, datant de 1946, est loin de refléter la réalité quotidienne car la mesure de l’inflation ne concerne que les prix à la consommation.

Quand un nouveau produit est mis en vente, l’augmentation de prix par rapport au produit ancien n’est pas pris en considération. Cet indice ne dit rien en outre de la fiscalité indirecte notamment, qui augmente bien plus vite que le taux d’inflation. Quant à la hausse des loyers, autorisée par le tout nouvel indice de référence des loyers (IRL), elle se situe en général toujours au-dessus du taux officiel d’inflation !

Enfin, l'Indice INSEE n’a jamais intégré l’augmentation des prix camouflée par les «arrondis» opérés nettement à la hausse après le passage à l’euro !

Comme le rappelle justement le CERC (centre de recherche et des coûts), il n'est guère étonnant, dans ces conditions, qu’une forte impression de régression prédomine chez les salariés car la perte nette de pouvoir d'achat est largement supérieure à la (faible) hausse du salaire net moyen, calculée par l'Insee.

Et si pour les statisticiens de cet organisme, la hausse du pouvoir d'achat des ménages est toujours légèrement positive, c’est parce qu’elle concerne en fait le revenu moyen des ménages qui n’est qu’une simple moyenne mathématique ne correspondant à aucune réalité socioprofessionnelle...

Cette situation est particulièrement dramatique pour 40% des salariés qui voient, chaque année, leur salaire individuel baisser également pour d’autres raisons comme la variation de leur durée de travail, le chômage, le temps de travail partiel subi, le déménagement pour cause professionnelle, etc.


Les remèdes apportés à la crise financière aggravent la situation


Aujourd’hui, avec la crise financière, nous sommes rentrés dans une période où les baisses de salaires sont carrément annoncées ouvertement par la plupart des gouvernements européens.

Ainsi en Grèce notamment :

Salaires gelés jusqu’en 2014. Primes du 13e et 14e mois (Noël et Pâques) supprimées pour les salaires supérieurs à 3.000 euros par mois et plafonnées à 1.000 euros pour les salaires inférieurs à 3.000 euros par mois. Mise en place d’un nouveau salaire minimum applicable aux jeunes et aux chômeurs de longue durée…

Ainsi en Espagne : 

Face à un déficit de 11,2% du PIB et un taux de chômage record de 20%, l'exécutif socialiste a engagé un plan d'économie budgétaire de 50 milliards d'euros sur trois ans : baisse des indemnités de licenciement, réduction de 5% en moyenne les salaires des fonctionnaires à partir de juin 2010 et gel complet en 2011. La revalorisation des retraites sera également gelée en 2011, sauf pour les plus basses d'entre elles. A partir de 2011, l'aide à la naissance de 2.500 euros instaurée en 2007 pour soutenir la natalité sera également supprimée.

Ainsi en Irlande : 

Premier pays de la zone euro à être entré en récession, l'Irlande a pris dès 2008 des mesures de rigueur : réduction de 5 à 15% des salaires des fonctionnaires, réduction des allocations sociales, y compris pour les chômeurs...Et pour faire rentrer les recettes, une taxe carbone et une taxe sur l'eau (jusque ici gratuite) s'ajoutent à une hausse générale d'impôt sur le revenu. 

Ainsi au Portugal :

Confronté à un déficit record de 9,4% du PIB en 2009, le Portugal a été présenté comme le second maillon faible après la Grèce. Même maux, mêmes remèdes : gel des salaires dans la fonction publique pendant quatre ans, suppression de certaines allocations avec à la clé, un vaste plan de privatisations, dans les transports, l'énergie, les assurances ou la poste... 

Et en France :

Nicolas Sarkozy, prenant les Français pour des idiots congénitaux, parle de «politique rigoureuse» pour ne pas avoir à prononcer le mot «rigueur» mais les mesures prises par le gouvernement de François Fillon vont bien sûr dans le sens d’une baisse générale des salaires, pensions et allocations diverses.

Le chef de l’Etat et son gouvernement consacrent donc la rigueur en règle imposée pour répondre au dogme de réduction tous azimuts des déficits publics et au diktat des marchés financiers. Les choix fiscaux en sont un exemple frappant. En y consacrant plus de 45 milliards d'euros, le gouvernement fait de la charge de la dette la première dépense de l’Etat ! 

En réduisant les dépenses qui concernent essentiellement les salariés et les ménages modestes (classes moyennes et précaires), en supprimant les dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’Etat, en asphyxiant les collectivités territoriales (ce qui contribue à rendre impossible la mise en œuvre des aides sociales et de solidarité) et en refusant d’investir pour lutter contre le chômage de masse, le gouvernement crée lui-même les conditions pour aggraver les effets de la crise, toujours en vigueur, voire pour en instaurer une nouvelle. 

Le Président de la République utilise en outre sans vergogne la bonne vieille technique de communication qui consiste à présenter les baisses successives de l'impôt sur le revenu comme des éléments positifs de sa politique alors que, dans le même temps, l'augmentation des impôts indirects est devenue insupportable (83% du total des recettes fiscales de la France…) et a fait de notre pays l’un des plus inégalitaires d’Europe.


L'échelle mobile des salaires, moyen le plus approprié pour protéger le pouvoir d’achat


Si le principe de l'indexation des salaires par rapport à l’inflation, institué en France en juillet 1952, garantissait à l'ensemble des salaires et des allocations une évolution parallèle à celle des prix, son abandon en 1983 n’a pas provoqué un tollé chez les organisations syndicales, soutenant peu ou prou les gouvernements de gauche de l’époque.

Sans doute aussi, les syndicats n’ont pas voulu se montrer trop ringards par rapport à tous ces spécialistes de l’économie, pseudo-consultants, pour lesquels une réintroduction de l’échelle mobile des salaires nuirait au développement économique. Les grands organismes économiques comme l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) et le Fonds Monétaire International (FMI), dirigé aujourd’hui par le « socialiste » Dominique Strauss-Kahn y sont également hostiles.

Pourtant, ce système existe dans certains pays comme la Belgique et le Luxembourg. Il existe également mais sans caractère automatique en Allemagne ou aux Pays-Bas : les syndicats doivent alors négocier systématiquement pour compenser la perte de pouvoir d’achat subie depuis les négociations précédentes à la suite de l’inflation. Il peut revêtir différentes formes (ajustement automatique des salaires à chaque variation de l'indice des prix, ajustement dès que l'indice choisi dépasse un certain seuil, ajustement à périodes fixes en fonction des variations enregistrées, etc.)

Et contrairement à ce que disent ses détracteurs, l’échelle mobile des salaires ne favorise pas l’inflation car elle est basée sur des faits qui ont déjà eu lieu et sur la base de l’évolution réelle des prix qui s’est déjà produite au cours du ou des mois précédents.

De plus, elle favorise une solidarité automatique entre les travailleurs des secteurs forts et ceux des secteurs faibles ainsi qu’entre les travailleurs actifs et inactifs. Elle est un facteur de stabilité sociale : les négociations salariales peuvent alors se concentrer sur l’augmentation réelle des salaires, puisque l’indexation automatique garantit uniquement la compensation de la baisse du pouvoir d’achat. C’est également un facteur de stabilité économique car le maintien du pouvoir d’achat représente un facteur de maintien de la consommation et donc de la croissance économique.

En ayant négligé le problème de la défense du pouvoir d’achat, tous les gouvernements successifs, depuis 1983, ont une lourde part de responsabilité dans les difficultés financières que rencontrent des millions de personnes. Depuis près de 30 ans, le partage de la valeur ajoutée s'est ainsi déplacé de 11 points du travail vers le capital ! Seulement 20 % environ des salariés n’ont pas de problèmes pour joindre les deux bouts en fin de mois ! 

Et aujourd’hui, la majorité présidentielle UMP-Nouveau Centre, tout comme le PS, sont à des années-lumière d'un rétablissement de l'échelle mobile des salaires. Mais cela n’a pas l’air de sauter aux yeux des leaders des grandes centrales syndicales qui semblent avoir effacé de leur mémoire ce mécanisme de protection du pouvoir d’achat des salariés… 


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7 commentaires:

sauveur a dit…

Depuis la fin de l’indexation des salaires sur les prix au début des années 80, la dégradation du pouvoir d’achat des salariés se poursuit encore.

Merci Fabius, merci Delors de toute cette attention pour le peuple.

le chat a dit…

Très bon article ! à noter que le passage aux 35 h a entrainé le gel des salaires pendant 3 ans , en ne créant aucune embauche alors qu’on a exigé des salariés qu’ils fassent le boulot des 39h en 35 .....

calmos a dit…

Excellent article

Dont le seul défaut c’est d’avoir mentionné que la paupérisation des français a commencée avec les socialistes......la droite a continué en faisant de l’UMPS

Ce qui fait que peu de socialistes viennent poster......

Ce qui aurait été tout autre si l’auteur avait tout mis sur le dos de Sarko

Il ne faut pas se raconter d’histoires ; un retour de la gauche aux affaires ne résoudrait rien, cela ne ferait que faire empirer les choses.....

Les socialistes qui aspirent au pouvoir ne veulent qu’assouvir leurs égos.....du peuple ; ils s’en foutent comme de leurs premiéres brassiéres....

Economiquement : ils sont nuls....pour le reste : ils sont pires

elchetorix a dit…

bonjour l’auteur , excellent article qui dépeint la paupérisation de la classe moyenne et les autres classes en-dessous , des citoyens de l’Hexagone !
Cette situation déplorable est le résultat des responsables politiques depuis l’arrivée à la fonction suprême du fondé de pouvoir de la Banque ROTCHILDS , à savoir
G. POMPIDOU , cela s’’est accru à la 2ème année de pouvoir de F MITTERAND et les caciques du PS qui ont trahit le monde ouvrier et employé .
Donc , pour 2012 , il faut une 6ème République composée de responsables qui agissent pour les citoyens et la nation Française .
Ainsi , vigilance donc ne pas se tromper lors du vote prochain , c-à-d , choisir des responsables non mondialistes et non pro- Européens , du moins cette Europe des marchands et financières !
RA .

lolo a dit…

Très bon article.
Je rajouterai que outre l’inflation sur les produtis du quotidien, l’inflation fulgurante des loyers au début des années 2000 est aussi pour beaucoup dans la paupérisation des classes moyennes.

Personellement, j’ai laissé un appartement de 30 mètres carrés en 2001 loué 1900 francs à Montpellier, et je suis parti 2ans à l’étranger. En 2005, j’ai tenté de relouer ce même appartement dans une agence de location qui le proposait 550euros (mon ratio loyer/revenu était limite pour l’agence). En 2001 j’étais étudiant, je subsitais avec grossomodo 4000ff, en 2005 avec 1500euros de revenu j’avais le même niveau de vie que lorsque j’étais étudiant. J’ai depuis remis les voiles vers l’étranger.

Tous çà pour dire, que si l’on considère que 50% de la population gagne moins de 1600euros (proche du salaire médian), avec le prix des loyers actuels dans des villes capitales de région (200 à 300000 hab) environ la moitié des gens sont dans l’incapacité de se loger à elle seule dans un appartement pour moins du tiers de leurs revenus. La location d’un studio ne devrait pas dépasser le tiers du salaire minimum (pour que quelqu’un qui travaille puisse au moins se loger), or en ce moment on est plutot au tiers du salaire médian (et encore je ne parle même pas de Paris).
Il faudrait dire aux statisticiens quand ils calculent le pouvoir d’achat qu’ils incluent la part des revenus allouée au logement, ils verraient très vite pourquoi les choses se sont dégradées.

salsabil a dit…

Excellent article qui met en exergue les erreurs (volontaires ?) monumentales des gouvernements successifs depuis 1980, tout comme le délitement lamentable des organisations syndicales qui, vraiment, ne représentent plus grand chose d’autre qu’eux-mêmes !

Oui, il est difficile de terminer le mois pour de plus en plus de gens, et malheureusement, j’ai crainte que ça n’aille que de mal en pis... smiley

Merci de ce papier précis et argumenté.

Brigitte a dit…

Bravo de pointer la fin de l'indexation des salaires sur les prix !!! Voulue par Jacques Delors en 1983 ! Depuis, le partage de la valeur ajoutée s'est deplacée de 11 points du travail vers le capital ! Seulement 20 pour cent des salaries n ont pas de pbs pour joindre les deux b outs !!!