Le
code du travail est trop compliqué, illisible. Il faudrait donc le
"simplifier" et ce dans l’intérêt même des salariés.
C’est
en tout cas ce que préconise le rapport de Jean-Denis Combrexelle qui
veut renvoyer le plus possible la négociation au niveau de
l’entreprise, au détriment de la loi et des négociations nationales...
Ainsi,
d'après ce rapport remis au gouvernement, le chômage en France
s'expliquerait par la complexité tatillonne et tracassière du droit du travail.
Le code du travail se serait mué en épouvantail, effarouchant les
employeurs qui veulent embaucher.
C’est
le "bon sens" proclamé en cette rentrée par Emmanuel Macron à
l’université d’été du Medef, Manuel Valls à l’Université d’été du PS, François
Hollande lors de sa dernière conférence de presse et Laurent
Berger de la CFDT. Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen en rajoutent une
couche dans leur récent ouvrage "Le travail et la loi" et
affirment que "la vision d’un droit du travail perçu comme une forêt trop
obscure et hostile pour qu’on s’y aventure joue contre le recrutement des
salariés complémentaires dans les petites et moyennes entreprises".
Tous
en chœur, ces chers « démocrates » reprennent le besoin d’inverser la
hiérarchie des normes : priorité à la base, c'est-à-dire à l’accord
d’entreprise, qui doit primer sur la loi avec tous les risques que cela
comporte. Mais ils oublient que la primauté de la loi répond à la mise en œuvre
du principe républicain d’égalité : garantir un minimum de droits
entre les salariés tout en assurant une régulation économique en termes de
concurrence.
Les grosses ficelles
L’idée
de Jean-Denis Combrexelle n'est pas nouvelle car elle a été portée durant tout
le XXème siècle par les apôtres du libéralisme. Elle a été reprise en 1999 par
le Medef dans son projet de "refondation sociale" réclamant moins de
lois et plus d’accords et de contrats.
Or,
l’entreprise, ce n’est pas obligatoirement la démocratie. Dans la négociation
d’entreprise, l’employeur pèse autant que ses dizaines, centaines ou milliers
de salariés qui lui sont juridiquement soumis. La négociation est souvent un
rapport de forces défavorable aux salariés en période de crise, notamment
en France où depuis trente ans, le nombre de salariés syndiqués a été
divisé par deux avec aujourd'hui, seulement 7,7 % de la population active
faisant partie d'un syndicat.
Les
tenants de la "simplification" du code du travail omettent en outre
de signaler que ces accords et conventions peuvent être complexes et soumis
également à interprétations, à recours et enfin à jurisprudence.
Se
concentrer sur le droit du travail en affirmant que les protections qu’il
accorde aux salariés sont à la racine du chômage est sans doute une manière de
faire diversion en escamotant les effets économiques des politiques libérales
menées depuis plus de trente ans dans les États membres de l'Union européenne,
en particulier ceux de la zone euro, ainsi que ceux de l'organisation de la
division internationale du travail.
Tous
les pays qui ont mené, ou qui ont été obligés par les institutions européennes
de faire ce mouvement ont vu la négociation collective s’affaiblir, le nombre
d’accords s’effondrer à tous les niveaux, ainsi que le nombre de salariés
couverts par une convention collective (Allemagne, Italie, Espagne, Portugal,
sans parler de la Grèce...). En Russie, dans les années 1990, on a même vu des
syndicalistes « libres » dénoncer les conventions collectives en
demandant de rajouter au texte de loi "le salarié est payé à la fin du
mois" la phrase "si c’est possible"…
Mener
des « réformes structurelles » du marché du travail qui s'attaquent à
la législation protectrice de l'emploi permet en outre aux dirigeants
politiques d'afficher un volontarisme face au chômage sans engager
d'importantes dépenses publiques qui constitueraient autant d’entorses à
l’austérité mise en oeuvre.
Aucune
étude économique, y compris celles des institutions les plus libérales comme
l’OCDE, n’a réussi à montrer un quelconque lien entre le niveau de la
législation protectrice de l’emploi et le niveau du chômage. Si le code du
travail s’est un peu « épaissi » ces 30 dernières années, c’est sous
l'influence du dogme libéral, le législateur ayant introduit de multiples
régimes dérogatoires (notamment sur le temps de travail ou sur les types de
contrats de travail) pour satisfaire les employeurs. Cela bien sûr sans obtenir
aucun des bénéfices attendus sur l'emploi !
Aujourd’hui,
ceux qui veulent démultiplier les normes pour les « adapter à chaque
contexte », au nom du « dynamisme économique » vont en réalité
aggraver considérablement la course au moins-disant social entre les régions,
les branches, les entreprises, avec à la clé une nouvelle détérioration de la
situation des travailleurs et une accélération des inégalités...
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