François
Hollande a donc tranché : les allocations familiales continueront à être
versées à toutes les familles, y compris les plus fortunées, et ne seront donc
pas diminuées, voire supprimées au-delà d'un certain plafond de ressources.
Le
système actuel reste donc inchangé et c’est par une nouvelle baisse du quotient
familial que le gouvernement espère récupérer environ 1 milliard d’euros de
recettes par an.
Voilà
qui est assez habile mais c’est d’abord par simple souci budgétaire que le
gouvernement a imaginé cette mesure qui ne mettra fin à aucune des injustices
du système…
Les allocations familiales, destinées à compenser les charges de famille des
personnes physiques françaises ou étrangères, résidant en France, sont
attribuées à partir du deuxième enfant à charge : 129,21 € pour
2 enfants, 294,77 € pour 3 enfants, 460,32 € pour 4 enfants, 165,55
€ par enfant supplémentaire.
Afin
de combler le soi-disant déficit de la Caisse Nationale des Allocations
Familiales (1), le gouvernement de Jean-Marc Ayrault va diminuer le quotient
familial de 2000 € à 1500 € par enfant à charge, après l’avoir déjà baissé de
2336 € à 2000 € en 2012.
La
réduction du quotient familial va plutôt dans le bon sens et devrait même
disparaître totalement car celui-ci est très injuste. Selon une étude de la
direction générale du Trésor, 10 % des ménages les plus aisés captent 46 % de
cet avantage fiscal !
Appliqué
en effet dans un système de progressivité des taux d’imposition, le
quotient familial aboutit à ce que chaque enfant apporte une réduction d’impôt
plus forte que les revenus des parents sont élevés. Un enfant
de famille riche rapporte ainsi plus qu’un
enfant de famille pauvre...
Le
quotient familial existe depuis la fin de la seconde guerre mondiale alors
qu’il n’est appliqué aujourd’hui en Europe seulement que par deux pays
(Luxembourg et Suisse).
La
nouvelle disposition restera donc toujours aussi inéquitable jusqu'à la limite
du nouveau plafond de déduction fiscale fixé à 1500 € par enfant.
Quid de la condition de ressources ?
Conséquence
de l'attribution des allocations familiales sans condition de ressources, les
familles modestes, avec deux enfants à charge au moins, perçoivent exactement
les mêmes montants que les familles aisées vivant très confortablement (cadres
supérieurs, professions libérales ou faisant partie des 2 millions de
millionnaires en euros que compte la France) !
Au nom
d’une apparente égalité de traitement des familles, les notions de solidarité
ou d’aide sociale sont ainsi bafouées en permanence et ce «principe d’égalité»
creuse en fait, chaque jour un peu plus, les inégalités sociales.
Lionel
Jospin, ancien 1er Ministre, avait tenté de faire une réforme mais en fixant
maladroitement un plafond de ressources couperet trop bas, au-delà duquel les
familles n’avaient plus droit aux allocations, ce qui déclencha à cause des
effets de seuil, la réprobation de nombreuses familles.
Plus
subtilement, en son temps, Alain Juppé avait proposé de continuer à les verser
à toutes les familles mais avec l’obligation de les intégrer ensuite dans la
déclaration annuelle de l’impôt sur le revenu. Ce projet de fiscalisation n'a
jamais vu le jour, cette idée étant reprise aujourd’hui par le député UMP de
l’Eure, Bruno Le Maire.
Quid des allocations familiales dès le premier enfant ?
Les
allocations familiales restent aussi attribuées qu’à partir du deuxième enfant
comme si les frais occasionnés par un premier enfant étaient négligeables. Les
jeunes couples ayant un seul enfant à charge, venant de débuter dans la vie ou
les couples en difficulté financière dont l’un des conjoints est au chômage, en
temps partiel subi subissent ainsi de plein fouet cette injustice sociale !
Cela
est d’autant plus inacceptable qu’on compte aujourd’hui 8,6 millions de
personnes pauvres (14,1 % de la population), au sens des critères retenus par
l’union européenne (60% du revenu médian), qui vivent avec moins de 964 €
mensuels. Sans compter près de 3 millions de salariés payés au SMIC (1 121
€ nets mensuels sur la base de la durée légale de 35 heures hebdomadaires au 1er
janvier 2013).
La
France reste ainsi avec cette vieille idée, non vérifiée sociologiquement
à ce jour, qui consiste à favoriser les naissances en ne donnant pas
d’allocations familiales aux familles dès le premier enfant.
C’est
le décret-loi du 29 juillet 1939 qui a supprimé l’allocation au premier enfant
au profit d’une prime à la première naissance mais l’éducation d’un enfant
coûte aussi cher, sinon plus proportionnellement, que celle de deux enfants et
plus !
Autre
anomalie curieuse, si les allocations familiales sont attribuées à partir du
deuxième enfant en métropole, elles sont versées dès le premier enfant dans les
DOM, comme s’il y avait un principe à géométrie variable et deux catégories de
Français !
De
plus avec cette dernière mesure gouvernementale, certaines familles ayant un
seul enfant à charge et touchées par la réduction du quotient familial verront
leur impôt sur le revenu augmenter pour participer au comblement du déficit *
de la branche alors qu’elles ne touchent pas d’allocations familiales au titre
du premier enfant à charge !
Quid de l’indexation des allocations sur le coût de la vie ?
Le
montant des allocations est fixé en fonction d’un certain pourcentage de la
base mensuelle de calcul des allocations familiales (BMAF). C'est ainsi que l'allocation
pour 2 enfants est égale à 32% de la BMAF, pour 3 enfants à 73%, pour 4 enfants
à 114%, et ce pour l’ensemble des différentes prestations familiales.
Cette
BMAF est revalorisée au 1er avril de chaque année mais sans tenir compte du
taux d’inflation réel. Ainsi, son montant de 399 € au 1er avril 2012 est passé
à 403,79 € au 1er avril 2013, soit une augmentation de 1,01 % seulement alors
que le taux d'inflation était de 2 % pour l’année 2012 !
Sous
le gouvernement de François Fillon, la mécanique était la même : le
montant de la BMAF était de 395,04 € au 1er janvier 2011, elle est passé à 399
€ au 1er avril 2012, soit une augmentation de 1 % alors que le taux d'inflation
était de 2,1% pour l’année 2011 !
Cette
indexation incomplète du montant des allocations sur le coût de la vie (c’est
aussi le cas pour les salaires depuis le tournant de la rigueur en 1983…)
conduit à en fait une baisse continue du pouvoir d’achat des familles et ce,
dans l’indifférence générale des pouvoirs publics.
De
plus, comme il n’y a pas de petites économies, dit le proverbe, le législateur
a eu la bonne idée de grignoter encore quelques euros sur le dos des
allocataires grâce à une retenue de 0,50 % opéré au titre de la contribution au
recouvrement de la dette sociale (CRDS). Les montants nets réellement perçus
par les allocataires sont en réalité :
128,57
€ pour 2 enfants, 293,30 € pour 3 enfants, 458,02 € pour 4 enfants, 164,73 €
par enfant supplémentaire.
Quelle réforme faire aujourd'hui ?
La
solution la plus juste consisterait à reprendre l’idée d’allocations
différenciées en fonction des revenus et de ne plus les attribuer au-delà d'un
certain revenu jugé excessif (par exemple 20 fois le SMIC mensuel), de les
verser aux familles dès le premier enfant et de les indexer correctement chaque
année sur le taux réel d’inflation.
Les différents
montants d’allocations pourraient être fixés par exemple sur une échelle de 1 à
5 (100%, 75%, 50%, 25%, 0% de l'allocation) mais le véritable problème est la
détermination de l'échelle de revenus correspondants. Car la volonté du
gouvernement étant d'abord de combler le soi-disant déficit * de la branche
Allocations Familiales de la Sécurité Sociale et non le souci d'équité du
système, on peut craindre qu'une échelle éventuelle de revenus soit fixée en
fonction du seul critère budgétaire, les plafonds de revenus risquant d’être
bloqués ensuite au fil des années au détriment des familles aux revenus moyens
ou modestes.
Par
ailleurs, le quotient familial devrait être supprimé et remplacé par un
abattement forfaitaire par enfant, identique pour toutes les familles, comme le
font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, les
Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et l’Allemagne.
A
budget égal, si celui-ci était supprimé et remplacé par un crédit d’impôt ou
une allocation universelle, toutes les familles bénéficieraient de 607 € pour
chaque enfant à charge. 4,3 millions de ménages auraient été perdants (pour un
montant moyen de 930 € par an) et 4,8 millions auraient été gagnants (pour un
montant moyen de 830 € par an).
Ce
combat pour une vraie réforme des allocations familiales et la suppression du
quotient familial devrait être mené prioritairement par les associations
familiales avec beaucoup plus de force car jusqu’à présent elles se contentent
trop souvent d’une timide et rituelle dénonciation annuelle du décret de
revalorisation de la BMAF.
Quant
au Président de la République, soucieux de faire des économies budgétaires et de
trouver des ressources financières nouvelles, il serait bon qu’il se souvienne
qu'il existe d’autres moyens plus efficaces pour réduire les déficits publics
comme la lutte contre la fraude fiscale ou la réduction drastique des niches
fiscales qui coûtent au pays respectivement de 60 à 80 milliards d'euros
annuels pour l'une et 70 milliards d'euros pour l'autre…
(1) La
Caisse nationale des allocations familiales affiche un déficit de 2,6 milliards
pour l’année 2011, après 0,3 milliard en 2008, 1,8 en 2009 et 2,7 en 2010. On
pourrait croire que cette évolution reflète une générosité accrue de notre
système de prestations familiales. Il n’en est rien. En fait, le déficit
provient de la ponction effectuée sur la branche famille au profit de la
branche vieillesse. Les majorations familiales de pension ont en effet
progressivement été mises à la charge de la CNAF...
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