Avec
32,3% des voix exprimées au premier tour des élections législatives du 10 juin
2017 et seulement 15,4% des électeurs inscrits, La République en marche et le
Modem obtiennent au second tour 350 députés sur un total de 577, soit plus de
60% des sièges à l'Assemblée nationale.
Un
parti minoritaire dans le pays mais largement majoritaire dans
l’hémicycle, la France continue de se distinguer depuis 1958 avec son
scrutin majoritaire uninominal à deux tours, véritable aberration politique qui
écarte de toute vraie représentation parlementaire plusieurs millions
d’électeurs...
Cette
anomalie démocratique pourrait prendre fin avec l'introduction de la
proportionnelle dont l'objectif fondamental est de réduire l'écart entre la
part du vote national que reçoit un parti et sa part de sièges au
parlement, un parti important ou un petit parti devant obtenir à peu près
un nombre de sièges proche du pourcentage de voix obtenues dans le pays.
Ce
type de scrutin empêcherait la formation de majorité stable, dit-on en France
mais 24 pays de l’Union européenne sur 27 ont recours à la représentation
proportionnelle intégrale ou à un scrutin mixte pour élire leurs députés. Ce
système domine en Europe de l'Ouest ainsi qu’en Amérique Latine
et représente environ un tiers des pays en Afrique. Dans ces pays, toutes
les composantes politiques légales, y compris les extrêmes, sont représentées
au sein des parlements nationaux.
Une
excellente étude menée par la Fondation pour l'innovation politique
(http://www.fondapol.org) démonte littéralement les vieilles théories sur la
soi-disant inefficacité de la représentation proportionnelle. En effet, tout
porte à croire qu'à l'exception de celles de 1997, toutes les élections
législatives, organisées avec le système Joxe de 1986 (proportionnelle
intégrale dans le cadre de circonscriptions départementales), permettent la
formation d’une majorité parlementaire digne de ce nom.
L’hostilité conjointe des Républicains et du PS n’a pas permis à ce jour d’instituer un système proportionnel
Après
ces élections législatives - et déjà dès le soir du premier tour
le 10 juin - les pleureuses des Républicains et du PS ont regretté
le vote massif des électeurs en faveur des candidats en Marche.
Mais
Les Républicains, fidèle à leur culture de parti hégémonique et godillot, n’ont
jamais voulu renoncer au scrutin majoritaire, même si certains dirigeants
amusent quelquefois la galerie en réfléchissant à l’hypothèse d’une dose de
proportionnelle, de préférence homéopathique.
Quant
au PS, en page 62 de son petit opuscule « Réussir ensemble le changement » il se
disait favorable à l’élection d’un député sur cinq élu à la proportionnelle,
soit 20%, mais François Hollande n’a absolument rien fait au cours de son
quinquennat et ce malgré une promesse électorale en 2012 de changer le mode de
scrutin. Déjà en 1958, les socialistes de l’époque (ex SFIO) apportèrent leur
soutien au Général de Gaulle pour faire disparaître le scrutin proportionnel
qui rimait avec le régime des partis. Il n’y a qu’en 1983, pour des raisons
bassement électorales, que Laurent Fabius proposa la proportionnelle intégrale
pour favoriser le Front National et ainsi mieux isoler la droite...
Des circonscriptions électorales découpées de façon fantaisiste
Outre
le caractère anti-démocratique du scrutin majoritaire, un deuxième scandale
réside dans le fait d’avoir découpé les 577 circonscriptions législatives (555
en métropole et 22 en Outre-mer) selon les mêmes miroirs déformants que pour le
découpage des cantons : sur-représentation de certaines populations,
sous-estimation d’autres, volonté de voir au moins deux députés par département
sans tenir compte du nombre d’habitants, etc.
Le
dernier charcutage des circonscriptions, opéré par un orfèvre en la matière -
Charles Pasqua - date de 1986 et il était fondé « officiellement » sur le
dernier recensement de 1982. C’est ainsi qu’à Saint Pierre et Miquelon le
18 juin 2017, il a fallu 1886 voix sur 4974 inscrits pour élire
un député alors que dans la dixième circonscription des BdR, il en a fallu
22 976 sur un total de 106 109 inscrits !
Dans
le premier tome de ses Mémoires, « Ce que je sais », Charles Pasqua explique
comment il parvint à faire adopter ce découpage, sans trop de heurts : «
S’agissant de cette loi électorale et du remodelage des circonscriptions
qu’elle organisait, je dirais qu’elle garantissait, en conditions normales de
scrutin, un tiers des sièges à la droite, avec un petit avantage au RPR (ce qui
correspondait au rapport des forces dans le pays), un tiers à la gauche,
l’attribution du dernier tiers résultant de la glorieuse incertitude du vote ».
Le
principe constitutionnel est ainsi bafoué constamment depuis 1958 sans qu’aucun
gouvernement ne change vraiment ces règles. Même le conseil constitutionnel a
renoncé à une règle qu’il avait lui-même pourtant édictée selon laquelle
chaque circonscription ne devrait pas s’écarter en proportion de plus de 20% de
la moyenne départementale ; ce qui revient à dire que dans un département de
400 000 habitants, comptant quatre circonscriptions, aucune ne doit avoir moins
de 80 000 habitants, ou plus de 120 000. Or, près de 100 circonscriptions
bafouent aujourd’hui cette règle établie par les partisans du scrutin
majoritaire !
Les modalités d’un scrutin proportionnel sont essentielles
La
proportionnelle peut être soit intégrale (totalité des sièges)
soit partielle (scrutin mixte). Dans le cas d’un scrutin mixte, la
dose de proportionnelle est un élément déterminant. Cette
dose devrait être au minimum de 50 % de députés élus au scrutin
proportionnel plurinominal, et l’autre moitié au scrutin majoritaire de
circonscription comme cela se fait dans une écrasante majorité de pays
européens.
D’autres
facteurs jouent aussi un rôle important. C’est ainsi que la formule utilisée
pour calculer la répartition des sièges peut avoir un effet sur les résultats
de l'élection. On utilise en général soit la méthode de la « plus forte moyenne
» ou celle du « plus fort reste ». Cependant, du point de vue des résultats
globaux, il est encore plus important de tenir compte de deux autres facteurs
: le seuil établi pour la représentation et la limite géographique
des circonscriptions.
Plus
le nombre de représentants au sein d'une circonscription est élevé et plus son
seuil de représentation est faible, plus le système électoral sera
proportionnel et plus les petits partis minoritaires auront de chances
d'obtenir des sièges. En Israël, le seuil est de 1,5%, alors qu'en Allemagne,
il est de 5%. Aux îles Seychelles, il est de 10 % pour 10 sièges maximum
répartis à la proportionnelle. En Afrique du Sud, en 1994, en l'absence d'un
seuil légal de représentation, le Parti africain démocrate-chrétien a décroché
deux des 400 sièges, avec seulement 0,45% du suffrage national.
Quant
à la détermination des limites des circonscriptions électorales pour
les députés élus au scrutin majoritaire, elle suppose de redéfinir
les frontières des circonscriptions actuelles en les agrandissant mais de de
façon à respecter enfin le principe de l’égalité des voix, bafoué depuis
1958. Les députés peuvent être élus sur une liste nationale ou
régionale mais si l’on veut rester au plus près de la réalité du terrain,
la circonscription départementale est sans doute la plus appropriée pour assurer
une représentation des différentes opinions et des territoires.
Aujourd’hui
et surtout après l’abstention des électeurs les 11 et 18 juin 2017 (51,3%
au premier tour, le plus fort taux d'abstention depuis l'introduction du
suffrage universel en 1848, et 57,3% au second), il n'y a plus aucune raison de
continuer à élire nos députés au scrutin majoritaire. C'est intolérable parce
que nous vivons aujourd'hui au XXIème siècle et que la France est une
démocratie, loin des crises politiques de 1958.
Parmi
les partisans d’un scrutin mixte, seul, François Bayrou a toujours eu une
position claire et équilibrée sur le sujet en proposant de changer la loi
électorale de façon à ce que la moitié des sièges soit attribuée à la
proportionnelle. Cela a d’ailleurs été une des 4 conditions mises pour son
ralliement à Emmanuel Macron avant le premier tour de l’élection
présidentielle.
Concernant
Emmanuel Macron, ce sujet de la proportionnelle ne figurait pas dans
son programme de la campagne mais avant d’être élu à l’Elysée, le futur
président s’est prononcé à plusieurs reprises en faveur d’une dose de
proportionnelle. Cette promesse sera sans doute tenue mais il est à
craindre d’ores et déjà que la dose de proportionnelle soit minime, voire
purement symbolique…
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