Guillaume
Chiche, député LREM, a évoqué récemment à l'Assemblée nationale un projet de
remplacement du quotient familial par le versement des allocations
familiales à toutes les familles dès le premier enfant. En fonction
d’études d’impact à réaliser, cette nouvelle prestation serait modulée selon
les revenus, ou bien fiscalisée.
Une
proposition imparfaite mais néanmoins intéressante et surtout révélatrice de
l'iniquité du système fiscal actuel. Mais Emmanuel Macron et Edouard
Philippe ont rapidement sifflé la fin de partie, Benjamin
Griveaux, porte-parole du gouvernement, confirmant qu'il n'était
pas question de remettre en cause les modalités du
quotient familial...
Le quotient familial (QF) est un mécanisme qui réduit l’impôt sur le revenu en prenant en compte la taille de la famille mais qui subventionne davantage les familles riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt étant proportionnelle au revenu dans la limite d'un plafond élevé. En 2018, pour l'imposition des revenus 2017, les plafonds sont les suivants :
1 527 euros pour chaque demi-part liée aux personnes à charge dans le cas général.
912 euros pour la demi-part supplémentaire dont bénéficient les personnes seules qui ont eu au moins un enfant à charge dans le passé, pendant au moins cinq ans alors qu'elles vivaient seules.
3 602 euros pour la part entière au titre du premier enfant à charge dont bénéficient les contribuables célibataires, divorcés ou séparés qui élèvent seuls un ou plusieurs enfants.
3 050 euros pour la demi-part supplémentaire attribuée à certains contribuables (titulaires de la carte d'invalidité, de la carte d'ancien combattant, etc.).
4 755 euros pour la part supplémentaire correspondant au maintien du quotient conjugal pour les personnes veuves ayant au moins une personne à charge.
Un peu d'histoire
L'idée de réformer le QF n'est pas nouvelle. Début janvier 2012, des propositions tous azimuts sont faites dans l'équipe de François Hollande : le QF, mesure fiscale très injuste, allait être remis en cause. On parlait alors de le remplacer par un crédit d'impôt.
C'était le virage prôné par les tenants de la « révolution fiscale », parmi lesquels l'économiste Thomas Piketty, proche du PS. Cette réforme devait bénéficier aux familles modestes et notamment aux familles non imposables, sans toucher aux classes moyennes.
Devant l’indignation de Nicolas Sarkozy et de l'UMP qui parlaient alors de « conséquences absolument dramatiques », l’interrogation du Haut Conseil de la Famille et la tiédeur de plusieurs dirigeants du PS, François Hollande nuançait alors son propos, en évoquant une simple « modulation du QF ».
Au bout du compte, c'est une option à minima qui a été retenue. De 2 336 € pour l’imposition des revenus de 2011, le plafond a été raboté dans le cas général à 2 000 € par demi-part pour les revenus de 2012. Dans un second temps, le plafond sera à nouveau baissé de 2000 € à 1500 € par demi-part.
Au total, un peu moins d’un million de foyers fiscaux seront impactés par cette mesure et le gouvernement récupérera seulement 490 millions d'euros, la nouvelle disposition restant toujours aussi inéquitable jusqu'à la limite du nouveau plafond fixé.
Remplacer le quotient familial par un crédit d'impôt uniforme ou un abattement forfaitaire sur le revenu imposable
Selon une étude de la direction générale du Trésor, 11 % des ménages les plus aisés captent 46 % de l'avantage fiscal représenté par le QF. Son remplacement par un crédit d'impôt identique pour toutes les familles pourrait se faire avec le même budget global. Ainsi, pour un crédit d’impôt de 607 € par enfant, 4,3 millions de ménages seraient perdants (pour un montant moyen de 930 € par an) et 4,8 millions seraient gagnants (pour un montant moyen de 830 € par an).
Cette façon de faire permettrait de réduire les inégalités entre les familles les plus pauvres et les plus riches. Les familles modestes verraient leur niveau de vie augmenter, notamment les 47% de familles non imposables qui ne bénéficient d’aucun avantage fiscal chaque année.
Compte tenu de la concentration des gains actuels du QF sur les 11 % les mieux lotis de la population, les trois quarts des pertes (soit 3 milliards € sur 4) seraient supportées par cette partie de la population. L’effet sur la répartition des revenus serait sensible et les familles modestes, pas ou peu imposées, verraient leur niveau de vie augmenter.
Que la France abandonne le QF, appliqué en Europe seulement par deux pays (Luxembourg et Suisse) et qu’elle adopte un système de crédit d’impôt ou un abattement forfaitaire sur le revenu imposable pour chaque enfant à charge, quels que soient les revenus du foyer, comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.
Supprimer le quotient familial mais aussi le quotient conjugal
Plus méconnu, le quotient conjugal (QC) est lui aussi très injuste. Imprégné d'un schéma familial daté, pour ne pas dire séculaire, où le chef de famille apporte des revenus au ménage et la femme s'épanouit dans les tâches domestiques, il consiste à diviser la somme des revenus d'un couple par deux avant de lui appliquer le barème progressif. Exemple : un ménage où un conjoint gagne 54 000 € par an et l’autre 6000 €, l’impôt n’est pas calculé sur 60 000 € mais sur 30 000 € (revenus moyens du couple) puis le résultat est multiplié par deux pour arriver à l’impôt à payer.
La conséquence de ce système est double. Il réduit fortement l'impôt des couples aisés dont l'un des membres - le plus souvent la femme - ne travaille pas ou très peu, avec une réduction d'impôt d'autant plus élevée que le revenu principal est important. Pour un même revenu, ces couples sont ainsi avantagés au détriment des célibataires, des personnes séparées, des veufs ou encore des familles monoparentales.
Le coût de cet avantage fiscal accordé aux couples oscille entre 5,5 milliards d'euros, d'après le Trésor, et 24 milliards d'euros, selon la Cour des comptes. Et contrairement au quotient familial, l'avantage retiré du quotient conjugal n'est pas plafonné !
Rétablir le versement des allocations familiales dès le premier enfant
Dans le prolongement d'une modification du QF et du QC, les modalités de versement des allocations familiales (AF) devraient également être revues. En effet, les AF sont attribuées qu’à partir du deuxième enfant depuis que le décret-loi du 29 juillet 1939 a supprimé l’allocation au premier enfant au profit d’une prime à la première naissance.
La France reste ainsi avec cette vieille idée, non vérifiée sociologiquement à ce jour, qui consiste à favoriser les naissances en ne donnant pas d’allocations aux familles dès le premier enfant. Tout se passe comme si les frais occasionnés par un premier enfant étaient négligeables alors que cela coûte aussi cher, sinon plus proportionnellement, que de deux enfants et plus !
Conséquence : les couples venant de débuter dans la vie ou en difficulté financière dont l’un des conjoints est au chômage ou en temps partiel subi, les personnes seules, divorcées, ayant un seul enfant à charge, subissent de plein fouet cette injustice sociale.
Cela est d’autant plus inacceptable qu’on compte aujourd’hui 8,8 millions de personnes pauvres au sens des critères retenus par l’union européenne (60% du revenu médian), qui vivent avec moins de 1015 € mensuels pour une personne seule ou 1 523 € pour un couple sans enfant. Sans compter les 1,7 million de salariés payés au SMIC (1 188 € nets mensuels sur la base de la durée légale de 35 heures hebdomadaires au 1er janvier 2018).
Autre incohérence notable, si les AF sont attribuées à partir du deuxième enfant en métropole, elles sont versées dès le premier enfant dans les DOM, comme s’il y avait un principe à géométrie variable et deux catégories de Français !
Aujourd'hui, le principe d’une politique familiale véritablement universaliste et la réforme du quotient familial en faveur des familles modestes devraient être au cœur de la lutte contre les inégalités sociales. Mais le Président de la République qui a supprimé l'impôt sur les grandes fortunes ne semble pas choqué qu'un enfant de famille modeste vaille presque deux fois moins qu’un enfant de famille aisée et qu'un enfant de pauvre, issu d’une famille non imposable à l’IR, ne vaille quasiment rien...
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