28 juin 2020

L‘Europe a sacrifié les agriculteurs !

Agriculture
La situation des agriculteurs français est alarmante et la réalité encore plus sinistre pour une profession frappée par la solitude des exploitants, les conditions de vie difficiles mais aussi les difficultés financières récurrentes. Selon les chiffres de la Mutualité sociale agricole, il y aurait au moins deux suicides par jour chez les agriculteurs, exploitants et salariés.

Face à cette situation, que font l’Europe et la France ? Jean-Paul Pelras, ancien maraîcher, arboriculteur et syndicaliste, raconte le gouffre qui sépare les promesses d’une harmonisation européenne faites dans les années 90 et la réalité d’aujourd’hui...



C’était une époque compliquée, au cœur des années 90. Il fallait dénoncer les distorsions sociales et fiscales, vider des camions à la frontière franco-espagnole pour susciter des incidents diplomatiques, faire valoir contre vents et préfets nos spécificités méditerranéennes. Les affrontements avec les gardes du cardinal de service étaient fréquents, les séjours en prison et à l’hôpital également.

Et puis le temps s’est écoulé. Nous avons perdu beaucoup de fantassins. Certains sont partis beaucoup trop tôt et pour trop longtemps de l’autre côté du chronomètre. D’autres ne sont plus agriculteurs, ils font la circulation devant les écoles, travaillent dans les travaux publics ou, comme moi, sont devenus journalistes.

J’y ai cru. Oui, j’y ai cru. Je pensais que l’Europe allait harmoniser tout ça. Que l’on allait taxer et contrôler les 5000 camions transitant alors chaque jour par la frontière franco-espagnole. Il en passe plus de 20 000 aujourd’hui... Entre temps, dans le Midi de la France, les deux tiers des surfaces cultivées en fruits et légumes sont retournés à la friche et 3 paysans sur 4 sont sortis des radars.

Notre pays totalise 400 000 paysans contre 10 millions au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle compte, pour ne citer que ces exemples, 2.2 millions de joueurs inscrits dans des clubs de football, un peu plus de 1.5 millions de pécheurs, 1.1 millions de joueurs de tennis, 300 000 joueurs de pétanque licenciés et, plus globalement, 21 millions de personnes adhérentes à des associations…

La « dure réalité à étreindre »


Voilà des chiffres qui passionnent les politiques, car derrière chaque quidam se dissimule un électeur. Voilà des mains intéressantes à serrer quand il faut couper un ruban. Quand il faut remettre quelques maillots ou le trophée récompensant la triplette gagnante et le plus beau brochet.

Mais des paysans …, ces emmerdeurs qui n’ont même plus la cote, qui se plaignent tout le temps, qui dénoncent l’urbanisation, qui font du bruit, qui polluent, qui créent des embouteillages avec leurs tracteurs pendant les vendanges, pour les fenaisons, avec leurs vaches quand ils transhument, avec leurs remorques au moment des moissons … Oui, quel intérêt finalement, les politiques ont-ils à défendre les agriculteurs, eux qui ne représentent même plus un pour cent de l’électorat ? Eux qui suscitent tant de conflits à gérer quand ils se mettent à sulfater, quand la mouche indispose le riverain, quand la bouse encombre la chaussée. Car elle est bien là, comme l’écrivait ailleurs Rimbaud, cette « dure réalité à étreindre » qui se cache derrière le calcul politique. Là, quand la friche arrange plus qu’elle ne dérange, car elle permet de libérer de l’espace constructible. Là, quand le paysan n’arrose plus ses champs et laisse un peu plus d’eau pour irriguer les terrains de golf, remplir les piscines et tirer la chasse dans les lotissements. Là, pour implanter des rocades, des pistes cyclables, des ronds-points, partout où la terre disparaît sous le goudron et le ciment. Là, quand la question n’est plus de savoir s’il faut sauver un métier, mais bien d’avouer franchement que l’on ne veut plus côtoyer les paysans.

Et, pourtant, qu’adviendra-t-il le jour où nous serons devenus dépendants sur le plan alimentaire de pays qui usurpent nos marchés traditionnels, car ils privilégient l’exploitation de l’homme par l’homme et le moins-disant social avec des coûts de main d’œuvre qui, pour ne citer que ces exemples, ne dépassent pas 7 euros de l’heure en Espagne et 5 euros par jour au Sahara occidental ?

Qui va vérifier, dans cette Europe à géométrie variable où le paysan français ne sera jamais plus compétitif, si les tracteurs d’Almeria tournent autour des écoles et des lotissements, qui va vérifier si l’ouvrier Andalou porte un masque en utilisant une matière active interdite depuis des lustres sur le sol français, alors qu’elle ne l’est toujours pas de l’autre côté des Pyrénées ?

Pendant ce temps, la France des paysans, réduite à sa portion congrue car elle n’est plus suffisamment compétitive, passe son temps à se justifier, passe son temps à s’excuser. A l’aune des années 2020 elle est au bord du gouffre. Avec le nouveau pacte vert suggéré par Bruxelles, d’ici 2030 elle aura fait un grand pas en avant.

Parce que ceux qui n’ont aucune obligation de résultats, pensent depuis leurs bureaux, entre deux accords bilatéraux, que les idéaux poussent aussi dans les champs.


Merci à notre ami Jean-Paul Pelras, rédacteur en chef de L'Agri
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