Face à cette menace, un groupe d'organisations de pays africains publie une lettre ouverte qui vise à alerter les citoyens des pays du Nord sur le rôle que jouent leurs agences de développement dans la promotion de cette expansion...
Le 21 septembre est la Journée internationale de lutte contre les plantations d'arbres en monoculture. Contrairement à d'autres, cette journée n'a pas été créée par les Nations Unies (ONU) ou par les gouvernements. La Journée a été créée en 2004 par des communautés rurales, rassemblées dans l'arrière-pays brésilien, pour dénoncer et faire la lumière sur les impacts des plantations d'arbres en monoculture sur leurs territoires, et affirmer leur détermination à résister à ces plantations et à reprendre leurs territoires des mains des entreprises.
Seize ans plus tard, la Journée reste toujours autant d'actualité : il y a un réel danger d'une gigantesque expansion mondiale des plantations d'arbres en monoculture. Ces plantations sont présentées comme une solution pour éviter le chaos climatique et la dépendance du monde industrialisé au pétrole, au gaz et au charbon. Un groupe de gouvernements, d'entreprises, de consultants, d'investisseurs et de grandes ONG conservationnistes se sont réunis pour mettre sur la table leurs méga-plans d'expansion des plantations d'arbres.
Bien
que fortement remise en question, la définition de la forêt par la FAO
(Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) et
plusieurs gouvernements nationaux inclut à tort les plantations d'arbres en
monoculture. À leurs yeux, les plantations sont des « forêts
plantées ». Cette définition ne favorise que les grandes sociétés de
plantations et garantit ainsi leur objectif principal : générer des
profits.
L'Afrique
est le continent qui présente « le potentiel de reboisement le plus
rentable au monde », selon un rapport réalisé en 2019 par des consultants
de la Banque africaine de développement (BAD) et de l'ONG de conservation
WWF-Kenya. « L'étude a identifié environ 500 000 ha de
terres de plantation viables dans dix pays : Angola, République du Congo,
Ghana, Mozambique, Malawi, Ouganda, Soudan du Sud, Tanzanie, Zambie et
Zimbabwe. » L'étude propose la création rapide d'un fonds, dont
le siège serait situé dans un paradis fiscal (Maurice), pour financer la
plantation des 100 000 premiers hectares d'arbres.
Pour
que ces plantations génèrent des bénéfices pour les investisseurs privés,
l'étude affirme qu'une aide sera nécessaire de la part des agences
publiques européennes de coopération internationale, c'est-à-dire de l'argent
des contribuables des pays du nord de l'Europe, à savoir la Finlande, la
Suède, la Norvège, le Danemark, l'Islande, Royaume-Uni et Pays-Bas, ainsi que
de la Banque mondiale via la Société financière internationale (SFI), qui
accorde des prêts à des entreprises privées.
Un résumé des fausses hypothèses et des
incohérences de cette étude
- L'étude
répète les mêmes promesses perfides et fausses que celles
continuellement avancées par les entreprises et leurs partisans. Elle
affirme que les plantations améliorent les conditions de vie des communautés,
créent des emplois, améliorent le sol ainsi que la qualité et la quantité de
l'eau. Les projets « sociaux » des entreprises seraient avantageux
pour les communautés. Pourtant, les plantations conduisent à un grand
nombre de violations des droits, créent très peu d'emplois, qui sont mal
payés et dangereux, détruisent les forêts et les savanes, dégradent les sols,
contaminent et assèchent les points d'eau et détruisent le mode de vie des
communautés. Avec les plantations, arrivent des gardes qui restreindront
la liberté de mouvement des communautés ; les cas d'abus, de violence
sexuelle à l'égard des femmes et d'infections par le VIH/sida se
multiplient. La promesse de projets « sociaux », souvent non tenue, est le
principal argument de négociation des entreprises pour accéder aux terres
communautaires.
-
L'étude ne voit dans les conflits fonciers que des « difficultés » et
la solution proposée consiste à « suivre les principes du label FSC et
d'autres bonnes pratiques ». Tout d'abord, les 500 000 hectares où,
selon l'étude, les entreprises devraient mettre en place leurs plantations
d'arbres en monoculture ne sont pas des terres abandonnées ou dégradées. Les
grandes sociétés veulent toujours des terrains fertiles, généralement plats et
où l'eau est disponible, en d'autres termes, des terres généralement utilisées
par les communautés. En recommandant le label FSC, l'étude ignore une
documentation abondante qui prouve que le FSC ne résout pas les problèmes
structurels des plantations, et encore moins les conflits fonciers. Le FSC
trompe les consommateurs en considérant le modèle des grandes plantations en
monoculture comme « durable », car il conduit toujours à de grandes
étendues de terres contrôlées par les entreprises et à l'utilisation intensive
de pesticides et d'engrais de synthèse. Jusqu'à présent, l'indemnisation
des populations qui ont perdu leurs terres et leurs moyens de subsistance a
toujours été dérisoire ou inexistante. Par ailleurs, les dommages sociaux,
environnementaux, économiques et culturels causés par les plantations d'arbres
en monoculture dans les zones rurales des pays africains n'ont jamais été
compensés par les entreprises. Il n'existe aucun moyen de calculer les
dommages et une grande partie des dégâts causés est irréparable.
-
L'étude fait référence à un projet de la SFI/Banque mondiale au Mozambique,
soulignant qu'un « un élément important de l'approche de la SFI consistera
à définir et à enregistrer les droits fonciers ». En fait, au-delà du
financement des plantations, la Banque mondiale a pour politique d'encourager
les gouvernements des pays du Sud à accélérer l'octroi de titres de propriété
individuels et, par conséquent, la privatisation des terres, pour tenter
d'empêcher leur reconnaissance collective comme terres communautaires. La
Banque mondiale encourage la cession des terres communautaires à des capitaux
privés partout dans le monde. Il est important de souligner le fait que
ces dernières années, le gouvernement du Mozambique a mis en place un certain
nombre de réformes dans le secteur forestier. Parmi celles-ci figurent
notamment un examen de la politique forestière et de sa stratégie de mise en
œuvre et, très récemment, un processus de consultation publique en vue de
revoir également la politique foncière nationale. Dans tous ces processus, la
Banque mondiale est le dénominateur commun en termes de promotion et de
« soutien » financier. Cet examen est organisé avec pour prétexte
d'améliorer la transparence et l'efficacité de la gestion et des politiques
foncières, et il entraînera inévitablement une modification de la loi foncière
et de la réglementation correspondante, légitimant ainsi l'occupation des
terres communautaires qui assurent les conditions de vie des communautés et des
populations.
-
L'étude affirme que les plantations d'arbres constitueraient « un puits de
carbone stable et à long terme », et procureraient des « avantages
d'adaptation substantiels » vis-à-vis du changement climatique au niveau
local. En affirmant cela, l'étude ignore un nombre croissant de travaux
scientifiques montrant que les plantations d'arbres en monoculture sont
une fausse solution climatique. L'expérience des communautés du monde
entier a montré que les plantations d'arbres en monoculture créent un
environnement local encore moins préparé à répondre aux impacts de plus en plus
perceptibles du changement climatique.
-
L'étude affirme que « les sociétés pétrolières et industrielles
mondiales » veulent « faire partie de la solution plutôt qu'être une
partie majeure du problème. Elles commencent à voir le potentiel des
investissements forestiers. » Les sociétés pétrolières et gazières
font partie intégrante de la crise climatique, indépendamment de ces grandes
déclarations. Elles n'ont montré aucun intérêt à le résoudre ; au
contraire, elles ont l'intention d'investir avant tout dans de fausses
solutions. Après tout, les profits passent avant tout.
- L'étude comporte d'autres affirmations fausses : « le monde aura besoin
du type de reboisement intensif [...] actuellement mis en œuvre par l'industrie
forestière brésilienne » ; ou d'autres selon lesquelles le voisin du
Brésil, l'Uruguay, est « le pays forestier le plus récemment développé
dans le monde ». La réalité est que l'expérience brésilienne des
plantations industrielles d'arbres au cours des dernières décennies a conduit à
de nombreux conflits fonciers et à la dégradation de l'environnement. Les
municipalités où les concentrations de plantations sont les plus fortes sont
aussi parmi les plus pauvres, par rapport à celles dont l'agriculture
diversifiée est basée sur les petits exploitants. En Uruguay, on observe les
mêmes impacts négatifs. Les zones rurales ont connu un exode massif et la
population rurale a été réduite de moitié. En outre, les citoyens
uruguayens ont contracté une dette énorme du fait d'un récent contrat entre son
gouvernement et la multinationale finlandaise UPM. Selon ce contrat, le
gouvernement a accepté d'effectuer des travaux d'infrastructure de plusieurs
millions de dollars au service//pour répondre aux besoins d’UPM et des plans
d'exportation de sa deuxième usine de pâte à papier.
-
L'étude affirme que « les faibles rendements historiques constituent le
principal obstacle à la réussite des investissements dans la plantation sur de
nouvelles terres. Les nouvelles opérations de plantation par des entreprises
privées ont été interrompues ces dernières années. » Cela révèle non
seulement que les profits sont ce qui compte vraiment pour les investisseurs
privés, mais aussi que les auteurs de l'étude ignorent délibérément la
principale raison pour laquelle l'expansion des plantations industrielles a été
bloquée dans divers pays africains : la résistance des communautés contre
ces plantations en monoculture.
-
L'étude cherche également à attirer les investisseurs et évoque « la
possibilité de planter [des arbres] à des coûts nettement inférieurs [...],
plus ou moins la moitié de ce qu’ils étaient il y a 10 ans […] ».
Avec la promesse aux entreprises qu'elles auront moins à dépenser, le poids des
projets de plantations industrielles à partir du fonds proposé pèsera encore
plus sur les pays africains déjà endettés et, par conséquent, sur leurs
populations, en particulier les communautés rurales qui risquent de perdre
leurs terres les plus fertiles.
- Il
est important de souligner qu'une ONG « conservationniste » est
coproductrice de cette étude qui promeut des investissements qui profiteront en
premier lieu aux entreprises privées. L'étude elle-même révèle comment les
ONG comme le WWF ne devraient plus être considérées comme des ONG
puisqu'elles fonctionnent et agissent comme le « bras droit de l'industrie
des plantations ».
- Le
rapport fait référence à une version non publique de l'étude qui n'a pas été
divulguée au public à notre connaissance. Le rapport note également qu'
« [...] il existe une coalition claire d'IFD [institutions de financement
du développement] qui souhaitent poursuivre la discussion sur ce sujet
[création du Fonds], notamment : la CDC [Royaume-Uni], le Finnfund
[Finlande], la SFI [Banque mondiale], le NDF [pays nordiques : Finlande,
Norvège, Suède, Danemark, Islande] et la FMO [Pays-Bas] ». Cela démontre que
les décisions d'investissement sont prises sans la participation des
communautés et des autres organisations de la société civile et mouvements
sociaux des régions concernées, c'est-à-dire des parties les plus
concernées. Comment peut-il encore être acceptable au XXIe siècle que
les agences publiques de coopération internationale utilisent l'argent de leurs
contribuables de cette manière ? En prenant leurs décisions à l’insu de
leurs propres citoyens et des populations qui seront affectées ? Lorsque
les sociétés de plantation et leurs investisseurs, après que tout a été décidé,
déclarent qu'ils appliquent le principe du « consentement libre, informé
et préalable » des communautés, cela mérite-t-il une quelconque
crédibilité ?
Pour l'abandon immédiat de tout
programme de reboisement basé sur de grandes plantations en monoculture.
Les plantations ne sont pas des
forêts !
Signé
par ADECRU (Mozambique), Justiça Ambiental (Mozambique), Missão Tabita
(Mozambique), Suhode Foundation (Tanzanie), WRM (International)
Pour signer cette lettre, ouverte à la signature jusqu'au 19 septembre, cliquer ici
Photo Creative Commons
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